Par Romain Thiesset, avocat associé. Capstan
La prévoyance est historiquement l’œuvre des entreprises. Après avoir assuré le relais pendant quelques décennies, l’État se retourne de nouveau sur les entreprises afin de garantir aux salariés une couverture minimale. Leur tâche n’est pas aisée, leurs initiatives étant limitées par une réglementation qui va dans le sens contraire des objectifs affichés. La preuve avec trois exemples récents.

Un régime social complexe et inadapté
Un régime social et fiscal de faveur est à ce jour applicable aux contributions des employeurs finançant les régimes de protection sociale complémentaire. Il s’agit bien entendu, à l’origine, d’inciter les entreprises à mettre en place une couverture permettant de pallier les désengagements de l’État et la dégradation structurelle des régimes légaux de retraite. Toutefois, l’Administration n’a eu de cesse de modifier les conditions permettant de bénéficier du régime social de faveur, contraignant régulièrement les entreprises à modifier les caractéristiques de leurs régimes. Afin de mettre fin aux contestations qui se multipliaient, un décret a été publié le 9 janvier 2012, dans le but de clarifier les règles applicables. Les règles nouvelles, qui auraient dû s’appliquer dès le 1er janvier 2014, aggravent au contraire cette insécurité juridique et témoignent d’une absence de maîtrise par les pouvoirs publics de la matière, et de ses enjeux.
Ce décret réaffirme les conditions liées au caractère obligatoire et collectif des régimes. Toutefois, s’agissant du caractère obligatoire, le décret prévoit certaines dérogations et les soumet à des conditions que ne respectent pas, à ce jour, de nombreux régimes. Tel est le cas notamment de la possibilité pour les salariés en contrat à durée déterminée de ne pas adhérer au régime, qui ne peut désormais être prévue que si le régime est mis en place par accord collectif ou référendaire (excluant ainsi les régimes mis en place par décision unilatérale (1)). S’agissant du caractère collectif, celui-ci fait l’objet d’une définition inédite : le décret prévoit cinq critères pouvant être utilisés dans la détermination d’une catégorie objective de salariés auxquels un régime peut être réservé. Ces critères ne sont toutefois pas suffisants, l’entreprise devant par ailleurs, en utilisant ces critères, regrouper «?tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées?» ; le décret prévoyant néanmoins un certain nombre de cas, selon la nature du régime et le critère utilisé, dans lesquels cette condition est présumée respectée (cf. tableau). Une circulaire du 25?septembre 2013 est venue apporter quelques maigres éclairages, le plus important d’entre eux étant un report des règles nouvelles au 1er juillet 2014. Cependant, une lettre circulaire Acoss du 4 février 2014 perturbe déjà la compréhension qui pouvait être faite du décret et de la circulaire. Tout cela était sans compter sur la jurisprudence (la Cour de cassation ayant récemment rendu des décisions en décalage avec les circulaires publiées), et sur l’interprétation faite par les Urssaf de ces différentes règles (les Urssaf considérant, par exemple, que le régime social de faveur ne peut pas profiter aux régimes dont la formalisation ne comprend pas les clauses présentées obligatoires par le Code de la Sécurité sociale).

Des obligations nouvelles sans valeur ajoutée
La loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a prévu que, à échéance du 1er janvier 2016, tous les salariés devront bénéficier d’une couverture frais de santé. Elle prévoit, plus exactement, une négociation au niveau de chaque branche, qui devra aboutir avant le 1er juillet 2014. À défaut, cette négociation sera mise à la charge des entreprises qui, en toute hypothèse et quel que soit leur effectif, devront se doter d’un régime dont un décret doit définir le niveau minimum de prestations, et dont le financement est assuré au moins pour moitié par l’employeur. L’utilité de cette mesure, qui fait peser des obligations particulièrement lourdes sur les plus petites entreprises (qui sont rarement dotées de tels régimes, et dont l’effectif ne leur permet pas une négociation tarifaire), est pour le moins relative. En effet, ce droit ne va profiter qu’aux 400 000 salariés dépourvus d’une couverture complémentaire, dont une grande majorité ne souhaite d’ailleurs pas en bénéficier, estimant ne pas avoir besoin (principalement les jeunes adultes ou les assurés bénéficiaires de prestations légales plus importantes). L’intérêt de cette mesure est encore plus réduit au regard de son coût évalué à hauteur de 3 à 5?milliards d’euros. Les modifications apportées par cette loi à la portabilité des régimes de prévoyance sont tout autant contestables. La portabilité est en effet étendue à douze mois (contre neuf mois actuellement), à effet du 1er?juin 2014 pour les régimes frais médicaux, et du 1er?juin 2015 pour les garanties incapacité, invalidité, décès ; il est enfin prévu, aux mêmes dates, la mutualisation de son financement. Il en résultera toutefois une augmentation des cotisations pour financer un droit bénéficiant aux anciens salariés…

Un nouveau régime fiscal inopportun
Dans la plus stricte confidentialité, la loi de finances pour 2014 a consacré la réintégration, dans le revenu imposable des salariés, des contributions patronales au financement des régimes frais de santé. Sont également concernées les participations éventuelles du comité d’entreprise. Cette mesure s’applique immédiatement et affecte donc, en premier lieu, les revenus perçus au titre de l’exercice 2013. À ce titre, les employeurs doivent d’ailleurs modifier les informations relatives à leur revenu imposable, figurant sur leur bulletin de paie du mois de décembre. Cette mesure, qui va directement impacter le pouvoir d’achat des salariés (pour certains de manière importante, lorsqu’ils franchiront, ainsi, une nouvelle tranche d’imposition), est en contradiction avec l’impérieuse nécessité de développer la protection sociale complémentaire, au regard du désengagement de l’État. En effet, cette mesure va inciter et même contraindre certains employeurs, parfois sous la pression de leurs salariés, à réduire leur niveau d’engagement et donc, in fine, le niveau de couverture des assurés (jusque dans la limite des obligations relatives à la généralisation de la couverture santé). Bien plus, il est à craindre, à court terme, la réintégration dans le revenu imposable de toutes les contributions patronales au financement de la protection sociale complémentaire. Ces contributions ne constituent pas moins, en effet, un avantage en nature que celles finançant l’indemnisation des frais médicaux. Enfin, à considérer que ces contributions constituent des avantages en nature, une modification du régime social n’est pas à exclure.

1 Un décret devrait néanmoins modifier ce qui semble être une erreur matérielle du texte, toutefois uniquement en faveur des régimes frais médicaux mis en place par décision unilatérale

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