Crise sanitaire, contexte géopolitique instable, inflation : l’industrie immobilière avance à l’aveugle depuis maintenant quelques mois. Julie Bonnemay-Israel et Natacha Loreau, associées fondatrices d’ABL Avocats, reviennent sur ces bouleversements et analysent les mutations à l’oeuvre.

Décideurs. Pourriez-vous nous présenter le cabinet ?

Julie Bonnemay-Israel. ABL Avocats est un cabinet spécialisé en droit immobilier et plus particulièrement en baux commerciaux. Créée il y a onze ans, notre structure, à taille humaine, n’a pas pour projet d’en intégrer une plus importante. Notre objectif est de continuer à accompagner nos clients, rester très disponibles et leur proposer des solutions, et non de faire du management ou de la communication. La marque de notre cabinet réside dans notre implication totale pour la satisfaction de nos clients qui nous est chevillée au corps. Nous venons toutes les deux de structures plus importantes et avons toujours constaté que le format "mastodonte" avait tendance à diluer la relation client. Nous avons donc choisi d’offrir à nos clients une alternative à ces structures pluridisciplinaires et de rediriger les demandes de nos clients sur les sujets que nous ne maîtrisons pas vers nos confrères spécialisés en la matière.

Natacha Loreau. Nous exerçons notre activité pour un portefeuille de clients très varié, de l’entreprise familiale à la multinationale cotée en Bourse. Nous avons développé une compétence transversale en droit immobilier mais notre coeur de métier reste le droit des baux. Nous intervenons ainsi dans la mise en oeuvre de stratégies, la négociation, la rédaction, la gestion et le contentieux des baux commerciaux (bureaux, boutiques, entrepôts logistiques, hôtels), professionnels et civils. La répartition de notre clientèle est équilibrée entre locataires et bailleurs.

Quel est le positionnement d’ABL Avocats ?

N. L. Nous avons conçu le cabinet comme un "cabinet boutique". Ce format à taille humaine nous permet de pratiquer des tarifs très raisonnables, pour un niveau d’expertise identique à celui de nos confrères des grosses structures et assurément pour un suivi plus personnalisé. Nos clients louent souvent notre disponibilité, notre réactivité et notre pragmatisme. Nous ne sommes pas seulement des praticiennes qui appliquent strictement le droit ; nous tâchons d’être stratégiques et créatives pour faire aboutir des opérations complexes. À la différence de certains confrères, nous n’avons jamais souhaité trancher entre bailleur et preneur car une bonne connaissance des intérêts des deux parties constitue un avantage tout le monde et généralement une satisfaction pour l’ensemble des intervenants.

J. B.-I. Travailler à la fois pour des propriétaires et des locataires nous permet, dans le cadre de négociations de baux notamment, d’avoir une vision de ce que chaque partie attend du contrat. Nous savons ce qui est acceptable pour chaque partie et surtout nous savons ce qui ne l’est pas. Nous essayons donc d’orienter nos clients avec ce regard croisé. Cette dualité nous permet d’expliquer clairement, d’avancer plus vite et de réduire les coûts de négociation. Nous sommes là pour faire aboutir les dossiers, pas pour les faire durer.

Quelles sont les ambitions du cabinet à court, moyen et long terme ?

J. B.-I. Nous sommes convaincues que le métier d’avocat ne se pratique pas en solo mais nous fonctionnons très bien toutes les deux avec notre équipe et n’avons donc pas l’ambition de nous développer à outrance.

N. L. Nous conseillons des clients avec lesquels nous avons développé une relation durable basée sur une grande confiance. Ils savent qu’ils peuvent nous joindre directement à tout moment et attendent ainsi de nous une grande réactivité. Encore une fois, nous avons éprouvé les travers des grosses structures et oeuvrons chaque jour à les gommer dans notre cabinet.

J. B.-I. Pour résumer, notre ambition réside dans la conservation de cet esprit "boutique" qui nous est cher, dans le prolongement de notre aventure avec nos clients ainsi que dans la préservation de cette relation de confiance.

Pourriez-vous revenir sur l’arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2022 ?

N. L. La Cour de cassation a indiqué que "la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance. Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers". Les trois arrêts du 30 juin sont ainsi venus clarifier la situation concernant le paiement des loyers pendant la période de pandémie. Ils ont le mérite de mettre un point final à la polémique en tranchant en faveur des bailleurs et en rejetant tous les arguments soulevés par les locataires pour se soustraire au paiement des loyers. C’est une bonne chose que la Cour ait tranché.

