Depuis quelques semaines, les Insoumis semblent prendre leurs distances avec la stratégie du bruit et de la fureur. Un réel revirement tactique ? Pas certain…

Le saviez-vous ? Le chanteur Renaud et Jean-Luc Mélenchon ont un point commun. Après avoir pourfendu la police, les voici tout fleur tout miel avec les forces de l’ordre. L’ancien anarchiste se vante dans l’une de ses chansons d’avoir "embrassé un flic" après les attentats du 13 novembre 2015. Ces derniers mois, dans le cadre de la présidentielle puis des législatives, le chef insoumis a déclaré à plusieurs reprises que "la police tue" et a pris un malin plaisir à houspiller un syndicaliste policier sur le plateau de Cyril Hanouna. Mais le 13 novembre 2022, il a ostensiblement complimenté des CRS immédiatement après avoir rendu hommage aux morts des attaques terroristes. Un revirement qui est plus qu’un acte isolé.

Nouvelle posture

C’est simple, depuis mi-novembre, les responsables de LFI semblent tenter une opération de dédiabolisation. Lors des rassemblements en hommage à Samuel Paty ou aux victimes du Bataclan, certains députés sont même allés jusqu’à condamner "l’islamisme", ce qu’ils n’étaient pas habitués à faire. Autres signes troublants, en cette fin d’année, François Ruffin fait la tournée des médias pour gagner en respectabilité, faisant la Une de L’Obs en clamant : "Je suis social-démocrate." De son côté, Clémentine Autain prône une véritable union de la gauche où le pluralisme serait de mise, commence à sillonner la "France périphérique" pour casser son image de responsable à cheval entre les centres-villes bobos et les banlieues du 93. En somme, une timide mais réelle volonté de s’extirper du "bruit et de la fureur", doctrine chère à Jean-Luc Mélenchon, commence à poindre.

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Les racines du mal

Derrière ce début d’aggiornamento se cache une prise de conscience. Remontons à la présidentielle de 2017. 600 000 voix manquent à Jean-Luc Mélenchon pour se hisser au second tour. Où trouver ces suffrages ? Auprès des banlieues et des Français en colère auxquels il faut s’adresser spécifiquement, théorisent certains cadres mélenchonistes comme Éric Coquerel. Cette ligne validée par le candidat en personne mène à un changement de ligne soudain chez LFI. Fini l’attachement à l’universalisme républicain. Place à l’intersectionnalité des luttes, à la vision communautariste de la société. Les récalcitrants partent d’eux-mêmes ou sont mis dehors par le patron. Le reste suit sans états d’âme. Ce qui conduit à la participation au défilé du 10 novembre 2019 aux côtés de tenants de l’islam politique dénonçant un racisme d’État et demandant un réaménagement de la laïcité. Mais aussi à un engagement auprès de la famille d’Adama Traoré, à des propos complotistes ou à la tentative d’appropriation de tous les mouvements sociaux tels que les gilets jaunes ou les blocages étudiants. Mais aussi à un langage de plus en plus fleuri où punchlines et insultes prolifèrent.

Puis survient le "miracle" de la dernière présidentielle. Déjouant tous les pronostics, Jean-Luc Mélenchon augmente son score, s’impose comme première force de la gauche française, mène la danse dans la jeunesse et la majorité des grandes villes, contraint les autres partis à se rallier dans le cadre de la Nupes et parvient à faire élire près de 80 députés. Une performance remarquable qui, selon son état-major, est liée à cette nouvelle idéologie. D’où la volonté d’aller encore plus loin dès le début de la législature, culte du buzz, tenues débraillées, propos déplacés et agressifs à l’instar de Danièle Obono qui appelle ses opposants à "manger leurs morts"

Qui pro quo électoral

Hélas, la réalité est différente. Certes, la "tortue sagace" a amélioré son score entre les deux scrutins présidentiels. Toutefois, ce bon résultat est surtout lié aux difficultés des candidats EELV et PS. Ainsi qu’à la volonté du peuple de gauche d’avoir un candidat unique. Ce qui a mené à un report de voix vers LFI, mais pas forcément à une adhésion au programme. Point qui s’est vérifié lors des législatives marquées par un fait sociologique révélateur. 40 % des députés LFI sont élus en Île-de-France, bien souvent dans des circonscriptions de banlieue à la sociologie différente du reste de l’Hexagone où LFI accuse un repli global depuis cinq ans. Pour séduire la majeure partie de la population, les Insoumis comprennent qu’il faut prendre quelques distances avec les compromissions communautaristes ou le mépris pour les questions de sécurité.

Quelle est l’origine de cette prise de conscience ? Le constat qu’au second tour des législatives, le RN a remporté la majorité de ses duels face à LFI, parti perçu comme plus dangereux ? Un sondage publié en octobre par Libération qui révèle que pour 41 % des Français Marine Le Pen est la meilleure opposante à Emmanuel Macron contre 20 % pour Jean-Luc Mélenchon ? D’autres études confidentielles destinées aux stratèges de LFI ? Certains murmurent que la Nupes y est pour quelque chose dans ce revirement.

40 % des députés LFI sont implantés en Ile de France, souvent dans les banlieues. Le parti prend conscience qu'il doit se diversifier

Préserver la Nupes

C’est notamment le cas du socialiste François Kalfon, membre du bureau national du PS. "Tous les partis membres de la Nupes rentrent en congrès", glisse cet observateur averti des arcanes de la gauche. "La révolte contre une soumission à LFI gronde. S’ils veulent garder des dirigeants Nupes-compatibles, les Insoumis sont obligés de montrer qu’ils respectent leurs partenaires, ou a minima de faire semblant." En somme, il faut donner des gages de respectabilité au PS et aider Olivier Faure à être réélu à la tête du parti à la rose en janvier. Pour éviter la montée en puissance des motions anti-Nupes, il faut montrer que les Insoumis sont des interlocuteurs fréquentables pour les socialistes. En outre, il est stratégique de ne pas braquer les Verts qui élisent le successeur de Julien Bayou le 10 décembre et de donner des gages aux communistes qui s’agitent de plus en plus sous l’égide de Fabien Roussel.

"Dans tous les partis membres de la Nupes, la révolte contre les Insoumis commence à gronder. Il faut donner des gages... ou faire semblant"

Guerre de succession ?

Outre Jean-Luc Mélenchon, cet infléchissement est incarné par deux personnalités : François Ruffin et Clémentine Autain. Tous deux cachent mal leur volonté d’être candidats à la présidentielle de 2027. En responsables politiques avertis, les deux députés sont conscients que, pour peser électoralement, il est nécessaire de rassembler et de rassurer. Chacun a sa stratégie : le Picard souhaite parler à l’électorat populaire de la France périphérique tenté par le vote RN tout en s’adjoignant les voix de la gauche modérée, d’où son coming out de socialdémocrate et sa croisade pour mettre l’accent davantage sur le social que sur le sociétal. Clémentine Autain, pour sa part, compte jouer la carte de l’union de la gauche, ce qui suppose de se faire le chantre de la pluralité, de l’union, du respect des courants et des partenaires. Mais attention. Dans l’ombre, Jean-Luc Mélenchon n’a pas renoncé à ses rêves élyséens. En 2027, il aura 76 ans, le même âge que Charles de Gaulle en 1965 et deux ans de moins que Joe Biden en 2020. Pour espérer bien figurer, lui aussi devra rassembler. Henri IV clamait que Paris valait bien une messe. Pour le vieux lion insoumis, un ticket au second tour vaut bien un rabibochage avec la police…

Lucas Jakubowicz

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