Apparu dans l’Hexagone à la fin des années 1970, le mécénat d’entreprise se développe peu à peu dans la culture avant de s’étendre à d’autres domaines. Les changements législatifs ont facilité son expansion, jusqu’à ce qu’il devienne aujourd’hui la norme au sein du CAC 40.

La pratique du don sans attente de bénéfices financiers en retour commence à se développer en France au XVIIIe siècle. Soutenue, critiquée, remise maintes fois en cause, elle évolue au fil des époques, que ce soit pour compléter l’action de l’Église et de l’État ou pour s’en affranchir. C’est à la fin des années 1970 que les entreprises se lancent dans la philanthropie et le mécénat. Bien qu’il n’y ait pas de différences sur le plan juridique et fiscal entre ces deux termes, le premier tend à être davantage utilisé pour évoquer la générosité des grands donateurs particuliers quand le second correspond le plus souvent aux œuvres de bienfaisance des entreprises, lesquelles ne sont pas toujours désintéressées. Dans les deux cas, les gouvernements successifs ont contribué au développement de ces pratiques en mettant en place une fiscalité avantageuse qui, si elle est régulièrement attaquée aujourd’hui, reste la plus favorable au monde.

Paternalisme

La littérature autour de l’histoire de la philanthropie d’entreprise n’est pas légion. Arthur Gautier, professeur associé à l’Essec Business School et directeur exécutif de la chaire philanthropie de l’école, distinguait dans une publication de 2015 trois grandes périodes dont la première commence à la fin des années 1970. "Auparavant, on recense surtout quelques initiatives individuelles qui s’inscrivaient dans une logique paternaliste à une époque où les conditions de travail et de vie des ouvriers, dans un contexte de montée en puissance des syndicats, poussaient certains patrons industriels à s’engager pour financer des crèches ou des hôpitaux, par exemple", explique-t-il. Parmi ces dirigeants, on retrouve des noms encore connus aujourd’hui comme Michelin, Cognacq-Jay ou Wendel.

Au début du XXe siècle, quelques entreprises disposaient également de collections d’œuvres d’art afin de faire vivre le patrimoine mais ce type de pratiques n’en étaient alors qu’à ses balbutiements. "À l’époque, on estimait que c’était à l’État-providence, voire aux associations d’assurer les missions d’intérêt général, explique Arthur Gautier. Ce n’était pas au secteur privé de faire quoi que ce soit, car il n’était pas légitime et pourquoi irait-il dépenser de l’argent dans des domaines couverts par la puissance publique ?"

Nouveau rôle

À la fin des années 1970, les mentalités évoluent. Des entreprises s’interrogent sur leur rôle: doivent-elles uniquement se limiter à créer de l’emploi, vendre des biens et des services et payer leurs impôts, ou leur impact sur la société peut-il être étendu ? C’est d’ailleurs à cette période que l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon publie en 1981 un ouvrage intitulé La crise de l’État-providence. L’idée que celui-ci puisse déléguer une partie de l’action sociale à des acteurs privés grandit, conduisant à la montée en puissance du mécénat par les entreprises, lesquelles assument davantage leur responsabilité sociale.

À la fin des années 1970, des entreprises s’interrogent sur leur rôle: doivent-elles se limiter à créer de l’emploi, vendre des biens et des services et payer leurs impôts, ou leur impact sur la société peut-il être étendu ?

