La romancière et essayiste publie un essai dans lequel elle alerte sur la montée de l’obscurantisme religieux en France. Principale coupable ? La nouvelle gauche qui joue le rôle d’idiot utile, voire de complice.

Décideurs. Catholicisme, islam, judaïsme. Selon vous ces trois religions sont par nature hostiles à l’émancipation des femmes. Pourquoi ?

Tristane Banon : Elles sont toutes les trois apparues dans des sociétés de type patriarcal, c’est-à-dire une organisation dans laquelle l’homme décide de tout, est propriétaire du corps, de l’âme, de l’héritage des femmes bien souvent réduites à la procréation. Ces trois religions monothéistes ont rendu le sexisme existant inattaquable car considéré comme étant de droit divin. Soyons clairs : aucuns textes sacrés, ni la Torah, ni la Bible, ni le Coran ne prône l’émancipation de la femme.

Pourtant, croyants et responsables religieux ne sont pas tous hostiles au droit des femmes. Il est possible d’être juif, chrétien, musulman tout en étant humaniste et féministe…

Bien entendu ! Ces religions possèdent toutes des courants séculaires. C’est le cas de la majorité des catholiques, il existe également un judaïsme libéral qui autorise les femmes rabbins ou un islam des Lumières qui soutient, par exemple, que le voile n’est pas une prescription religieuse. Tous ces courants estiment qu’il est nécessaire de ne pas prendre tous les textes à la lettre, de les replacer dans le contexte de leur époque. Le problème, c’est que les courants intégristes reviennent en force.

Pourquoi ?

Les raisons sont multifactorielles et on pourrait y consacrer un livre de plusieurs centaines de pages. Le monde traverse une crise économique, écologique, technologique. De plus en plus, les humains ont le sentiment de ne plus contrôler leur destin et se réfugient dans la religion, ce qui est une constante historique. Dans certains pays occidentaux, l’éducation se détériore. On le voit avec les résultats Pisa dans l’Hexagone. Les esprits deviennent de facto plus manipulables, moins cartésiens. Ce n’est pas un hasard si la première chose que veulent contrôler les religieux c’est l’éducation. À cela s’ajoute, notamment dans notre pays, une crise identitaire chez une partie de la population de culture musulmane sensible aux discours d’intégristes. Ils prennent de plus en plus de pouvoir dans l’espace public. Automatiquement, les autres religions se disent "pourquoi pas moi ?".

C’est ainsi que l’on assiste à un revival de l’intégrisme catholique. Demandez au chanteur Eddy de Pretto, catholique et homosexuel, harcelé pour avoir chanté à l’église Saint-Eustache. Dans tous les cas, les femmes sont les victimes puisque les droits à avorter, travailler, s’éduquer, montrer leur corps comme les hommes sont remis en cause.

"Ce n'est pas un hasard si la première chose que veulent contrôler les religieux, c'est l'éducation"

Pour vous, la lutte contre l’expansion de l’intégrisme religieux passe donc principalement par l’éducation ?

Oui. Et ce qui se déroule actuellement en Afghanistan en est la preuve. Le premier geste des Talibans a été d’exclure les femmes de l’éducation. Or, celles-ci résistent, continuent de lutter. Pourquoi ? Parce qu’elles ont pu bénéficier de l’instruction entre 2001 et le retour du régime théocratique. Des graines d’émancipation ont été semées.

En France, on semble prendre le chemin inverse. Une étude Ifop publiée en décembre 2022 montre que les enseignants se censurent, n’osent plus parler de laïcité, de caricature, de droit au blasphème de Mila, de Samuel Paty... Cela fait le lit de la radicalité puisque les enfants ont moins de possibilités d’entendre des contre-discours. La stratégie de terreur menée par les obscurantistes fonctionne bien.

Historiquement, en France, la gauche est également un rempart contre l’intégrisme religieux. Cela ne semble plus trop être le cas. Que s’est-il passé ?

