L’obligation de reporting de la performance extra-financière imposée par la directive CSRD va directement affecter le dialogue social et la politique sociale de l’entreprise. Les RH doivent s’en saisir en lien avec la direction générale. Entretien avec Antoine Vivant et Pauline Curnier-Cribeillet, avocats à la cour du cabinet Vivant Avocats.

Décideurs. La directive CSRD impose de nouvelles obligations de reporting social qui s’ajoutent à des obligations préexistantes en matière sociale. Change-telle vraiment la donne ?

Antoine Vivant. Cela fait maintenant plus de trente ans que l’obligation d’information en la matière se construit, pour culminer aujourd’hui sur un dispositif très complet – BDESE, obligations périodiques de consultation des IRP, déclaration de performance extra-financière (DPEF) pour les sociétés cotées d’au moins 500 salariés, et plan de vigilance applicable aux sociétés ou groupes de plus de 5 000 salariés en France ou de plus de 10 000 salariés dans le monde. Donc a priori, pas évident de faire mieux...
Le reporting CSRD, qui s’appliquera progressivement aux entreprises à compter de janvier 2024 selon certains seuils, est d’un autre genre car il doit contribuer à la valorisation économique de l’entreprise. C’est pourquoi, il devra être certifié par un commissaire aux comptes.

En quoi cela concerne-t-il le dialogue social ?

Pauline Curnier-Cribeillet. D’abord, parce que le reporting issu de la directive CRDS est assortie d’une obligation de consultation des représentants du personnel dont l’avis sera transmis à l’organe d’administration, de gestion ou de surveillance compétent. La transposition dans notre droit précisera ses modalités concrètes. Mais sur le fond, il faut voir que cet échange s’inscrira dans la continuité des compétences du CSE en matière environnementale et sera le sous-jacent d’une évolution culturelle.
En effet, dans la mesure où la directive impose une approche prospective et rétrospective, les données traitées devront être présentées dans le cadre d’une stratégie de l’entreprise. Ces indicateurs et résultats auront une incidence sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, autant que sur la situation économique et financière et les orientations stratégiques. L’objet et la nature de ces informations conduiront donc nécessairement à vérifier la cohérence du discours de l’entreprise et le bon alignement des informations communiquées dans chacun des cadres légaux.

Quel est votre regard sur l’approche des syndicats de ces sujets ?

A. V. Ce n’est pas leur faire injure de dire qu’ils ont, pour beaucoup, une grande marche à monter, selon les entreprises et leurs secteurs d’activité. La montée en compétence sera d’autant plus longue qu’elle requiert des moyens mais aussi un nouvel angle de vue. Et le risque, c’est que ce thème devienne un sujet d’experts auxquels il sera sous-traité. À tort, car ils sont autant de défis transversaux qui ont des impacts économiques et sociaux liés à la transformation des activités, des emplois, des qualifications et des compétences.
Certaines entreprises, selon leurs secteurs d’activité, font déjà beaucoup et depuis longtemps. Elles sont régulièrement questionnées ou dénoncées, selon le cas. Un client me disait qu’un parlementaire l’avait interpellé sur "sa politique vélos". Il a eu la "bonne" réponse. Ses syndicats l’ont salué… En fait, ce sujet donne un nouvel angle de vue des syndicats sur l’entreprise et ses dirigeants, d’approfondissement et de compréhension de la stratégie de l’entreprise, ce qui se retrouve dans la nature et la qualité des échanges. C’est différent et c’est en cela que le dialogue social est touché.
Le récent accord national interprofessionnel sur la Transition écologique et le dialogue social du 11 avril 2023 témoigne de ce mou-vement, avec intelligence et détermination. Il faut le saluer et s’y inscrire, et l’on ne peut que regretter que tous les syndicats ne l’aient pas signé. À l’évidence, il y a un gros travail d’acculturation des acteurs du dialogue social à déployer, ce alors que les syndicats jouent par ailleurs pleinement leur rôle dans la transformation de l’économie… mais en restant dans leur zone de confort.
Les entreprises ont la capacité à relever ces défis et devront nécessairement y parvenir pour survivre. La transition écologique et la décarbonation de notre économie imposent en effet des investissements d’ampleur. Notre souveraineté énergétique et la réindustrialisation de notre pays nécessitent par ailleurs des compétences et des qualifications en France et en Europe et supposent le développement de nouvelles filières. Les syndicats, salariés comme patronaux, et les acteurs du dialogue social dans les entreprises n’auront donc pas d’autre choix que de s’en saisir.

