Après avoir occupé différentes fonctions financières pendant près de vingt ans, Julien Bareaud intervient comme chasseur de tête dès 2017. Doté d’un large réseau et d’une vision éclairée du secteur, il accompagne entreprises intermédiaires et groupes de premier plan dans le recrutement de profils dits “pénuriques” (FP&A, consolideurs, CFO…), principalement sur des postes de middle ou top management. Capable de faire le pont entre le candidat et l’entreprise, il se pose aujourd’hui en conseil stratégique afin de créer des “match” solides et durables. Entretien. 

Décideurs. Quel est votre regard sur le recrutement des profils financiers aujourd’hui ? Quelles évolutions avez-vous pu observer ces cinq dernières années ? 

Julien Bareaud. Le recrutement dans le secteur financier connaît une réelle évolution depuis environ dix ans. Celle-ci s’explique par plusieurs facteurs, comme le développement des CSP [centres de services partagés, ndlr] présents en France comme à l’étranger. Mais aussi par l'émergence de nouveaux métiers à l’image des FP&A ou des postes liés à la transformation de la fonction financière. Les métiers de la finance sont de plus en plus techniques. Que ce soit sur des sujets de M&A, de tax, d’enjeux internationaux… On observe une plus grande diversité de projets au sein des fonctions financières. Le marché est très exigeant, si bien que les recruteurs recherchent des profils de plus en plus qualifiés. La question de la qualification est au cœur des stratégies de recrutement. Elle explique cette situation dite “pénurique” pour un certain nombre de postes.

 

"Il est, à mon sens, important de penser au recrutement en continu. Et pas uniquement lorsque le besoin est là" 


Que conseillez-vous aux entreprises qui souffrent justement de cette pénurie de profils et qui, par conséquent, peinent à recruter ?

Il est, à mon sens, important de penser au recrutement en continu. Et pas uniquement lorsque le besoin est là. Le modèle visant à “boucher un trou” dans l’urgence est un modèle à court terme qui n’attire pas les meilleurs profils, mais plutôt ceux qui cherchent à ajouter une ligne supplémentaire à leur CV. Les entreprises ont intérêt à scruter le marché, à échanger avec les candidats, à observer les tendances. Il est indispensable d’avoir une approche ouverte et de voir, à travers un candidat, non pas une fiche technique, mais un être humain avec un projet de carrière, une volonté de se former et une capacité à venir un jour prendre d’autres fonctions au sein de l’entreprise. De cette manière, le recruteur a un coup d’avance et anticipe les potentielles pénuries de candidats sur certains postes clés. Pour cela, il faut sensibiliser les managers, les inviter à sortir la tête des dossiers opérationnels afin d’adopter une approche consensuelle du recrutement et une réflexion sur le long terme. Cet état d’esprit permet d’agir d’autant plus efficacement, le jour où le besoin devient urgent. D’autres “bonnes pratiques” permettent aussi de combler les postes pénuriques, comme la construction d’un vivier de candidats, la réalisation d’un bon mapping des talents en interne, une animation efficace du processus de recrutement, un accompagnement adapté du candidat en période d’essai…

 

Vous intervenez sur ces profils dits “pénuriques”, comme celui de consolideur. Un cas pratique intéressant…

Effectivement. Le consolideur a un rôle spécifique. Pour faire simple, il est chargé “d’additionner” et de produire les états financiers d’une entreprise ou d’un groupe. C'est une fonction passionnante qui est de plus en plus au cœur du réacteur de l'entreprise. Les candidats qui répondent à ce type de projet sont rares sur le marché. Ils se connaissent tous. C’est un vivier très étroit. Pour attirer un consolideur – qui a généralement le choix entre plusieurs entreprises – , il est tout d’abord important de présenter de façon objective le projet. Les sociétés doivent aussi considérer les outils comme des éléments décisifs dans la stratégie de recrutement. J’ai déjà vu un candidat refuser un poste de consolideur parce que l’entreprise n’était justement pas dotée d’outils habituels (HFM ou BFC). Aujourd’hui, c’est encore plus vrai qu’auparavant, puisque les outils sont de plus en plus performants. Nous avons récemment vu émerger des solutions communes entre la gestion et la comptabilité. C’est le cas de “One Stream”, un logiciel qui va permettre de rebattre les cartes. Il est d’ailleurs déjà déployé par des grands groupes comme Auchan ou Accor. 

