Premier des collaborateurs puis successeur du général de Gaulle, Georges Pompidou est naturellement classé à droite, alors même que ses principes et actions politiques semblent dépasser les clivages. Que retenir de ce dirigeant trop méconnu décédé le 2 avril 1974 ?

"Dans la vie, les nations alternent la grandeur et la médiocrité", rappelait Georges Pompidou, normalien féru d’histoire et conscient des grands mouvements traversés par les sociétés occidentales de son temps. Rétrospectivement, les années Pompidou apparaissent comme le temps de l’ouverture à la mondialisation. Cela n’a pas été vécu comme une obligation ou une fatalité, contrairement à aujourd’hui, mais comme un choix délibéré du président Pompidou dans un seul but : l’intérêt de la France.

Une France ambitieuse et audacieuse

Partageant avec le général de Gaulle la préoccupation d’une nation indépendante et puissante, il fit tout pour adapter l’économie aux besoins de son temps et positionner le pays à l’avant-garde des révolutions technologiques dans de nombreux domaines : agriculture, énergie, transport, téléphonie, spatial, nucléaire, etc. L’élan de modernisation a fait de la France l’une des économies les plus à la pointe mais aussi une nation guidée par le progrès social.

"Notre appareil commercial, intérieur et extérieur, doit être étendu et adapté aux formes modernes de la concurrence. Notre industrie doit accroître considérablement ses capacités de production et poursuivre activement la transformation de ses structures. C’est dans le domaine de l’industrie que l’effort le plus grand reste à faire en dépit des progrès accomplis dans les dernières années", rappelait ce promoteur inlassable d’une politique économique et industrielle audacieuse au service des Français. "À ce prix et à ce prix seulement pourront être assurés aussi bien le maintien du rôle de la France dans le monde que l’amélioration satisfaisante du niveau et du cadre de vie de tous."

Une ouverture raisonnée à la mondialisation                                  

Loin de la polarisation actuelle du débat sur la mondialisation entre, d’un côté, les partisans d’un globalisme contraint, aux frontières ouvertes à tout et de l’autre, ceux d’un protectionnisme aux frontières fermées, Georges Pompidou offrait ce qui serait aujourd’hui considéré comme une troisième voie : celle d’une France ouverte raisonnablement à la mondialisation si et seulement si cela lui bénéficie.

Pour Georges Pompidou, une balance commerciale déficitaire n'était pas envisageable

Toutes les politiques économiques et sociales menées par Georges Pompidou contribuent à accompagner cet élan et à assurer aux Français les moyens de leur prospérité, tout en ayant conscience des conséquences d’un marché ouvert : "L’économie, les industriels et les commerçants français doivent vivre, désormais, dans la préoccupation permanente. Il s’agit de se dire qu’ils sont toujours menacés par la concurrence, qu’il faut toujours qu’ils fassent mieux, qu’il faut toujours qu’ils produisent à meilleur compte, qu’ils vendent de la meilleure marchandise et à meilleur prix et que c’est ça la loi de la concurrence et la seule raison d’être du libéralisme."

Lorsque Georges Pompidou était à Matignon et à l’Élysée, la France ne souffrait pas de déficit et une balance commerciale déficitaire n’était pas envisageable. Sur sa dernière année de plein exercice, en 1973, la France possédait un excédent commercial de l’équivalent actuel d’un milliard d’euros et son budget était équilibré. Il est donc légitime de penser que, avec les adaptations vigilantes de Georges Pompidou, la France aurait poursuivi très longtemps sur cet élan, avec une compétitivité renforcée et pas ou peu d’endettement.

Mais ces efforts économiques, pour être poursuivis, avaient besoin d’être ancrés dans les mentalités de la population, Georges Pompidou voulant notamment bien préparer les jeunes générations : "On sent dans la jeunesse moderne un tel besoin de sécurité qu’on a l’impression qu’ils sont un peu des vieillards nés d’hier, et qu’il y aurait plutôt besoin de les pousser à être modernes que d’essayer de les calmer. Naturellement, il faut les calmer dans certaines exubérances, mais il est peut-être plus nécessaire de leur donner le goût du risque que de leur apprendre à être posés" Il en conclut qu’"il faut la reprendre en main… pour lui insuffler le goût du risque et le goût de tenter, d’agir, de faire des choses".

