Alors que depuis quelques mois les levées de fonds à six chiffres se font rares, Innovafeed, start-up de l’Agritech spécialisée dans la production d’ingrédients à base d’insectes, réalise une série D à 250 millions d’euros. Un tour de financement mené par de nombreux fonds souverains, des investisseurs institutionnels et des leaders industriels qui ont en ligne de mire d’investir dans la sécurité alimentaire de demain.

Décideurs. Les consommateurs semblent encore assez réticents à consommer des insectes, pourquoi avoir fait le choix de se lancer dans cette production ?

Clément Ray. En 2016, quand nous avons créé Innovafeed avec Aude Guo et Bastien Oggeri nous avions pour ambition d’utiliser le potentiel de l’insecte pour rendre le système alimentaire plus durable et respectueux de l’environnement. L’idée est simple: redonner à l’insecte la même place qu’il a dans la nature, c’est-à-dire recycler des déchets organiques pour nourrir des insectes eux-mêmes réintroduits et les réinjecter dans la chaîne alimentaire, car ils sont naturellement consommés par des oiseaux, des poissons, entre autres.

Nous avions aussi la conviction que, pour avoir une forte incidence, il fallait créer un modèle à grande échelle et construire la technologie et le modèle industriel adaptés. Une prise de conscience concomitante avec l’évolution de la législation européenne. Dès 2017, un règlement, qui a autorisé l’utilisation d’insectes pour la nourriture animale, a donné l’impulsion nécessaire au démarrage de la filière.  

Aujourd’hui, nous produisons des farines, des huiles et des engrais à destination de l’aquaculture - qui représente près de 50% de notre carnet de commande - mais aussi pour des animaux domestiques et, dans une moindre mesure, pour la consommation des porcs et volailles.

La France est réputée pour être assez avancée dans la production à base d’insectes, comment l’expliquez-vous et qu’est-ce qui différencie Innovafeed dans ce paysage ?

En France, il y a rapidement eu une certaine visibilité de la filière et un soutien de la part de la recherche et des pouvoirs publics. Même si la barrière à l’entrée reste élevée en raison des technologies et des infrastructures à développer, depuis 2017 les évolutions réglementaires en Europe mais aussi outre-Atlantique ont encouragé la création d’un marché mondial. Effectivement, aujourd’hui, parmi les 400 acteurs dans le monde, on compte 3 français parmi les plus importants.

Notre différence est notre modèle industriel à faible impact environnemental. Nous nous implantons à côté de nos fournisseurs, ce qui limite le coût et l’impact liés au transport des déchets dont se nourrissent les insectes et qui constituent notre matière première. Cette technologie, que nous sommes seuls à posséder, nous permet d’avoir une emprunte carbone inférieure à 80% par rapport au reste du marché.

Enfin nous avons également une composition de capital atypique avec les deux géants mondiaux de l'agroalimentaire Archer-Daniels-Midland Company (ADM) et Cargill qui sont arrivés lors de ce dernier tour de financement.

Vous comptez aussi beaucoup de fonds souverains dans votre capital, comment expliquez-vous leur engouement pour votre projet ?

Effectivement, l’opération a été menée par des fonds souverains dont Qatar Investment Authority (QIA), Temasek, le fonds souverain singapourien mais aussi Bpifrance et d’autres investisseurs institutionnels comme Creadev, le family office de la famille Mulliez. L’exigence de ce type d’investisseur n’est pas d’avoir un retour sur 5 ans, ils sont moins sensibles aux évolutions à court terme. Ce qui les intéresse ce sont les grandes tendances de fond et, notamment, les services dont le monde aura besoin dans le futur. Or sécuriser l’alimentation de demain et réduire l’impact environnemental sont précisément deux enjeux qui les attirent

Malgré un repli des volumes des levées de fonds en France, vous avez réalisé une série D à 250 millions d’euros, était-ce compliqué dans le contexte actuel ?

Ce n’est jamais facile de lever des fonds. Nous avons commencé en février et avons clôturé le tour en juin après avoir été relativement sursouscrits, ce qui nous a amené à monter notre objectif initial de 200 150 millions à 250 millions d’euros.

Malgré un contexte de marché délicat, nous avons bénéficié d’une dynamique favorable en raison de notre horizon de retour plus lointain que ceux traditionnellement observés dans la French Tech, ce qui nous rend moins vulnérables aux fluctuations des prochains mois. D’autre part, nous avions sécurisé un carnet de commandes de 100 000 tonnes d’ingrédients jusqu’en 2024 ce qui réduisait considérablement le risque pour nos investisseurs.

A quoi va servir cette levée de fonds ?

Il y a trois poches principales : l’une dédiée à l’expansion de notre site dans la Somme, l’autre au lancement d’une usine aux Etats-Unis avant la fin 2022, et enfin l’investissement dans la technologie et la R&D, car ce marché est en perpétuelle construction. Pour cela, nous avons étoffé notre équipe en recrutant Yves Amsellem comme Chief Operating Officer, auparavant chez Danone. Il contribuera au développement commercial et opérationnel.

A terme, visez-vous la nutrition humaine ?

Même si cela va mettre du temps à se développer, c’est un marché auquel nous croyons. La proposition de valeur est forte avec une vraie performance environnementale et sanitaire à la consommation de ce type d’aliment. En conséquence, nous développons des produits à destination des humains comme des substituts de viande par exemple. Cependant, la route est longue et, dans de nombreux pays, le consommateur n’est pas près mais cela évolue vite, notamment aux Etats-Unis où le cadre réglementaire est même relativement propice au développement de cette industrie.

Propos recueillis par Céline Toni

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