Promulguée le 27 mars 2017, la loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance complète le dispositif normatif applicable en France en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Bien qu’elle marque une étape importante dans la prise en compte des droits humains et des enjeux environnementaux, des voix s’élèvent pour réclamer une réelle application de cette législation sans précédent.

L’effondrement en avril 2013 du Rana Plaza, un immeuble situé Dacca, la capitale du Bangladesh, et abritant plusieurs ateliers de confection travaillant pour plusieurs marques de vêtements internationales, a fait 1127 morts. Cette catastrophe a stimulé et légitimé les campagnes politiques et les mouvements mondiaux qui avaient commencé bien avant ce drame à préconiser la mise en place d’un cadre juridique international pour rendre les sociétés mères responsables des conséquences des opérations de leurs sous-traitants. 

En France, ce sont les ONG Amnesty International France, Sherpa, CCFD-Terre Solidaire, ActionAid France-Peuples Solidaires, Amis de la Terre France et Collectif Éthique sur l'étiquette qui ont organisé la campagne. Leur lutte s'est concrétisée en 2017 quand le Parlement français a promulgué la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre .

Une loi pionnière

Cette loi sans précédent, et présentée par une coalition d'organisations de défense des droits de l'homme, de syndicats et de parlementaires, s'attaque aux effets néfastes des multinationales sur les droits de l'homme et l'environnement et offre des voies judiciaires aux victimes s’il y en a. Elle oblige les sociétés françaises qui emploient au moins 5 000 salariés en France et celles de plus de 10 000 salariés dans l’Hexagone ayant leur siège social ailleurs dans le monde à établir et publier un plan de vigilance pour prévenir les risques qui pourraient porter atteinte à l’environnement, aux droits humains mais aussi pour lutter contre la corruption sur leurs propres activités ainsi que sur celles de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs, en France comme à l’étranger.

La loi française sur le devoir de vigilance est donc une reconnaissance formelle que les principes de soft law et les initiatives volontaires sont insuffisants. Et que le choix du mot « vigilance » comme nouveau terme juridique permet d'entrer dans le domaine de la hard law.

Si la loi a été privée de certaines dispositions fondamentales telles que les amendes civiles (le Conseil constitutionnel ayant déclaré cette disposition inconstitutionnelle), son existence marque un progrès dans la prise en compte par les pouvoirs publics des enjeux sociaux, éthiques et environnementaux liés aux activités des entreprises. D’une part, elle oblige non seulement les entreprises à prendre des mesures pour identifier les risques au sein de leur chaîne d'approvisionnement et pour prévenir les violations, mais elle précise également que ces mesures doivent être adéquates et effectivement mises en œuvre : les entreprises ne peuvent se contenter de faire des déclarations de forme ou d'interpréter les exigences légales comme un exercice anodin.

Contrôler les entreprises sur leur mise en oeuvre de la loi s'est avéré complexe  

Par ailleurs, elles doivent rendre public leur plan de vigilance. Ce qui devrait permettre aux parties prenantes de vérifier si les entreprises ont correctement identifié les risques que peuvent engendrer leurs activités et si les mesures qu’elles ont prises pour faire face à ces risques potentiels sont adéquates et effectivement mises en œuvre. Sherpa a publié un guide de référence détaillé du plan de vigilance précisément pour aider toutes les parties prenantes à comprendre les exigences légales et contribuer à une bonne mise en œuvre de la loi.

Des conditions insuffisantes d’application

Trois ans après l'adoption de la loi et en l'absence de liste officielle des entreprises concernées, contrôler les entreprises sur leur mise en œuvre de la loi s'est avéré complexe.  Selon une étude de vigie citoyenne, le radar du devoir de vigilance, publié en 2020 par les ONG Sherpa et CCFD-Terres Solidaires, 72 entreprises sur les 265 recensées n’ont pas publié de plan de vigilance. Par ailleurs, la loi a été interprétée par de nombreuses entreprises comme un simple exercice de présentation de rapports sur leurs activités. Bon nombre des plans publiés en 2018 et 2019 sont extrêmement brefs, mentionnant à peine que l'entreprise s'est conformée aux cinq mesures requises par la loi ou énumérant seulement certaines politiques générales préexistantes. Enfin, il n'y a pas de contrôle officiel du gouvernement pour savoir si les entreprises appliquent correctement la loi.

La société civile, c’est-à-dire Sherpa et le CCFD-Terres Solidaires, s'est donc mobilisée pour remédier à ces lacunes en lançant le site internet vigilance-plan.org qui fournit une liste non exhaustive des entreprises concernées par la loi, ainsi que leur plan de vigilance respectif lorsqu'elles l'ont rendu public. Cette initiative a également pour objectif de donner les moyens aux parties prenantes de compléter cette liste.

Un nouvel outil de justice

Malgré ces lacunes, les ONG, les syndicats, les communautés et les victimes ont désormais accès à un nouvel outil juridique pour faire respecter les droits des travailleurs et des populations locales affectés par les activités des entreprises. En effet, la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres prévoit que la juridiction compétente en la matière peut être saisie à la demande de « toute personne justifiant d'un intérêt à agir ». Par exemple, les communautés locales qui subissent les conséquences de la déforestation, de la pollution de l'air et des pesticides, ou des agriculteurs qui ont perdu leurs terres ou leur accès à l'eau. 

Si la loi française est un exemple à suivre à l’international, il y a encore des pays à convaincre

Un premier procès a d’ailleurs été intenté par six ONG françaises et ougandaises en octobre 2019 contre Total. Le litige concerne un projet pétrolier du groupe en Ouganda, impliquant le forage de 419 puits de pétrole près du lac Albert et la construction d'un oléoduc de 1 445 km reliant le pays à la Tanzanie. La justice devra trancher si oui ou non Total a violé la loi sur le devoir de vigilance.

Si la loi française est un exemple à suivre à l’international, il y a encore des pays à convaincre, y compris en Europe où elle ne fait pas encore l’unanimité. L’enjeu est bien à terme d’harmoniser l’ensemble des législations sur toutes les pratiques à adopter pour améliorer les conditions de travail des ouvriers et pour protéger la planète.

Yannick Tayoro

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