"Face à des enjeux transverses, qui dépassent le plus souvent l’entreprise, le champ d’intervention des directions des ressources humaines devrait par ailleurs s’étendre et le dialogue s’instaurer avec de nouveaux acteurs"

Que doivent faire les directions RH pour devenir acteurs de ces évolutions ?

P. C-C. La qualité sociale repose sur des acteurs éclairés et formés. Cela suppose de développer une politique de formation aux aspects juridiques, économiques et même scientifiques du dialogue social environnemental, pour les directions RH comme pour les représentants du personnel. Cet enjeu est essentiel tant les transformations à venir de l’emploi, des compétences et de l’organisation du travail nécessitent une appropriation et une acceptation par le corps social, alors même qu’elles interviennent dans un cadre contraint et un calendrier bien souvent serré. La politique sociale de l’entreprise devra par ailleurs être compatible avec un objectif de durabilité, et en particulier les objectifs économiques, sociaux et climatiques de l’Union européenne. Les directions des ressources humaines devront donc assimiler ces objectifs, savoir les traduire dans leur stratégie sociale et convaincre les directions générales et les actionnaires d’y souscrire. Face à des enjeux transverses, qui dépassent le plus souvent l’entreprise, le champ d’intervention des directions des ressources humaines devrait par ailleurs s’étendre et le dialogue s’instaurer avec de nouveaux acteurs. Il s’agit non seulement des branches professionnelles et organisations
patronales, mais également de l’administration et des collectivités territoriales, des associations et des ONG, des élus, et d’actionnaires ou de citoyens qui interpellent de plus en plus les entreprises au sujet de leurs stratégie sociale et de leur gouvernance. N’oublions pas que les informations issues du reporting CSRD seront intégrées au rapport de gestion, qui devra être rendu public sous format électronique. Il n’y aura donc pas de limite au périmètre des acteurs susceptibles de questionner l’entreprise sur ses engagements et ses actes.

En quoi cela affecte-t-il la valeur de l’entreprise ?

A. V. La directive CSRD vise à flécher les investissements vers les entreprises ayant les normes de durabilité et de gouvernance les plus élevées. Cela va nécessairement affecter les capacités de financement des entreprises, dont dépend leur performance en matière de durabilité et de gouvernance. Ce qui existait jusqu’alors en matière strictement comptable pour les sociétés cotées, avec les normes IFRS, s’étend désormais au champ extra-financier et à un périmètre d’entreprises plus large. Cette obligation nouvelle va ainsi progressivement, mais irréversiblement, avoir une incidence sur la stratégie et la conduite opérationnelle de l’entreprise, qui auront, in fine, des conséquences sur l’emploi et les conditions de travail. La valeur d’une entreprise ne se résume cependant pas à la bonne note qu’elle obtiendrait dans le cadre de tel ou tel indicateur. Pas davantage que la qualité de son dialogue social ne se résume au nombre d’accords collectifs qu’elle conclut, ou que la qualité de l’emploi en son sein au niveau des rémunérations qu’elle offre. Chacune a au contraire son ADN propre, son histoire, ses valeurs, son marché et il demeure essentiel que sa stratégie et le modèle qu’elle déploie soient alignés avec ces réalités et ses propres ambitions.

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