Après les bonnets rouges et les gilets jaunes, voici l'émergence des gilets verts : les agriculteurs. Certains d’entre eux entament un blocage de la capitale. À ce rythme, les couleurs risquent de manquer pour qualifier cette colère grandissante issue de ce que l'on nomme, de manière vulgaire dans les cabinets ministériels, "les territoires". Cette colère semble prendre de l'ampleur et pourrait perdurer estime dans cette chronique Camille Chaussinand, expert en gestion de crise et en communication politique.

"Nous n'avons jamais six mois de répit", confient les parlementaires, accumulant les crises en tout genre depuis 2017. Une crise en entraîne une autre. Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, ils sont ballottés de Charybde en Scylla, ce qui touche inévitablement les citoyens, loin des rouages du pouvoir.

À l'origine de cette colère des agriculteurs, de moins en moins maîtrisée par les syndicats, on retrouve les mêmes ingrédients qui avaient allumé la mèche initiant la révolte des gilets jaunes : mobilité individuelle ou professionnelle de plus en plus coûteuse, inflation, hausse du coût de l'énergie, complexité des démarches administratives... et de manière plus globale, un ras-le-bol général révélateur de la détresse de cette profession.

Des territoires qui ne se parlent plus

Résultat : un Hexagone qui se fragmente en "cinq France" de crises distinctes que l'on pourrait grossièrement caricaturer : celle de Paris (les technocrates), celle des métropoles (les cadres), celle des zones périurbaines (les gilets jaunes), celle des quartiers populaires (les émeutiers), celle des campagnes (les agriculteurs).

Récemment, le Président de la République a pourtant parlé devant près de 9 millions de Français, tentant de les séduire avec des mesures qui se sont avérées en majorité populaires. Cependant, il a été incapable de rassembler autour d'un projet commun et partagé. Sans cap, il demeure impossible de gouverner.

Une crise de la représentation ou des institutions ?

Les deux, mon capitaine. Une crise en cache souvent une autre. Si Gabriel Attal a manqué une occasion de calmer la situation en ne se rendant pas immédiatement en Ariège après le drame du début de semaine, il n'a pas non plus eu la main sur la composition de son gouvernement. La moitié des membres du gouvernement sont issus d'Île-de-France. Un énième pied-de-nez à la "province" qui ne parvient plus à se faire entendre autrement qu'en bloquant le pays.

"Les députés issus de territoires ruraux peinent à faire remonter la colère, les lieux de débats se sont raccourcis et digitalisés"

Le Parlement, écrasé par un exécutif jupitérien, est devenu une chambre d'enregistrement, ne permettant plus aux députés issus de territoires semi-ruraux ou semi-urbains de faire remonter cette colère. S'ajoute à cela une situation politique dans laquelle les partis ne sont plus les laboratoires d'idées qu'ils étaient lorsque deux blocs modérés s'affrontaient. Les lieux de débats se sont raccourcis et digitalisés au profit des trolls et autres bots extrémistes. La République risque de payer cher ce manque de proximité, de flexibilité et d'humanité.

Une sortie de crise sans porte

La difficulté de sortir de la crise réside dans la pluralité des profils des agriculteurs : d'un céréalier dévoré par la lourdeur administrative favorisant des exploitations toujours plus grandes à un arboriculteur de la Vallée du Rhône souhaitant conserver les mêmes produits phytosanitaires que ses voisins espagnols pour lutter efficacement contre la drosophile, en passant par un éleveur qui souffre de la concurrence déloyale des pays de l'Est, il y a un gouffre. Pour autant, ce monde des territoires est solidaire, bien plus que ce que croient celles et ceux qui ne le connaissent pas.

Quelles que soient les mesures prises par le premier ministre, le mouvement des gilets verts continuera à prendre de l'ampleur. La convergence des luttes, idéal rêvé des récupérateurs politiques opportunistes et sans vergogne, devrait empêcher le gouvernement de calmer le jeu. Sans un déplacement officiel du président de la République et de son premier ministre sur le terrain, la situation s'aggravera encore quelques jours jusqu'à atteindre un paroxysme qu'il n'est pas encore possible d'entrevoir, mais que tout le monde espère épargné de dégâts humains.

Camille Chaussinand

Enseignant en communication politique et gestion de crise à Sciences Po Grenoble, porteur de la chaire Gestion de crise.

 

[1] https://www.bfmtv.com/politique/elysee/infertilite-theatre-impots-comment-les-francais-ont-recu-les-annonces-d-emmanuel-macron-ce-mardi_AV-202401170843.html

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