18 mois après la fermeture du marché du financement, Astorg Partne a réalisé le tour de force de réorganiser le capital de Gras Savoye.

18 mois après la fermeture du marché du financement, Astorg Partners a réalisé le tour de force de réorganiser le capital de Gras Savoye. Les banques ont su souscrire une dette de 150 millions d’euros qui permet aux intervenants de valoriser le premier courtier d’assurances français près de 500 millions. Prochain rendez-vous en 2015 lors du débouclage prévu de l’opération.

Douze ans après leurs fiançailles, Gras Savoye et Willis ont dû réfléchir à un nouveau cadre de vie commune. Travaillant en partenariat depuis les années 70, les deux groupes avaient en effet formalisé leurs relations en ouvrant le capital du courtier d’assurances français à son homologue anglo-américain.

Seulement, au terme du délai prévu initialement, Willis s’est trouvé face à un difficile dilemme. L’accord trouvé en 1997 avec les actionnaires de Gras Savoye prévoyait en effet qu’en 2010 le courtier américain puisse exercer un call (option d’achat) pour porter de 48 % à 50,1 % sa participation tout en permettant à tout actionnaire d’exercer leur put (option de vente) jusqu’en 2012.

Si le partenariat entre les deux groupes est une réussite, les dirigeants de Willis n’ont pourtant plus les coudées aussi franches qu’il y a quelques années. Très rentable, le troisième courtier d’assurances mondial n’en a pas moins acquis au prix fort Hilb Rogal & Hobbs (HRH), le huitième acteur américain. Les 2,1 milliards de dollars déboursés juste avant la chute de Lehman Brothers pèsent aujourd’hui très lourd dans la balance.

La valeur du groupe Gras Savoye est inférieure à celle de HRH mais la mise en œuvre d’un second chantier d’intégration semble une gageure dans les conditions actuelles de marché. En dépit du contexte post-Lehman, le courtier français vaut autour de 500 millions d’euros. Premier acteur hexagonal et présent dans 36 pays, le groupe réalise un chiffre d’affaires de 541 millions d’euros (2008).


Le LBO en  alternative.

Tout en se réjouissant de la réussite de son partenariat transatlantique, la direction de Willis préfère remettre à plus tard l’opération hexagonale. « Malgré le calendrier et l’arrivée au terme de notre accord, nous n’avions aucune raison particulière de nous précipiter », rappelle Patrick Lucas, le P-dg de Gras Savoye. « Notre préoccupation était de préserver les intérêts de l’ensemble des actionnaires et de consolider l’avenir de l’entreprise et c’est donc tout naturellement que nous avons décidé d’un commun accord d’envisager de nouvelles solutions. »

Pour l’équipe dirigeante de Gras Savoye, le cahier des charges semble évident. « Il nous fallait respecter la volonté des membres des familles souhaitant sortir du groupe tout en trouvant une solution stable et pérenne », explique Patrick Lucas. « Pas question par ailleurs de remettre en cause notre modèle de développement ni les liens que nous avons su développer ces dernières décennies avec Willis », ajoute-t-il.

La mise en place d’un LBO s’impose rapidement comme la meilleure alternative envisageable. Sans avoir encore été aux premières loges d’une opération à effet de levier, Patrick Lucas en connaît déjà les tenants et aboutissants. « J’étais au conseil d’administration de Willis lors de la montée de KKR à son capital », se souvient-il. « Et puis, j’ai travaillé toute ma vie comme courtier », s’amuse-t-il à rappeler : « proposer des solutions alternatives, c’est presque un leitmotiv ».

D’une discussion à l’autre, le choix d’un conseil s’impose rapidement comme obligatoire. Recommandé par Willis, Close Brothers - encore dirigé par Olivier Dousset - est finalement mandaté pour accompagner Gras Savoye dans le processus de réorganisation de son capital.
La crise financière est pourtant au plus fort. Pas un LBO de taille significative n’a été bouclé depuis l’été 2008. La direction de Gras Savoye entend par ailleurs donner un rythme soutenu aux discussions : une solution – pouvant être le statu quo – doit être trouvée pour la fin 2009.

Les conseils soumettent rapidement une première liste d’une demi-douzaine de fonds d’investissement. Parmi eux se trouvent notamment LBO France, Sagard et Astorg Partners. « Les liens de Xavier Moreno avec l’équipe de direction de Gras Savoye faisaient d’Astorg celle ayant le moins de possibilités d’emporter l’opération au départ des négociations », précise Patrick Lucas. Ainsi que le rappelle Xavier Moreno, « avant de nous porter candidats à l’opération, j’ai pris la précaution de prévenir les dirigeants de Gras Savoye pour m’assurer qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt ». Bien lui en a pris quand on constate l’issue finale de l’enchère.

