Promis-juré : Emmanuel Macron et son gouvernement ont changé. Désormais, l’heure est au dialogue et au compromis. Une évolution que les négociateurs syndicaux n’ont pas observée. Calendrier court, technocratie, manque d’écoute laissent globalement un goût amer aux intéressés.

Il suffit d’écouter les discours de l’opposition comme ceux de la majorité pour être certain d’une chose : la réforme des retraites est plus systémique qu’anecdotique. Ce qui suppose des négociations de fond entre exécutif et représentants syndicaux. Deux forces habituées à dialoguer et à prendre le temps de partager leurs divergences.

Consultations : vite fait mal fait ?

Mais, dans le cadre de l’actuel projet de loi, le temps semble devenu une denrée rare. "Deux mois et demi entre octobre et mi-décembre, c’est le délai qui nous fut accordé pour avoir des discussions de fond. Ce qui est très court pour un tel sujet", regrette Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT en charge de la réforme des retraites. Une déception qui rejoint celle des parlementaires de l’opposition qui ont eux aussi déploré le faible nombre de jours consacrés au débat. Si Yvan Ricordeau considère que les deux séances de travail auxquelles il a pris part furent de qualité, le syndicaliste exprime son mécontentement de ne pas avoir réussi à trouver de compromis avec le gouvernement. "Les concertations ont été contraintes tant sur le temps que sur le fond."

Concernant le recul de l’âge légal, principal point d’opposition des syndicats, l’Élysée a de toute manière fait comprendre qu’il ne céderait pas. Pour parachever ce sentiment de négociation menée à la hussarde, aucune conférence conclusive n’a eu lieu entre les négociateurs syndicaux et Olivier Dussopt qui a toutefois pris part à une réunion de lancement le 5 octobre.

"Deux mois et demi. C'est le délai qui nous fut accordé pour avoir des négociations de fond, ce qui est très peu pour un tel sujet"

Projet ancien

Du côté d’Éric Chevée, vice-président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) en charge des affaires sociales, le retour est différent puisqu’il se réjouit d’une concertation "qui n’a pas été bâclée". Le faible nombre de réunions tenues sur les derniers mois n’est pas selon lui un bon indicateur dans la mesure où cabinets ministériels et représentants syndicaux "travaillent sur le projet depuis cinq ans". Une durée qui a permis au syndicat "d’avoir l’oreille du pouvoir et de faire avancer un bon nombre de propositions, notamment sur la pénibilité. Un grand pas a été effectué avec la notion de l’usure professionnelle qui incitera à la prévention au sein des entreprises." Mais le syndicaliste pointe le fait que des "incertitudes persistent concernant le maintien du dispositif Agirc-Arrco ou la garantie des 1 200 euros minimum".

Promesse trahie

Les séances de travail trop peu nombreuses et un manque d’écoute global ont surpris les négociateurs puisque cela va à l’encontre des propos tenus par Emmanuel Macron durant la dernière présidentielle. "Il nous avait promis de gouverner différemment lors de son second quinquennat. Or, rien n’a changé. Le gouvernement légifère comme il avait prévu de le faire", constate Yvan Ricordeau.

Réputée peu portée sur la recherche de compromis, la majorité ne semble pas avoir changé ses méthodes d’un quinquennat à l’autre. Pourtant, le président de la République fraîchement réélu avait annoncé quitter le rôle de Jupiter ou de maître des horloges pour celui d’Héphaïstos, dieu réputé pour forger patiemment. Bien que favorable à la réforme sur le fond, le Medef a lui aussi déploré le manque d’écoute de l’exécutif et l’a appelé à accorder davantage de place au dialogue social. Dans une vidéo postée sur LinkedIn le 23 février, le "patron des patrons", Geoffroy Roux de Bézieux, a interpellé Emmanuel Macron pour l’inciter à tenir ses promesses : "L’État ne pourra plus faire sans les syndicats, il ne pourra plus faire l’économie de les associer aux prochaines réformes pour instaurer cette République contractuelle que le président de la République appelait de ses vœux au début de son mandat."

"Le gouvernement légifère comme il avait prévu de le faire"

Technocratie

Malgré tout, lorsque l’on évoque les négociations entre syndicalistes et représentants du gouvernement, le cliché répandu consiste à qualifier ces derniers de technocrates. Les réformes passent, l’image demeure. Or, il apparaît que ce n’est pas tant cela qui est reproché par les syndicats : "Il est courant de critiquer les technocrates, nous en avons besoin, ils ne sont pas à décrier", reconnaît Yvan Ricordeau qui note en revanche "un manque cruel de véritables connaisseurs des réalités du monde du travail, du dialogue social et des syndicats." Éric Chevée souligne également "le déficit de prise en compte des acteurs de terrain" car, explique-t-il, "nous sommes dans un système hybride où l’État et les partenaires sociaux pilotent tout. La direction par les hauts fonctionnaires crée de nombreuses confusions."

De Juppé à Borne

Pour juger la qualité du dialogue social, la comparaison est souvent établie avec 1995. Or les deux situations n’ont en réalité pas tant de points communs. Le projet alors défendu par Alain Juppé portait sur la réforme des retraites, mais aussi sur celle de l’assurance maladie, d’où des négociations forcément plus longues et plus complètes. En plus d’une réforme du système de pension, "il s’agissait également de la prise en main par l’État de la Sécurité sociale", rappelle Éric Chevée.

Greève

De même, en 1995, milieux syndicaux et opposition de gauche avaient accordé leurs violons et menaient conjointement la charge contre le gouvernement. Près de trois décennies plus tard, les relations sont plus tendues. Les syndicats préconisaient un vote sur l’article 7 prévoyant d’allonger la durée légale de cotisation. Mais Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la gauche française, a demandé à ses troupes de jouer la carte de l’obstruction parlementaire et a tancé ses alliés communistes, écologistes et socialistes plus réservés sur cette stratégie.

Ce qui a hérissé Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, qui est allé jusqu’à déclarer que LFI "n’était pas un allié du mouvement social", opinion partagée par Laurent Berger, son homologue de la CFDT. Un point de similitude semble toutefois ne pas avoir échappé à Yvan Ricordeau  : "Une analogie flagrante existe. Nous sommes confrontés à deux premiers ministres droits dans leurs bottes, campés sur leur position et ne prenant pas en compte la rupture qui s’établit dans le pays." Et cela malgré une mobilisation populaire importante prévue le 7 mars. Si les mouvements sociaux de 1995 restent ancrés dans les mémoires, le membre de la CFDT précise que, "selon les statistiques de la police, le mouvement de 2023 est plus important et se trouve porté par davantage de secteurs professionnels". Reste à savoir si la rue permettra ce que les négociateurs syndicaux ne sont pas parvenus à obtenir : des concessions importantes de la part du gouvernement.

Elsa Guerin

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