Au croisement entre la classe politique et l’écosystème immobilier, Robin Rivaton est déjà considéré comme un virtuose des deux. Essayiste, économiste, investisseur, écrivain… Aucune dénomination ne lui convient parfaitement.

Décideurs. Vous avez évolué dans des secteurs différents comme le conseil, les infrastructures, la tech… Pourquoi l’immobilier ?

Robin Rivaton. Ma première rencontre avec le secteur immobilier date de 2016, lorsque je suis devenu le directeur général de l’agence d’attractivité et d’innovation de la région Île-de-France. De nombreux investisseurs que nous rencontrions alors souhaitaient investir dans l’immobilier. J’ai commencé à m’intéresser à ce secteur et l’ai abordé du point de vue de l’innovation en fondant Real Estech, la plus grande communauté de start-up opérant sur ce secteur. J’ai ensuite couvert les proptech pour le fonds de venture capital Smart City d’Eurazeo entre 2019 et 2022. Il y a quelques mois je suis passé de l’autre côté du miroir en devenant le chief executive officier de Stonal.

Pourriez-vous présenter l’entreprise ?

Stonal est une plateforme SaaS pour les propriétaires et gestionnaires d’actifs immobiliers résidentiels comme tertiaires, leur permettant de produire leurs indicateurs ESG, de réaliser des économies sur leurs contrats d’exploitation, de produire automatiquement leurs plans de travaux ou encore de s’assurer de ne pas être à risque, juridiquement parlant. Avec nos 125 salariés, nous sommes les leaders européens de la fiabilisation de la donnée. Grâce à des algorithmes auto- apprenants, nous collectons les 3 000 à 4 000 documents qui constituent un immeuble et sommes capables de les lire automatiquement, d’en extraire les métadonnées, de les comparer entre elles, de les vérifier, de les spatialiser sur les plans de l’immeuble. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour des observateurs extérieurs à cette industrie, la donnée est de piètre qualité. Or, pour optimiser ses coûts ou produire des indicateurs ESG fiables, il faut de la donnée juste. Ce métier de data quality management va être de plus en plus stratégique et confié à des tiers experts du sujet. Nous sommes là pour ça. Je fournis donc des outils technologiques aux grands acteurs du monde de l’immobilier au croisement de mes deux secteurs de prédilection. J’ai en parallèle élargi ma compréhension de l’immobilier physique en rejoignant les conseils d’administration de divers acteurs, promoteurs, investisseurs, opérateurs de logement social et intermédiaire. Je suis particulièrement heureux dans le secteur de l’immobilier qui mêle considérations macroéconomiques et enjeux très sensibles à l’échelle des individus pour lesquels le logement ou l’environnement de travail déterminent largement la qualité de vie.

"Les secteurs privés et publics sont trop cloisonnés et cet écart est dangereux pour la cohésion de la société"

Vous êtes également un essayiste et économiste avec huit livres à votre actif. Comment conciliez-vous ces différentes activités ?

Je me suis engagé dans le débat d’idées dès l’âge de 23 ans en écrivant ma première tribune. Puis ce furent des tribunes, une note puis des notes, un livre puis des livres. Je trouve que les secteurs privés et publics sont trop cloisonnés et que cet écart est dangereux pour la cohésion de la société. J’ai été très frappé et déçu de constater une indifférence pour la chose publique au sein de plusieurs environnements professionnels. Cette conviction m’a amené à m’engager auprès de personnalités politiques comme Bruno Le Maire ou Valérie Pécresse. J’ai beaucoup appris avec ces multiples expériences. J’écris sur mon temps libre. Je tiens la chronique économique et tech de L’Express depuis près de trois ans et cette exigence d’écrire sur une base régulière oblige à être curieux, rester en veille sur des innovations et de synthétiser rapide ment ses idées. On m’a parfois qualifié de libéral. J’ai, par mon parcours, un goût prononcé pour l’effort et le mérite. Mais je connais la puissance du déterminisme social. C’est dans cette dualité que repose mon envie de chasser les rentes et d’offrir une stricte égalité des chances. Plus récemment, j’ai décidé de ne pas être un généraliste ultracrépidarien mais de centrer mes recherches sur les questions urbaines, le logement, l’aménagement du territoire, les inégalités territoriales. Il existe donc une synergie qui s’opère avec mon activité professionnelle. C’est dans ce registre que j’ai pu participer à la commission Rebsamen sur la relance durable de la construction de logements en 2020 et en rejoignant le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) en 2021.

Pourriez-vous revenir sur le diagnostic que vous avez établi dans votre note "Le logement, bombe sociale à venir" ?

Lors de l’élection présidentielle, j’étais inquiet de voir que le logement n’était absolument pas traité alors qu’il devrait trôner tout en haut des politiques publiques. Il est le principal poste de dépense des Français et, parce qu’il est dynamique, impacte lourdement le pouvoir d’achat. En moyenne, les Français consacrent un peu moins de 20 % de leurs revenus aux dépenses de logement, à savoir les loyers, les remboursements d’emprunt et les charges, déductions faites des aides au logement. Ce budget était de 16 % en 2000. Le logement est responsable de l’état maussade de l’opinion publique en dépit des bonnes nouvelles économiques.

"Le détenteur final du pouvoir de l'urbanisme, c'est l'élu local"

Comment éviter ce cataclysme alors ?

Il faut d’abord construire. D’ailleurs, 62 % des Français estiment qu’il n’y a pas assez de logements en France, seuls 12 % considèrent qu’il y en a trop. Le détenteur final du pouvoir d’urbanisme, c’est l’élu local. Il faut donc l’aider à construire. D’abord en passant à une pré-approbation des autorisations de construire. Si un projet répond aux critères du plan local d’urbanisme, il doit être pré-approuvé. On inverse alors le schéma actuel, qui dit que tout ce qui n’est pas autorisé est interdit en stipulant que ce qui n’est pas interdit est autorisé. Ensuite, il faut leur donner plus de ressources propres, que la disparition de la taxe d’habitation a obérées. Cela passe par une refonte de la fiscalité immobilière, c’est-à-dire la taxe foncière, les droits de mutation à titre onéreux et l’impôt sur la fortune immobilière, en un impôt unique, sur le patrimoine, progressif, de 1 % et 1,5 % et qui s’appuierait sur la valeur nette des biens (valeur d’acquisition moins la dette). Cela bénéficierait aux ménages qui viennent d’acheter plutôt qu’à ceux qui en héritent, puisqu’il n’y a pas de dettes pour ces derniers. Une large partie de cet impôt serait reversée par péréquation aux villes qui construisent pour conduire une réelle politique d’aménagement du territoire.

Comment combiner l’impérieuse nécessité d’une certaine frugalité au besoin résidentiel pressant ?

Répondre au besoin résidentiel doit être fait en parallèle d’une contribution renforcée du logement à la transition environnementale. Je soutiens ainsi puissamment la "RE2020", dès lors que nous laissons la liberté de moyens aux acteurs de l’atteindre. Mais reste en haut de la pyramide de nos priorités le fait de se loger, puis se loger bien et enfin se loger vert. Soyons donc beaucoup plus souples sur le "zéro artificialisation nette" qui me semble un objectif dogmatique et appliqué trop abruptement dans un pays où la forêt gagne 85 000 hectares par an.

Propos recueillis par Alban Castres

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