"Nous ne sommes pas seulement des praticiennes qui appliquons strictement le droit ; nous tâchons d’être stratégiques et créatives pour faire aboutir des opérations complexes"

J. B.-I. Ces décisions ne constituent pas une surprise puisque la plupart des juridictions inférieures s’étaient déjà orientées dans cette direction. Cela va permettre d’éviter de nouveaux contentieux sur ce sujet.

N. L. Préalablement à ces décisions, nous avions constaté que les bailleurs avaient, dans l’ensemble, accompagné leurs locataires pendant cette période d’incertitude. Nous sommes ainsi parvenues à faire régulariser de nombreux accords entre bailleurs et locataires et avons évité les contentieux judiciaires.

Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution des loyers en immobilier d’entreprise ?

J. B.-I. Nous n’avons pas le sentiment d’un énorme bouleversement du marché tertiaire mais plutôt la sensation d’une évolution des aménagements intérieurs comme avec le flex office. Le marché des bureaux reste très dynamique pour les actifs neufs ou restructurés même si l’on observe une disparité entre le QCA, le quartier de la Défense et le reste. Il existe une vraie stabilité des loyers faciaux dans certaines zones. Le développement de l’e-commerce et de nouvelles stratégies de distribution ont dynamisé le marché de l’immobilier logistique depuis plusieurs années. La pandémie a accéléré cette tendance générale.

N. L. Nous voyons également une reprise encourageante de l’activité des boutiques (tant en pied d’immeuble qu’au sein des centres commerciaux) avec un niveau de chiffres d’affaires qui se rapproche de la période pré-crise sanitaire et un niveau de vacance des locaux à la baisse. Néanmoins, les mesures d’accompagnement restent nombreuses pour permettre aux locataires de traverser une période qui reste fragile et incertaine, notamment en raison de la situation géopolitique et de ses conséquences inflationnistes impactant en particulier sur le pouvoir d’achat. Les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie sont probablement ceux qui ont le plus souffert et aujourd’hui encore nous tentons d’accompagner nos clients en les conseillant au mieux et en tentant notamment d’être créatives dans la rédaction des baux, afin de mettre en place un réel "partenariat".Les propriétaires, s’ils sont en général hostiles aux demandes de suppression des clauses dérogatoires à l’article 1195 du Code civil, sont réceptifs aux demandes de mise en place de clauses de rencontre en cas d’éventuelle nouvelle crise sanitaire.

Que pensez-vous de la médiation ?

N. L. La médiation est une très bonne chose en ce qu’elle permet notamment de désengorger les tribunaux qui sont aujourd’hui complètement asphyxiés. Nous sommes très favorables à la mise en place de clauses de recours à des solutions alternatives de résolution des conflits dans les contrats. L’intervention du médiateur permet souvent de mettre un terme – de manière satisfaisante pour chacune des parties – à un contentieux en devenir…
S’agissant de la médiation judiciaire, elle est devenue quasi systématique, y compris dans le monde des affaires.

J. B.-I. De notre côté, nous considérons que notre rôle de conseil doit nous conduire à accompagner nos clients pour trouver des solutions amiables en amont de tout contentieux judiciaire, et ce, en restant ferme lorsque l’intérêt du client l’exige. Un accord négocié est toujours préférable à un jugement, nécessairement ressenti comme une solution imposée surtout pour la partie perdante. Ceci se justifie encore plus dans le domaine des baux commerciaux dès lors que la relation contractuelle a vocation à durer. La médiation, même lorsqu’elle est judiciaire, peut ainsi permettre d’aboutir à des solutions rapides et pragmatiques. Néanmoins, la règle n’est pas absolue : il arrive que lorsque les parties se retrouvent devant le tribunal, c’est qu’elles ont épuisé leurs tentatives de trouver des solutions amiables. La médiation est alors difficile : premièrement, les parties peuvent alors être très ancrées dans leurs positions et il est délicat de les faire évoluer et deuxièmement, certains médiateurs ne sont pas suffisamment spécialisés. La médiation peut alors constituer une perte de temps car on ne peut pas exclure de se retrouver quatre mois plus tard devant le tribunal dans les mêmes conditions que celle de l’assignation.

Propos recueillis par la rédaction

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