À l’instar du réchauffement climatique, longtemps resté au stade de l’évocation avant de donner lieu à des politiques plus structurelles, le questionnement autour de la valeur travail et les enjeux associés appellent plus que des déclarations d’intention. Pour y répondre, l’appropriation du sujet de l’organisation et de la qualité de vie et des conditions de travail (QVTC) est un incontournable qui requiert un traitement de fond. Cet investissement est cependant payant car facteur de sens et d’engagement.

En cette période de rentrée, les entreprises demeurent confrontées aux difficultés de recrutement et plus globalement aux attentes des salariés à l’égard du travail, qui ne se limitent pas à la question de la rémunération. Ces derniers n’hésitent plus à exprimer une recherche d’équilibre dans leur activité professionnelle pour sortir du "non-dit".
Tout particulièrement depuis la crise du Covid-19 et le relâchement du lien avec l’entreprise qu’elle a impliqué, d’aucuns ont décelé différents signes d’une érosion de la valeur travail : appétence des jeunes pour l’entreprenariat et le travail indépendant, diplômés de grandes écoles s’orientant d’emblée vers des carrières perçues comme atypiques, taux d’absentéisme et forte hausse des arrêts de travail.
Peut-être plus qu’un désamour du travail, ces tendances expriment un souhait de travailler autrement, et avec une liberté d’organisation accrue. Par un mouvement de balancier, les revendications de flexibilité dans l’organisation du travail sont à présent portées par les salariés.
Les entreprises ont tout intérêt à accompagner ce mouvement de fond, en se saisissant des outils juridiques à leur disposition, tout particulièrement pour organiser le travail à distance, gérer la charge de travail et assurer la possibilité de se déconnecter pendant les temps de repos.
Au-delà de l’opportunité de valoriser leur "marque employeur", l’enjeu est de prévenir le risque de laisser se constituer des modes d’organisation du travail sur lesquels il leur sera ensuite difficile de revenir ou encore de se les voir imposer à des conditions fixées par un tiers (juge, administration et médecine du travail).
Or le droit du travail français a connu ces vingt dernières années, et tout particulièrement avec les ordonnances Macron du 22 septembre 2017, un rééquilibrage qui permet aux entreprises de négocier à leur niveau, voire d’adopter unilatéralement des solutions "sur mesure" en matière d’organisation du travail.
Six ans plus tard, le constat est celui d’une certaine inertie à s’approprier les possibilités offertes et de la tentation de s’en tenir à une approche de surface, au détriment d’une démarche approfondie d’évaluation de nouvelles façons de travailler plus intelligentes et efficaces, d’évolution des mentalités et de sensibilisation sur les dimensions multiples de la charge de travail, de formation aux différents temps et lieuxvde dialogue possibles sur le travail.
La QVT implique la conciliation des exigences de performance et de productivité avec un équilibre dans l’activité professionnelle elle-même, de santé au travail et d’articulation avec le hors temps de travail. La capacité du salarié à s’engager pleinement pendant son temps de travail sera d’autant plus favorisée qu’il est assuré de pouvoir faire face à sa charge de travail dans des conditions lui permettant de délivrer un travail de qualité, dans un cadre régulé et préservant son équilibre de vie privée.

"La loi fixe l’objectif et l’entreprise est libre des modalités permettant d’assurer l’effectivité du droit à la déconnexion"

