La décision tant attendue dans la saga judiciaire qui oppose plusieurs associations et villes au géant TotalEnergies est tombée ce jeudi 6 juillet. Le verdict en un mot : irrecevabilité. Le juge de la mise en état n’a pas suivi l’argumentaire des défenseurs de l’environnement. La coalition, qui dit déplorer cette décision, annoncera prochainement la suite qu’elle donnera au dossier.

Nouveau coup d’arrêt pour les associations Notre affaire à tous, Sherpa, Zéa, Éco-maires, France nature environnement et 14 communes requérantes dans l’affaire, fondée sur le devoir de vigilance, qui les oppose à TotalEnergies. Dans sa décision du 6 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a jugée irrecevable l’action de la coalition. Les interventions des villes de Paris et New York et de l’association Amnesty International France, qui étaient intervenues volontairement à l’instance, sont considérées elles aussi irrecevables.

Point de basculement

Selon le magistrat de 57 ans Antoine de Maupeou, il n’y a pas lieu de renvoyer le dossier devant un juge du fond. Pourquoi ? Parce que “la question de savoir si une action fondée sur le devoir de vigilance n’est recevable qu’après la délivrance d’une mise en demeure est également une question de procédure et non une question de fond“. Lors de la dernière audience de mai dernier, les défenseurs de TotalEnergies avaient d’ailleurs reproché à leurs adversaires, représentés par Sébastien Mabile et François de Cambiaire, de plaider le fond lors d’une audience pourtant consacrée à la recevabilité de l’action.

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Pendant cette audience, inhabituellement longue pour une audience de mise en état, les débats avaient porté sur les demandes de la coalition visant à enjoindre à TotalEnergies de prendre des mesures provisoires pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Et sur une demande inédite des requérants : celle de contraindre Total, sur le plan mondial, à “suspendre tout projet d’exploration et d’exploitation de nouveaux gisements d’hydrocarbures”.  Une mesure vitale pour la coalition, comme l’a rappelé Sébastien Mabile ce jour-là : “Au-delà de 1,5 degré, on risque le point de basculement, c’est-à-dire la perte de capacité totale de contrôle sur le système climatique même si on réduit nos émissions drastiquement.”

“Le contentieux de la réparation et de la prévention du dommage écologique deviendrait alors impossible à maîtriser”

Mais au cas d’espèce, le juge applique le droit à la lettre. Il considère que “la mise en demeure délivrée le 19 juin 2019 à la société TotalEnergies ne constitue pas une interpellation suffisante et ne peut servir de base à une négociation utile avant la délivrance de l'assignation.” Le fait que les demandes formulées dans l’assignation correspondent à “l’esprit” de la mise en demeure ne suffit pas. Et il rappelle que la loi sur le devoir de vigilance vise à amener les parties prenantes à la discussion. Dans son communiqué, la coalition affirme pourtant avoir “interpellé, échangé et rencontré les dirigeants de l'entreprise avant la mise en demeure, ce qui n’est aucunement imposé par la loi”. Selon elle, le juge n’a pas pris en compte ces échanges préalables et affirme que“de simples réunions ne peuvent constituer un avertissement solennel”. Pour ce dernier, il faut poser toutes les cartes sur la table dès le début : indiquer précisément l’intégralité des requêtes dès la mise en demeure de l’entreprise. “Il n'est pas concevable de saisir le tribunal afin d'obtenir un plan comportant des objectifs chiffrés qui ne figurent pas dans la mise en demeure et n'ont donc pas pu être discutés au préalable”, indique la décision. En outre, la mise en demeure aurait dû être adressée par toutes les parties à l’instance, ce qui n’est pas le cas selon les constatations du magistrat.

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Retarder l’examen au fond

Les requérants n’ont pas eu plus de succès avec l’invocation de la responsabilité civile. Le juge s’aligne avec les avocats de la défense pour y voir un détournement de procédure, dans la mesure où les deux demandes poursuivent le même objectif. Même échec sur le plan de l’intérêt à agir des collectivités locales et de l’association Éco-maires. La dimension planétaire des griefs adressés à TotalEnergies dépasse le champ d’action de l’association qui se limite, selon le magistrat, à l’activité locale des communes. Quant aux collectivités locales, le préjudice écologique dont elles se prévalent concerne non seulement leur territoire, mais aussi le “monde entier”. Pour le juge de la mise en état, “s'il fallait les déclarer recevables au seul motif que le dommage qu'elles entendent voir réparer ou prévenir concerne leur territoire, cela signifierait que n'importe quelle collectivité locale dans le monde pourrait assigner une société devant le tribunal de céans au motif qu'elle contribue par son activité au réchauffement climatique”. Et d’en conclure : “Le contentieux de la réparation et de la prévention du dommage écologique deviendrait alors impossible à maîtriser.”

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Les associations, les quatorze communes impliquées et la région Centre Val de Loire sont toutes condamnées à payer chacune la somme de 100 euros à TotalEnergies sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Cette décision constitue un nouveau rebondissement dans une procédure entamée en 2020. L’avocat de la coalition François de Cambiaire avait déclaré au média France Info s'attendre à une procédure longue et n'envisage pas de procès avant 2024 ou 2025, voire plus tard encore. “La coalition déplore cette décision préoccupante qui vient restreindre l'accès à la justice pour les associations et les victimes, dans les contentieux fondés sur le devoir de vigilance. Sur une question procédurale controversée, on retarde une nouvelle fois l’examen du fond du dossier, alors que TotalEnergies ne prend toujours pas les mesures nécessaires pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. La coalition communiquera très vite sur les suites qu'elle compte donner à cette ordonnance”, a réagi auprès de Décideurs Juridiques Théa Bounfour, chargée de contentieux et de plaidoyer chez Sherpa. Une décision inquiétante alors que plusieurs autres actions judiciaires fondées sur la loi sur le devoir de vigilance ont également été déclarées irrecevables ces derniers mois : Projets Tilenga et EACOP en février, affaire Suez/Chili en juin, et EDF Mexique en décembre, précise le communiqué de l'association.  

Anne-Laure Blouin

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