Depuis quelques jours, les équipes du Président sont sur le pied de guerre pour éviter qu’il ne soit hué au Salon de l’agriculture samedi 24 février. Les images d’Emmanuel Macron houspillé Porte de Versailles pourraient être dévastatrices.

Dans les bureaux du ministère de l’Agriculture, sous les combles de l’Élysée, dans les réunions syndicales et les exploitations, une armée de conseillers, de hauts fonctionnaires, de préfets et de députés est à la manœuvre depuis quelques jours. Leur mission ? Faire en sorte que la visite d’Emmanuel Macron au salon de l’agriculture se déroule sans heurts.

Vent de panique à l’Élysée

Les informations qui remontent au sommet de l’État sont formelles : dans un contexte de crise du monde agricole, Emmanuel Macron risque de passer un sale quart d’heure sur place. De leur côté, les principaux syndicalistes agricoles soufflent le chaud et le froid et font monter la pression. Le mardi 20 février, Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, premier syndicat agricole, s’est montré clair sur France 2 : "Personne n’imagine que le président de la République déambule dans les allées comme ça se passe traditionnellement." Le président des Jeunes Agriculteurs (JA) Arnaud Gaillot est sur la même longueur d’onde : "On ne peut pas faire un salon de l’agriculture normal, comme si rien n’avait eu lieu ces dernières semaines." Pourtant, le 6 février, Emmanuel Macron a tenté de l’amadouer en personne en se rendant dans sa ferme située dans le Doubs, sans médias.

D’autres voix "hors système" appellent à bousculer le Président. Même le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, réputé pour son optimisme et sa pondération, est d’humeur maussade : "Je ne dis pas forcément que le salon va se passer dans les conditions de sérénité." Certes, le président de la République aime aller en terrain hostile, convaincre les défiants et être "à portée d’engueulade" comme il aime le dire. Un jeu dangereux. Ce grand comice agricole a une longue histoire et certaines règles. L’une d’elle est formelle : un responsable politique sifflé dans les allées du salon voit sa carrière politique malmenée. Certaines anecdotes sont riches d’enseignement.

"Personne n'imagine que le président de la République déambule dans les allées comme ça se passe traditionnellement"

Jospin, Hollande : sifflés au salon de l’agriculture, carrière politique en déconfiture

En 2001, Lionel Jospin, alors premier ministre, se rend sur place. À l’époque, la crise de la politique agricole commune (PAC) couve. Le socialiste met les mains dans le cambouis au risque de l’impopularité. Fine mouche, Jacques Chirac reste au-dessus de la mêlée. Fidèle à lui-même, il "tape le cul des vaches", engloutit bière, charcuterie et fromage. Pendant ce temps, Lionel Jospin est pris à partie et reçoit jets d’œufs et injures. La séquence est cruelle, il paraît déconnecté de la France des terroirs à l’inverse du président.

En 2016, c’est François Hollande qui sera malmené. Quelques mois plus tard, il renoncera à se présenter. Selon son premier cercle, l’accueil réservé par les agriculteurs et les éleveurs aura joué un rôle clé dans son choix. Quelques mois plus tard, il sera encore hué et chahuté pour son dernier salon.

La jurisprudence Fillon

Le cas le plus emblématique reste celui de François Fillon. Remontons le temps au 1er mars 2017. La journée commence mal pour le candidat LR empêtré dans l’affaire Penelope. Il apprend qu’il est mis en examen pour détournement de fonds publics, complicité et recel d’abus de biens sociaux. Faisant fi de sa promesse de renoncer à sa candidature en cas de mise en examen, il décide de se maintenir et se déplace comme prévu au salon de l’agriculture.

Se rendre auprès d’un monde agricole qui souffre alors qu’on vient d’être mis en examen dans une affaire d’enrichissement personnel n’est pas l’idée du siècle. Sans surprise, devant les caméras des chaînes d’infos en continu, il est violemment alpagué par la foule : "Voleur !", "Rentre chez toi, bandit", "On crève la dalle et il se permet tout !"

En 2017, François Fillon est hué Porte de Versailles. Dans la foulée, il se fait lâcher par Dominique Bussereau et Bruno Le Maire, anciens ministres de l’Agriculture

Le staff du candidat avait flairé le traquenard et prévu une riposte si ridicule qu’elle en est drôle. Derrière la foule en colère s’élèvent quelques voix qui scandent "Fillon président". Des agriculteurs fidèles ? Pas vraiment. Les caméras de BFMTV sont allées à la rencontre des fillonistes des champs. Nul besoin d’être familier du monde agricole pour deviner qu’ils ne sont jamais montés sur un tracteur : quinquagénaire à chevalière, mère de famille au phrasé bourgeois, le cou noué d’une écharpe en cachemire, jeunes diplômés bien peignés en costume-cravate… En réalité, les fédérations LR de l’ouest parisien ont rameuté le ban et l’arrière-ban des militants à coups de SMS. Un public bien éloigné de la France profonde et qui a fait plus de mal que de bien.

Des millions de spectateurs constatent que le candidat est acclamé par un noyau dur sociologiquement ultra-minoritaire. Mais il est dans le collimateur du "peuple", celui qui se lève tôt pour traire ou semer. À partir de ce jour, de nombreuses personnalités de la droite prennent leurs distances. Hasard ou non, parmi les lâcheurs se trouvent deux anciens ministres de l'Agriculture, Dominique Bussereau et Bruno Le Maire…

Le prudent Monsieur Mélenchon

Si un dirigeant politique est bien au courant du danger d’être sifflé sur place, c’est bien Jean-Luc Mélenchon. Candidat à la sociologie plus urbaine que rurale, il a conscience que son capital sympathie est plus élevé dans les manifestations en soutien au peuple palestinien qu’auprès des agriculteurs. En 2017 et en 2022, années de campagnes présidentielles, il avait sagement déserté les allées de la Porte de Versailles dans lesquelles il n’a pas mis les pieds depuis 2014. Motifs ? En 2017 il a préféré parler d’écologie (de quoi déplaire au monde paysan qui déteste être opposé aux écologistes). Cinq ans plus tard, rebelote, il refuse de se rendre à un événement qui "promeut un mode d’agriculture qui n’est pas le nôtre".

Marine Le Pen utilise le salon pour acter sa dédiabolisation. Jean-Luc Mélenchon l’évite depuis 2014

Emmanuel Macron : Alea jacta est

Emmanuel Macron et ses équipes sont au fait de la situation. Ils savent aussi que, depuis quelques années, Marine Le Pen est acclamée sur place, ce qui sert sa stratégie de dédiabolisation. Le Président n’est pas du genre à se dérober, mais ses équipes essaient de déminer la situation. Le scénario le plus probable à ce stade est un échange viril et musclé, hors caméras, avec les syndicats contre un peu de tranquillité dans les allées. Une chose est certaine, le président de la République ne battra pas son record de présence sur place qui est de 14 heures et 30 minutes le 24 février 2019.

Lucas Jakubowicz

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