Focus sur le télétravail

Il est devenu une modalité d’organisation du travail que l’entreprise peut difficilement exclure par principe. Entrées dans le Code du travail tardivement en 2012, les ordonnances Macron ont, depuis, contribué à l’imposer à la table des discussions, en lui conférant la nature d’un quasi-droit pour le salarié. La crise sanitaire a accéléré la tendance en contraignant les entreprises à l’expérimenter à grande échelle, qu’il s’agisse des types de poste concernés ou de la proportion du temps de travail en présentiel et à distance.
L’employeur qui refuse d’accorder le bénéfice du télétravail doit ainsi être en mesure de motiver sa décision au regard de conditions d’éligibilité tenant aux exigences du poste et/ou au degré d’autonomie du salarié. La justification prêtera d’autant plus à la critique que les conditions n’auront pas été fixées et communiquées préalablement aux salariés, et le cas échéant, à leurs représentants.
L’intérêt de disposer d’un accord collectif ou d’une charte unilatéralement adoptée est précisément de définir un cadre de recours au télétravail conciliant les besoins d’organisation de l’entreprise et les aspirations des salariés. Ce document constitue également un appui objectif pour les managers placés en première ligne pour apprécier l’opportunité d’accorder du télétravail à leurs équipes et selon quelles modalités et fréquence.
À défaut de cadre ou d’un contenu suffisant, l’entreprise s’expose à plusieurs risques, tels un traitement différencié sans raison objective (enjeu d’égalité de traitement) ou une impossibilité de revenir, sans l’accord du salarié, sur une situation de télétravail de fait que l’employeur aura laissé s’établir.
Au-delà, le risque pour l’employeur de se voir imposer la mise en place du télétravail, en tout cas dans des situations individuelles, est réel. Le juge n’est pas encore allé jusqu’à admettre que le refus sans raison ou non motivé d’accorder du télétravail caractérisait une exécution déloyale du contrat. Toutefois, la jurisprudence a d’ores et déjà sanctionné l’employeur pour ne pas avoir suivi la préconisation du médecin du travail de mettre en place du télétravail dans le cadre de son pouvoir d’appréciation de l’aptitude professionnelle.

Focus sur le droit à la déconnexion

En rendant plus poreuse la frontière entre les sphères professionnelle et privée, l’utilisation généralisée des NTIC a facilité l’incursion du travail en dehors du temps qui lui est normalement consacré, tout en permettant une plus grande flexibilité dans l’organisation de celui-ci.
Le caractère plus ou moins volontaire de l’hyperconnexion et de la surcharge mentale qu’elle est susceptible d’induire a fait émerger le sujet en jurisprudence avant même la consécration légale du droit à la déconnexion par la loi Travail du 8 août 2016 qui en a fait l’une des thématiques de la négociation sur la QVTC dans les entreprises de 50 salariés et plus.
Toutefois et dès la première embauche sous ce régime, le recours au forfait jours impose à l’entreprise de définir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion, y compris par voie de décision unilatérale à défaut d’accord collectif. La loi fixe l’objectif et l’entreprise est libre des modalités permettant d’assurer l’effectivité du droit à la déconnexion.
Cette effectivité suppose de reconnaître que la charge de travail nécessite la mise en place d’outils d’évaluation en amont et de régulation au fil de l’eau, outre les dispositifs de compensation pour les surcharges inévitables, à l’instar des contreparties inhérentes au système des astreintes. Parmi les mesures possibles : l’encouragement à un dialogue ouvert sur la charge de travail, la formation et le soutien des managers pour éviter de les placer dans une injonction paradoxale, l’identification de ressources rapidement mobilisables (outre
le traitement plus structurel), l’octroi de repos après des pics de charge. C’est à cette condition que l’entreprise sera en mesure de tenir utilement la position que la déconnexion est aussi de la responsabilité du salarié.
Les enjeux RH et financiers sont de taille aussi bien au regard de la durée que de la santé au travail : non-respect des temps de repos, rappel d’heures supplémentaires ou de jours  excédant le forfait, travail dissimulé, manquement à l’obligation de sécurité, syndrome d’épuisement susceptible d’être reconnu comme maladie professionnelle avec la possible  reconnaissance d’une faute inexcusable de l’entreprise.
Au-delà du phénomène de mode, la semaine de quatre jours, les congés dits illimités ou encore la multiplication des congés extralégaux tenant à la vie personnelle peuvent également contribuer à l’amélioration de la QVT mais ne se substituent pas à une réflexion sur l’organisation du travail dans l’entreprise qui est un préalable à leur mobilisation effective par le salarié.
Avec le doublement de l’absentéisme sur la dernière décennie, principalement dû aux arrêts de travail, y compris chez les cadres, les entreprises étaient déjà incitées à se saisir de la QVT. Elles le sont d’autant plus au regard de la jurisprudence qui vient de reconnaître sur le fondement du droit européen que le salarié en arrêt maladie non professionnelle continue d’acquérir des congés payés…

Sur l'autrice : Sophie Pélicier-Loevenbruck est avocate associée au sein du cabinet Fromont Briens, acteur de référence depuis plus de trente ans sur l’ensemble des spécialités du droit social : relations individuelles et collectives de travail, volet social des restructurations, rémunérations, épargne salariale et protection sociale complémentaire, droit de la formation professionnelle, droit pénal du travail, mobilité internationale et coordination de projets à l’international, dimension sociale de la RSE et de l’éthique d’entreprise.

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