Le recul de l’âge de départ à la retraite remet sur la table la question de l’employabilité des seniors. Les partenaires sociaux réfléchissent à un nouvel accord sur le sujet mais le combat pour faire évoluer les mentalités ne passera pas que par la loi.

La réforme des retraites a essuyé des critiques sur bien des aspects. Parmi eux : le report de l’âge légal de départ qui vient ajouter une difficulté supplémentaire aux seniors, lesquels ont déjà pour beaucoup bien du mal à conserver ou retrouver du travail passé un certain âge. C’est pourquoi Emmanuel Macron avait promis que la révision des textes irait de pair avec une réflexion autour du maintien de l’emploi des salariés de plus de 45 ans. Problème : le Conseil constitutionnel a censuré en avril deux mesures qui allaient dans ce sens. Ces dispositions ? Le CDI et l’index seniors qui n’ont pas leur place dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, selon les Sages. Depuis, le gouvernement s’est engagé à transposer dans la loi un éventuel accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux sur le sujet. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, espère un compromis d’ici à la fin de l’année.

Nombreux mais invisibilisés

D’une manière ou d’une autre, des avancées seront nécessaires pour répondre aux défis à venir. La France compte 26 % de personnes de plus de 60 ans, soit un habitant sur quatre. En 2040, ce sera près d'un sur trois. Or, le taux d’employabilité des seniors atteint 56,9 % dans l’Hexagone, contre 62,3 % en Europe, selon les données publiées en septembre par la Dares. Si le gouvernement peut se réjouir que les choses évoluent dans le bon sens (le taux français n’était que de 32 % dans les années 2000) - notamment grâce aux précédentes réformes et à la fin de la stratégie des départs massifs à la retraite -, la situation reste problématique.

Le taux d’employabilité des seniors atteint 56,9 % dans l’Hexagone, contre 62,3 % en Europe

Ces chiffres cachent également quelques disparités. Sans grande surprise, le taux d’emploi diminue nettement avec l’âge. En 2022, il était de 82,5 % pour les 25-49 ans puis de 76,4 % pour les 55-59 ans et de 36,2 % pour les 60-64 ans. Les employés et les ouvriers se retrouvent plus souvent au chômage que les cadres, les agriculteurs, les commerçants et les chefs d’entreprise. Autre enseignement de l’étude : le taux d’emploi des femmes est proche de celui de la moyenne de l’UE (respectivement 55,5 % et 56,2%) mais reste trop bas.

Offre vs demande

Paradoxalement, si les seniors peinent à trouver du travail, certains secteurs n’arrivent pas à recruter. Comment faire correspondre l’offre et la demande ? Deux grands freins subsistent. "Le cadre juridique n’aide pas, estime Juliette Matharan, cofondatrice de Polare qui accompagne les plus de 45 ans pour leur permettre de retrouver leur place sur le marché du travail. Les entreprises craignent que les collaborateurs ne partent jamais à la retraite ou que, s’ils se montrent réfractaires au changement et que le recrutement ne convienne pas, cela leur coûte cher."

À bas les clichés

Les stéréotypes ont la vie dure. "Les entreprises pensent que les salariés les plus âgés touchent des rémunérations plus élevées que les autres populations, poursuit Juliette Matharan. Certes, en moyenne elles gagnent plus mais c’est une moyenne." Autre poncif : les seniors se montrent peu flexibles. "Comme pour les jeunes, on a tendance à mettre toute une génération dans le même sac : ‘les jeunes ne veulent plus travailler et les seniors ne savent pas s’adapter au changement’." D’où la préconisation de Juliette Matharan : évaluer chaque profil séparément. "Chez les trentenaires, on fait peu de généralités. On les prend dans leur individualité, ce qui concourt à ce qu’ils soient moins victimes de discrimination à l’embauche." Elle ajoute que "ceux qui ont travaillé avec des personnes expérimentées savent que cela se passe bien et que c’est souvent une force." Mieux, avoir été confronté à différentes configurations au cours de sa carrière nourrit les capacités d’adaptation des plus qualifiés et leur permet de réagir souvent rapidement.

La génération actuelle de seniors se montre très loyale à leur entreprise. Dans des marchés du travail où le turnover est important et donc coûteux, c’est loin d’être négligeable

Les seniors ne seraient pas à l’aise non plus avec le digital ? "Les jeunes savent faire quantité de choses avec un téléphone mais les seniors, quant à eux, maîtrisent bien Excel et savent faire un PowerPoint." Se pose également le problème de la formation. "Les entreprises ne veulent pas capitaliser et investir dans les personnes d’un certain âge. Or, par exemple, à 50 ans on a encore 14 ans à travailler, pourtant on a plus difficilement accès à la formation", constate Juliette Matharan. Et l’investissement n’est pas vain puisque la génération actuelle de seniors se montre encore très loyale à leur entreprise. Dans des marchés du travail où le turnover est important et donc coûteux, c’est loin d’être négligeable.

Autocensure

Du côté des salariés eux-mêmes, les freins sont pour beaucoup d’ordre psychologique, avec la crainte de ne plus être employables après 50 ans voire 45 ans. Un état d’esprit particulièrement développé chez les femmes qui, à leur décharge, sont souvent victimes d’un sexisme avec lequel peut se coupler l’âgisme. C’est pourquoi Polare aide ses clients à travailler leur CV, à se présenter en entretien et, surtout, à dépasser leurs craintes. "Tout est vraiment centré autour des années d’expérience pour en faire un ensemble cohérent", explique Juliette Matharan. Les postulants sont invités à mettre en avant des cas concrets pour prouver qu’ils ont déjà eu à gérer les tâches du poste à pourvoir. "Parfois, quand on effectue depuis des années rapidement certaines choses, on en vient à croire que cela est facile, oubliant qu’il s’agit d’un véritable savoir-faire à valoriser."

Des efforts sur tous les fronts

Les avancées doivent donc être collectives. Si le gouvernement et les partenaires sociaux sont tenus d’avancer sur la question, les recruteurs et les candidats sont appelés également à prendre leur part. "Le marché du travail va changer parce que le nombre de personnes de plus de 50 ans ne va faire que grandir, anticipe Juliette Matharan. Certaines entreprises l’ont bien compris et d’autres vont être obligées d’évoluer dans la douleur. Pour le moment, chez Polare nous sommes assez partisans de nous adapter au marché du travail actuel en faisant entrer des seniors dans des sociétés qui en sont contentes, ce qui crée un cercle vertueux."

L’entreprise place même des seniors dans des start-up. Ce qui de premier abord n’est pas le plus simple mais tout le monde peut y gagner. "Les start-up n’ont pas beaucoup de budget et construisent souvent un discours autour de leur jeunesse et de leur dynamisme mais l’expérience est aussi un véritable atout." Ajoutons à cela que les seniors d’aujourd’hui ne sont pas les seniors d’hier. L’allongement de l’espérance de vie permet de vivre plus vieux et, souvent, en meilleure forme. Les quadra et quinquagénaires actuels sont en pleine force de l’âge.

L’index et le CDI seniors seront-ils remis sur la table d’ici à la fin de l’année ? Si aucun dispositif n’est parfait, il est certain que toutes les parties prenantes devront concourir à faire évoluer les mentalités, que ce soit par des mesures volontaires ou contraignantes.

Olivia Vignaud

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