Sollicité par des hommes de presse et de radio convaincus par le soutien des entreprises à l’art aux États-Unis, Jacques Rigaud – qui fut notamment PDG de RTL – devient président d’une association créée en 1979, Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial). "Jacques Rigaud estimait que
les entreprises devaient s’engager pour la culture mais que ce soutien devait être désintéressé au risque, sinon, de se transformer en publicité déguisée
, rapporte Arthur Gautier. En face, d’autres chefs d’entreprise, comme Alain-Dominique Perrin chez Cartier, considéraient que les actions devaient bénéficier à l’entreprise en termes d’image pour ne pas donner l’impression que le patron fait ce qu’il veut et n’agit pas dans l’intérêt de l’entreprise." Le professeur poursuit : "Même si les temps ont changé, on retrouve toujours cette tension entre ceux qui ne veulent pas exploiter le mécénat au profit de la marque et ceux qui veulent pouvoir se justifier vis-à-vis des actionnaires et des salariés." Porté par les dirigeants eux-mêmes, le mécénat, à cette période, s’intéresse avant tout à des projets culturels.

Tournants législatifs

Pour favoriser la philanthropie d’entreprise, Admical fait du lobbying auprès des pouvoirs publics et finit par obtenir des avancées législatives majeures qui marquent l’avènement de la deuxième période distinguée par Arthur Gauthier : 1986-2003. En 1987, le ministre de la Culture François Léotard fait voter la loi sur le développement du mécénat qui introduit les premières incitations fiscales en sa faveur en modifiant le code général des impôts. Une manière de reconnaître son intérêt général. Le texte sera complété par la loi de 1990 qui permet aux entreprises de donner leur nom aux fondations.

Dès lors, le mécénat – qui était surtout l’apanage de filiales américaines en France et des banques françaises – s’élargit peu à peu aux grandes entreprises dans leur ensemble. Afin de porter leurs projets, les sociétés créent des postes de directeurs de fondation ou de délégués généraux à temps plein. "Les sujets sur lesquels ils travaillent se diversifient également, avec une percée de la solidarité (humanitaire, pauvreté, handicap, solitude)", précise Arthur Gautier qui rappelle que l’histoire du mécénat est inséparable de la question sociale.

Or, à cette période, les problématiques de grande pauvreté et d’exclusion sociale inquiètent. En 1986, Claude Bébéar, patron d’Axa, crée l’Institut du mécénat de solidarité pour partager les bonnes pratiques. Les entreprises se rapprochent peu à peu des ONG, des appels à projet sont lancés, les exigences en matière de reporting s’étendent. Le mécénat de compétences, à travers lequel les entreprises mettent à disposition gratuitement des salariés pour des associations, se propage.

2003 marque un nouveau tournant. Cette année-là, une nouvelle loi vient doubler l’avantage fiscal consenti aux entreprises mécènes. En 2008, la loi de modernisation de l’économie met en place le fonds de dotation, un nouvel outil de financement du mécénat. En 2010, 28 174 entreprises avaient déclaré des dons en France. En 2020, ce chiffre atteignait 104 756, pour des montants respectifs de 984 millions d’euros et 2,3 milliards d’euros, selon Admical.

Place à la RSE

"Aujourd’hui, le mécénat est en concurrence accrue avec d’autres formes d’engagements d’entreprise dans la société, note Arthur Gautier. Si le mécénat a été un outil pionnier et très pertinent à une époque, certains s’en détournent aujourd’hui. Par ailleurs, la question de la cohérence des actions des entreprises devient cruciale pour un nombre croissant de citoyens : les entreprises ne peuvent plus donner l’impression qu’elles compensent à peu de frais leurs externalités négatives sur la nature ou la société par du caritatif."

La société attend plus des entreprises, et parfois autrement. Celles situées dans les territoires sont appelées à davantage s’impliquer, l’émergence de plus en plus d’entrepreneurs en quête d’impact montre qu’il existe d’autres manières d’œuvrer pour le bien commun. "Le mécénat est un outil intéressant pour les entreprises car il permet de financer des causes et des projets qui n’ont pas de rentabilité intrinsèque, mais il n’est plus leur seule façon de s’engager." Les entreprises cherchent la cohérence entre leur activité et leurs actions de mécénat. La philanthropie a tout son rôle à jouer pour répondre aux enjeux de plus en plus prégnants de RSE.

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Olivia Vignaud

 

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