Mais y-a-t-il réellement eu enchère ? Pas au sens premier du terme car le prix de l’opération était fixé dès le début du processus. Afin de ne pas léser les actionnaires familiaux souhaitant vendre, tout accord doit correspondre au cadre mis en place avec Willis, soit une valorisation d’environ 475 millions d’euros (8xEbitda pondéré sur les deux dernières années). « Pour un investisseur, c’est une forme de luxe que de ne pas avoir à se battre sur le prix dans une enchère mais d’être sélectionné sur des critères qualitatifs », relève Xavier Moreno. « Cela permet de se concentrer immédiatement sur ce qui a vraiment de l’importance, à savoir la stratégie de l’entreprise et ce que nous pouvons lui apporter », poursuit-il.

Si le prix est d’ores et déjà fixé, reste cependant à mettre en place le financement. Et la tâche semble particulièrement ardue alors que les banques n’ont été convaincues par aucun autre projet de LBO doté d’un financement supérieur à une centaine de millions d’euros. La réorganisation capitalistique de Gras Savoye place la barre plus haute encore avec une dette senior d’environ 150 millions d’euros.


La qualité de la cible convainc les banques de prêter 150 M€.

Par l’entremise de Close Brothers, les candidats peuvent travailler avec deux pools distincts de banques de financement ayant accès à l’ensemble de la documentation : un premier comprenant cinq banques, est prioritaire sur le montage de la dette d’acquisition ; le second doit permettre de remplacer toute banque du premier panel se désistant au cours des négociations. À l’approche de l’été, certaines banques souhaitent cependant qu’une décision définitive soit prise concernant la composition finale du pool bancaire.

En juin 2009, quatre facilitateurs sont désignés (BNP Paribas, Calyon, CM-CIC et HSBC) au même titre que le reste du syndicat bancaire (Banque palatine, Crédit du Nord, IKB, Natixis, Société générale). Pourtant intégrée au pool, WestLB subit de plein fouet la crise financière pour finalement disparaître.
Pour les investisseurs encore en lice, le sort en est également jeté. Malgré l’arrivée d’Olivier Dousset au sein de LBO France, cette équipe est finalement la première du triumvirat d’investisseurs restants à devoir jeter l’éponge. « Le protocole était clair : une décision devait être prise pour la fin de l’année », précise Patrick Lucas. « Le nombre de questions émises par les fonds était tel, la charge de travail du fait des réponses augmentant de façon exponentielle, il devenait urgent de réduire le nombre de prétendants si nous voulions aller au bout du processus ».

Sagard et Astorg Partners s’affrontent dans la dernière ligne droite. « Quand il n’y a pas de grilles remplies de chiffres, les relations humaines passent au premier plan », enchérit le dirigeant. « Les deux dernières équipes étaient particulièrement motivées. Elles nous ont prouvé qu’elles comprenaient notre métier, nos préoccupations. Seulement, une opération de ce type se gagne souvent sur le petit plus subjectif ». Et c’est Astorg Partners qui l’emporte. « Mes équipes ont rencontré chacun des finalistes et j’ai eu la satisfaction de constater lors de nos dernières conversations qu’un consensus existait concernant le choix de notre nouveau partenaire », conclut-il.

Début août, tout juste entré en exclusivité, les équipes d’Astorg Partners prennent contact avec Royal Bank of Canada pour disposer d’une proposition de financement alternatif. « Dans un laps de temps particulièrement court, leurs équipes ont accompli un travail exceptionnel », loue Christian Couturier, associé chez Astorg Partners. « Plus encore, ils sont parvenus à nous remettre leur engagement le 11 novembre, soit un jour avant le pool initial. »

Disposant de termes plus souples, l’offre de Royal Bank of Canada reste pourtant plus chère que celle du pool bancaire et ne permet pas de garantir immédiatement la syndication.

Avant de parvenir à ce résultat, les discussions ont été longues entre l’entreprise, les investisseurs et les banques. « Jamais je n’aurais envisagé auparavant que le processus puisse être si compliqué », admet Patrick Lucas. « Durant huit mois, nous avons servi de cobaye et permis de comprendre où se situait le marché dans le contexte de crise. »