Si la prospérité économique est une condition sine qua non du bonheur individuel pour Georges Pompidou, elle n'en est pas la seule composante

Le Français idéal : prospère et cultivé

Si la prospérité économique est une condition sine qua non du bonheur individuel pour Georges Pompidou, elle n’en est pas la seule composante. Sa vision de la modernité n’est pas seulement économique et politique ; elle s’étend également au domaine de l’architecture et de l’urbanisme, à travers des projets qui ont transformé non seulement l'esthétique mais aussi la fonctionnalité des espaces de vie et des institutions culturelles.

La réalisation la plus emblématique de cette vision est sans doute le Centre Georges-Pompidou, conçu comme un espace avant-gardiste dédié à la culture et à l'art contemporain. Inauguré après la mort du président, en 1977, ce centre culturel, avec ses tuyauteries colorées et son design industriel et innovant, symbolise la rupture avec l'architecture traditionnelle et l'engagement de Georges Pompidou au service d’une France tournée vers l'avenir et ouverte à la création moderne. Il reflète également son désir d'amener l'art et la culture au cœur de la vie quotidienne des Français, les rendant accessibles à tous.

Grand amoureux des lettres et de la poésie, Georges Pompidou a enfin été un précurseur dans la modernisation de l'éducation et de l’enseignement avec la construction de nouvelles universités et la réforme de l'enseignement supérieur. Ces initiatives visaient à répondre à la croissance démographique et à l'évolution des besoins de la société française en matière d'éducation et de recherche. Une ambition importante alors que notre pays décroche malheureusement dans les classements internationaux en matière d’éducation !

Une construction européenne fondée sur les réalités nationales

Alors que nous commémorons le cinquantenaire de la disparition de Georges Pompidou, à quelques semaines des prochaines élections européennes, ses convictions en la matière peuvent étonner aujourd’hui. Il souhaitait que les pays d’Europe puissent unir leurs forces afin de prendre de grandes décisions et peser davantage dans les affaires du monde, notamment pour affirmer leur indépendance face aux Américains et aux Soviétiques, tout en étant prudent vis-à-vis des institutions européennes.

Georges Pompidou balayait les solutions de facilité, fidèle à sa maxime : "La réalité n’est pas la sœur du rêve." Il soulignait régulièrement l’illusion de remplacer le patriotisme national par un patriotisme européen. Vigie attentive des intérêts de la France, il refusait tout particulièrement que la construction européenne puisse se faire à notre détriment. Raison pour laquelle il était particulièrement attentif à la répartition des rôles à l’échelle européenne : "Plus tard, il y aura peut-être un gouvernement de l’Europe, mais il sera composé de la réunion des responsables suprêmes des pays membres, et non par cette Commission qui ne doit avoir qu’un rôle subalterne de coordination et d’exécution." Une recommandation peu suivie par ses successeurs, qui contribue aujourd’hui au débat public sur le vrai lieu du pouvoir européen et le rôle des peuples.

Est-ce être nostalgique que de se replonger dans les écrits comme dans les actes de Georges Pompidou ? Au contraire, son discours sur la modernité, le respect des traditions comme le rôle de la jeunesse nous apparaît comme un appel à l’action et à l’espoir.

Par Michael Miguères, auteur de Pompidou : le dernier président qui a fait gagner la France, (Ramsay, 2016), et Pierre Manenti, historien, auteur de Les Barons du gaullisme (Perrin, 2024).

Une journée événement rassemblant de nombreux responsables politiques et des personnalités engagées dans le débat public sera organisée le 10 avril 2024, sous le haut patronage de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, à l’initiative de l’essayiste Michael Miguères et de l'historien Pierre Manenti.

Lien d’inscription pour l’événement "Pompidou, une vision d’avenir", à l’Assemblée nationale le mercredi 10 avril de 9h30 à 17h30 : https://shorturl.at/cgoE6

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