L’entreprise démocratique, une douce utopie ? Pas pour Déborah Romain-Delacour, docteure en psychologie sociale et psychologue du travail. La consultante, coach et formatrice, auteure notamment de "Devenir un bon manager", estime que,pour répondre aux attentes des collaborateurs d’aujourd’hui, les leaders doivent laisser davantage de pouvoir à leurs équipes.

 Décideurs. Pourquoi vous intéressez-vous au principe d’entreprise démocratique ?

Déborah Romain-Delacour. Les entreprises ont de plus en plus de mal à recruter et fidéliser les talents. On le voit à travers trois grandes tendances. D’abord, la grande démission, phénomène que l’on observe aux États-Unis, arrive en France. On en constate également un autre, celui du retrait précoce, avec des gens qui travaillent dur pendant plusieurs années, placent leur argent et prennent leur retraite le plus tôt possible, à 50, 40, voire 30 ans dans certains cas. Enfin, le phénomène de dé-travail collectif consiste à dire : pourquoi passer sa vie au travail et se créer des problèmes de santé alors qu’on pourrait y consacrer moins de temps ? C’est ce qu’on voit, par exemple, avec l’envie pour certains de passer à la semaine de quatre jours. La volonté de vivre en dehors de la valeur travail ou, au moins, d’avoir un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle est une tendance qui n’existait pas il y a encore quelques années. Les entreprises doivent s’adapter et proposer un cadre de qualité.

La démocratie d’entreprise peut répondre aux attentes nouvelles. En quoi cela consiste ?

Il s’agit de réfléchir à un moyen de redistribuer le pouvoir au sein des entreprises, de ne plus être dans un pouvoir très pyramidal, mais avec des équipes et des personnes qui vont s’organiser de manière autonome et indépendante. Ce concept renvoie à celui d’holacratie, à savoir la redistribution de l’autorité en mettant en place de petites équipes qui vont s’entendre entre elles. Le principe consiste à sortir du leadership autoritaire pour aller vers davantage d’échanges, de libération de la parole et de discussions. Attention aux dérives : donner l’impression d’être dans une entreprise qui écoute ses salariés mais qui, en réalité, ne leur permet pas de peser sur les décisions. Ou encore imposer une entreprise démocratique, laquelle ne serait pas construite avec les gens, ce qui serait contre-productif. La démocratie n’est pas toujours considérée comme une panacée.

"Il est important d’impliquer les salariés dès le départ, avant même que la décision de basculer dans une entreprise démocratique soit prise"

Dans un même pays, certains ont l’impression que le gouvernement manque d’autorité quand d’autres s’estiment vivre sous la dictature. En entreprise, la démocratie ne fait-elle pas face aux mêmes écueils ?

C’est pour cela qu’il est important d’impliquer les salariés dès le départ, avant même que la décision de basculer dans une entreprise démocratique soit prise. Être davantage libre, cela a un prix. Tout le monde ne veut pas le payer et il ne faut pas que les collaborateurs aient l’impression que le dirigeant devienne une sorte de gourou novateur qui vient révolutionner leur manière de travailler alors qu’ils n’avaient rien demandé. Il faut amener les collaborateurs à expliquer comment ils voient le pouvoir, comment ils aimeraient qu’il soit distribué avant d’imposer un système révolutionnaire.

Est-ce qu’il y a un profil type de leader capable d’aller vers ce type d’entreprise ?

Il faut des personnalités qui n’aient pas de difficultés à déléguer, ce qui implique de perdre un peu de pouvoir. Certains patrons ont l’impression que leur salaire est notamment justifié par le fait qu’ils prennent les décisions. Si celles-ci sont renvoyées aux collaborateurs, comment légitiment-ils leur rôle ? Il y a également la question de la responsabilité des décisions prises par d’autres. Mais à bien y réfléchir, quand on délègue à ses équipes, elles montent en compétence et les risques d’erreur finissent par diminuer. Si elles exécutent strictement des ordres et font tout valider, le patron aura peut-être l’impression de limiter les risques mais ce sera une illusion, et ce d’autant plus lorsque les collaborateurs n’osent pas échanger réellement avec lui. 

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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