Invité du Networking & Business Club de Thomas Legrain, le P-DG de Sotheby’s France et vice-président de Sotheby’s Europe revient sur l’absence de géant française dans l’univers des maisons de vente d’art.
Magazine Décideurs. Alors même que Paris est une place mondiale d’échange d’art, comment expliquez-vous que la majorité des œuvres soit destinée à l’exportation et trouve preneur à New York, à Londres ou en Asie ?


Guillaume Cerutti.
Lorsque je présente la stratégie de Sotheby’s en France et que l’on m’interroge sur les raisons pour lesquelles les œuvres de l’artiste français Claude Monet sont vendues plus de cinquante millions d’euros à l’étranger, loin de Paris donc, je réponds que mon objectif n’est pas de les ramener dans la capitale, mais bien d’augmenter le nombre d’œuvres vendues ici entre un et dix millions d’euros. En réalité, nous avons aujourd’hui pris tellement de retard qu’il nous faut désormais reconstruire ce marché avec une densité d’œuvres autour d’un million d’euros et les repositionner à Paris.


Quand nous avons décidé de mettre en vente le Portrait de Paul Alexandre de Modigliani [vendu 13,5 millions d’euros à Paris en juin 2014], nous aurions très bien pu adjoindre l’œuvre à d’autres, estimées entre cinq et dix millions à New York ou à Londres. Au lieu de cela, nous avons préféré en faire la vedette de la vente de Paris, puisque nous pouvions la médiatiser et attirer ainsi des acheteurs du monde entier. Nous sommes capables de réaliser cela ponctuellement, voire de le développer, mais avant tout, il faut reconstruire le marché à des niveaux de prix plus bas.
Ensuite, ce n’est pas tellement New York qu’il faut regarder en point de mire, car les États-Unis sont une superpuissance, mais bien Londres que nous avons laissé passer devant en tournant le dos à la mondialisation.

On ne développe pas une place de vente sans qu’il y ait une entreprise forte du pays. Le Royaume-Uni dispose de Christie’s. Certes, elle est possédée et dirigée par des Français, respectivement François Pinault et Patricia Barbizet, mais c’est génétiquement une société anglaise : le siège reste à Londres et les grandes ventes y ont lieu. On ne peut pas lui reprocher de positionner ses grandes ventes ailleurs.

Sotheby’s est une entreprise née en 1744 en Angleterre et devenue américaine il y a une trentaine d’années. Nous sommes cotés et notre siège est à New York. Une grande partie de notre activité a lieu là-bas. Là encore, on ne peut pas nous reprocher de situer une partie importante de nos ventes outre-Atlantique.

Lorsque la mondialisation est venue, seules les entreprises telles que Sotheby’s ou Christie’s ont pu faire face en déployant un marketing à l’échelle planétaire et en s’adressant à des clients, européens notamment, qui achètent partout ailleurs sur le globe. Or, aucune entreprise française ne pouvait et ne peut encore le faire, car aucune ne dispose d’un tel réseau.

Les grandes ventes internationales ne peuvent avoir lieu en France car il n’existe pas d’acteur qui ait la taille suffisante. La France a raté le coche. Ce qui manque ici, c’est un géant national. Nous aurions évidemment pu le construire avec Drouot, dont le nom et l’l’histoire sont extraordinaires. Mais Drouot n’est pas une entreprise intégrée, c’est une marque ombrelle qui réunit soixante-dix indépendants. Pourtant, il y a une dizaine d’années, Pierre Bergé a proposé à ses commissaires-priseurs de les racheter afin de créer une grande entreprise. Il avait compris que c’était encore possible à l’époque. Hélas le rendez-vous a été manqué et, aujourd’hui, le seul acteur d’origine française, Artcurial, a un volume de ventes dans le monde entier [190 millions d’euros] inférieur au nôtre en France [213 millions en France et près de 5 milliards d’euros dans le monde].


Propos recueillis par Julien Beauhaire


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