 

"Aujourd’hui, les profils financiers, comme les autres, changent d’entreprise lorsqu’ils ressentent une frustration, ou un manque d’alignement. Ils sont globalement volatiles" 


Qu’en est-il des fonctions de DAF ? 

On ne recrute pas un DAF aujourd’hui comme on le faisait il y a quelques années. Le titre de “DAF” n’est plus aussi parlant qu’auparavant, car il existe, dans la réalité, un très grand nombre de situations possibles. Certains DAF ont, par exemple, connu des situations de contextes classiques, d’autres affichent des expériences au sein de groupes cotés, ou d’entreprises sous LBO. D’autres encore sont habitués aux environnements en forte croissance, ou en transformation. Ils ont pu intervenir sur des IPO, des opérations de carve-out, ou de déplacement de trésorerie à l’étranger… Ce qui est pertinent, pour le recruteur, c’est de regarder l’agilité des candidats et leurs compétences factuelles. Je suggère d’ailleurs à ces derniers, lorsqu’ils sont en phase de recrutement, de parler des missions qu’ils ont pu mener concrètement, plutôt que d’évoquer un titre, une fonction. Ce qui compte aujourd'hui, pour le candidat comme pour le recruteur, c’est le projet. Il est important pour les entreprises d’avoir cet élément en tête et de ne pas se contenter de chercher à attirer un candidat en lui offrant uniquement un joli titre. Mais de veiller à mentionner les évolutions possibles au sein de la fonction – diversité des missions annexes, par exemple –, ou, par la suite,les opportunités en interne ou les passerelles possibles au sein de l’entreprise… C’est ce qui fera la différence. 

 

Autre difficulté pour les recruteurs : la grande démission observée ces dernières années et la volatilité des candidats. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

La grande démission est un phénomène observé aux États-Unis en 2020 à la suite de la crise sanitaire. Celui-ci a poussé des millions d’américains à repenser totalement leur vie professionnelle et leur cadre de travail. Ce phénomène se ressent aussi en France. Les profils financiers n’hésitent désormais plus à changer de cadre lorsqu’ils ressentent une frustration ou un manque d’alignement. Ils sont globalement plus volatiles. C’est une réalité qui bouscule les entreprises et les contraint à revoir leur stratégie de recrutement. Pour attirer les meilleurs profils mais aussi espérer les retenir, elles doivent désormais les intégrer dans l’histoire de l’entreprise, leur détailler le projet mais aussi évoquer avec franchise les évolutions, lorsqu’elles sont possibles au sein de ce poste ou plus largement dans la société. De façon globale, selon moi, un recrutement efficace est celui à travers lequel un candidat apporte ses compétences et démontre une motivation pour le projet qui lui est proposé. Il faut également que l’entente relationnelle, humaine avec les équipes soit au rendez-vous. Ce sont trois éléments clés – compétence, motivation et entente relationnelle – que j’ai en tête lorsque j’accompagne une entreprise, ou lorsque je conseille un candidat. Mon objectif est de créer des “match” efficaces, solides et pérennes. Pour cela, il faut que le candidat et le recruteur soient éclairés sur la situation et les aspirations de l’un et de l’autre. Par ailleurs, naturellement, je travaille toujours “à compétences égales”. Quel que soit le poste, quel que soit le recrutement, je veille au respect des 25 critères prévus par la loi.

 

Propos recueillis par Capucine Coquand 

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024