Dès son origine la gauche française s’est construite en s’opposant à l’Église catholique et à sa mainmise sur la société. Son approche était universaliste, c’est-à-dire que les hommes et les femmes sont classés en fonction de ce qu’ils pensent. Désormais, c’est la logique clientéliste, communautariste qui a pris le dessus. Avec un succès mitigé puisque, si elle est implantée dans les centres-villes et les banlieues, elle est en retrait sur l’ensemble du territoire et semble avoir des difficultés à rassembler autour d’un idéal commun.

Désormais, l’heure est à l’intersectionnalité des luttes…

Oui, la gauche française se fonde sur cette doctrine en vogue dans les pays communautaristes anglo-saxons. L’objectif est simple : regrouper toutes les minorités jugées opprimées du fait de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, de leur religion pour en faire une majorité capable de créer une société plus égalitaire. Je ne sais pas si c’est par calcul clientéliste ou par naïveté mais sur le papier c’est joli, l’intention est louable…

"La gauche intersectionnelle fait le lit de l'islamisme"

Mais ça ne marche pas…

Évidemment que ça ne peut pas marcher ! En étant de tous les combats, cette nouvelle gauche n’est d’aucun combat. En ne hiérarchisant pas les luttes, c’est forcément le plus fort, le plus déterminé, le plus violent ou le plus organisé qui rafle la mise. L’intersectionnalité des luttes prouve régulièrement qu’elle "beugue".

Péril

Quels sont les exemples les plus précis qui vous viennent à l’esprit ?

Le cas de Mila est emblématique. Une lycéenne se fait harceler en ligne parce que lesbienne. Elle se défend en blasphémant et en s’en prenant à la religion musulmane puisqu’une partie de ces cyber-agresseurs se réclamaient de cette religion. La gauche se trouve devant un dilemme : faut-il soutenir une lesbienne agressée ou certains musulmans qui se sentent insultés dans leur foi ? Visiblement, c’est la seconde option qui l’a emporté et Mila a été abandonnée en rase campagne. D’autres exemples sont emblématiques. Prenez le chanteur marocain Saad Lamrajed actuellement jugé pour une série de viols. La gauche est bien silencieuse car elle a peur d’être qualifiée de "raciste" ou de faire le jeu de l’extrême droite. En revanche, le député EELV Julien Bayou a été traîné dans la boue pour sa vie amoureuse qui n’a rien d’illégal.

Dans votre ouvrage, vous n’êtes pas tendre avec le "nouveau féminisme" …

Je consacre un chapitre à la trahison du féminisme. Au nom de l’intersectionnalité des luttes, du droit de chacun à disposer de son corps, de l’antiracisme, des femmes se retrouvent à défendre des positions qui oppressent les femmes, bien souvent les plus pauvres. Vous rendez-vous compte que des féministes autoproclamées, en plus de lâcher Mila, défendent le burkini, considèrent le voile comme un embellissement ? Certaines comme Caroline De Haas déclarent que le harcèlement de rue à La Chapelle est lié à la taille des trottoirs ! Elles disent lutter contre le patriarcat mais font son jeu de peur de "froisser les croyants". Mais les féministes n’ont pas à craindre de froisser les croyants. C’est la défense de la liberté qui prend le dessus ! Certaines se mettent même à critiquer Élisabeth Badinter ou Simone Veil sans qui elles ne seraient pas là où elles sont ! Elles sont les idiotes utiles des pires obscurantistes.

En France l’islamisme politique tire donc les marrons du feu ?

C’est bien malheureux mais c’est le cas. Aujourd’hui la gauche intersectionnelle fait le lit de l’islamisme. Les théoriciens de cette idéologie sont parvenus à instaurer dans les esprits le postulat suivant : critiquer un aspect de leur religion, c’est automatiquement être raciste. Or la gauche a la phobie d’être accusée de racisme, elle se tait et laisse donc des radicaux imposer leur agenda, infiltrer la société, la jeunesse. Le tout avec la complicité tacite des ultras de toutes les religions qui peuvent, eux aussi, faire placer leurs pions.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

Le péril Dieu, de Tristane Banon, éditions de l’Observatoire, 252 pages, 20 euros

Crédit photo : Lou Sarda

 

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