Pour les banques, l’optimisation de l’intégration fiscale du groupe est un premier sujet de réflexion. Les équipes de Gras Savoye et d’Astorg Partners travaillent ainsi sur le rachat des positions détenues par des minoritaires dans sept filiales régionales du courtier. « Pour convaincre les actionnaires de l’intérêt de vendre leur participation dans ces filiales, nous leur avons proposé d’intégrer le pool actionnarial proposé initialement à 200 managers de la maison mère », explique Christian Couturier.
La gouvernance entre les actionnaires fait également réfléchir les banques. Contrairement à la plupart des LBO classiques, ou en tout cas réalisés avant-crise, Astorg Partners reste minoritaire dans le nouvel ensemble. « Il nous a fallu rassurer les banques en leur expliquant qu’il ne pouvait pas y avoir de situation de blocage », développe Christian Couturier. « Si les prérogatives d’actionnaires majoritaires qu’ont généralement les investisseurs en capital sont impossibles à mettre en place dans Gras Savoye, l’alignement d’intérêts entre les actionnaires est suffisamment fort pour compenser ce facteur d’incertitude », ajoute-t-il. « La transmission du pacte d’actionnaire a terminé de dissiper les doutes ».
Les derniers mois ont permis aux banques de constater la faiblesse du fonctionnement des sûretés face à la procédure de sauvegarde. Belvédère, Cœur Défense, Financière Helios sont autant d’expériences amères pour les banques de financement. Quand les créanciers nantissaient auparavant leurs prêts avec les titres de la cible détenus par la holding d’acquisition, la solution actuelle prévoit un nouveau niveau de garanties : désormais, les banques disposent également d’un nantissement sur les titres de la holding d’acquisition. Compliqué à mettre en place du fait de la présence de nombreux actionnaires familiaux, le système du « cautionnement réel » préfigure certainement des prochains montages de financements LBO.

Convaincues, les banques souscrivent un financement composé d’une dette senior à hauteur de 145 millions d’euros (87 millions d’euros pour la tranche A rémunérée à 4,35 % ; 58 millions d’euros pour la tranche B rémunérée à 4,85 %) complétée d’une ligne d’acquisition de 20 millions d’euros.
Pourtant contactés lors des négociations, les mezzaneurs ne sont pas parvenus à proposer d’offres satisfaisantes. « Leurs propositions étaient conformes au marché », explique Christian Couturier. « Cependant, l’écart entre le rendement du capital et celui de la mezzanine n’était pas assez important pour nous convaincre de les intégrer dans le montage ». Un crédit vendeur (souscrit par Willis et les actionnaires familiaux) de 65 millions d’euros (avec un coupon cash annuel de 6 %) remplace donc la tranche de mezzanine.


Un débouclage prévu pour 2015.

L’affaire conclue, le capital de Gras Savoye se répartit désormais à parts égales entre les familles Gras et Lucas, le groupe Willis et Astorg Partners, chacun avec 31,8 % du groupe pour un investissement en numéraire de 91 millions d’euros. Le solde, à savoir 4,5 %, revient aux managers inclus dans le package. « Nous ouvrirons dans un second temps le capital à l’ensemble des salariés souhaitant devenir actionnaires de leur entreprise », annonce d’ailleurs Patrick Lucas.
Le courtier américain dispose pour l’avenir d’un call exerçable en avril 2014 (soit un an avant l’échéance) sur l’ensemble du capital du courtier d’assurances hexagonal. Le prix de l’option sera alors basé sur un multiple pondéré entre le chiffre d’affaires (pour 40 %) et l’Ebitda 2013 et 2014 (pour 60 %).
En attendant ce prochain rendez-vous, la réduction de la participation de Willis dans Gras Savoye (de 46,2 % à 31,8 %) permet au groupe d’obtenir 108 millions d’euros de liquidités qui permettront de rembourser une partie de la dette existante.

À l’instar du rôle de KKR lors du LBO sur Willis, les équipes d’Astorg Partners auront fort à faire pour accompagner Gras Savoye dans la poursuite de son développement. Lors de l’annonce de l’opération, la direction de Willis se félicitait d’ailleurs de l’arrivée de l’investisseur, susceptible « d’accélérer la mise en place du plan stratégique durant les cinq prochaines années ».

Si Patrick Lucas mise avant tout sur les forces internes de son groupe, des opérations ciblées de croissance externe sont largement envisageables. Le renforcement de certaines spécialités, l’optimisation du maillage régional, la croissance internationale seront au rang des principaux chantiers de la firme centenaire. « Nous sommes sans doute l’un des rares courtiers à être présent dans toutes les spécificités de l’assurance », souligne-t-il.

L’optimisation des systèmes d’information du groupe s’inscrira comme l’autre priorité. « Avant d’être un courtier, Gras Savoye se veut tout d’abord le conseil de ses clients », assène son président. « Le courtage mais aussi la gestion font partie de notre ADN. Notre vision se veut assurément sur le long terme dans l’accompagnement de nos interlocuteurs. » Si la gestion bénéficie de marges inférieures au courtage, Gras Savoye restera fidèle à son positionnement et n’abandonnera pas ce segment d’activité. Sous la houlette de Patrick Lucas, son groupe restera un courtier d’assurances pas tout à fait comme les autres.

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