Journaliste politique et spécialiste du populisme italien, Anna Bonalume revient sur la montée en puissance de l’extrême droite et, notamment, de Fratelli d’Italia. Le parti de Giorgia Meloni est en tête des sondages des élections générales du 25 septembre.

Décideurs Magazine. Quel est l’électorat de Giorgia Meloni ?

Anna Bonalume. D’après les sondages, il ressemble vraiment à "Monsieur Tout-le-Monde". Même s’il est plus masculin que la moyenne, il est surreprésenté chez les 35-64 ans, au niveau d’instruction et au salaire moyen. Il est composé d’actifs, d’employés, de petits entrepreneurs, de professions libérales… Notons qu’il est plutôt homogène entre le sud et le nord du pays. En revanche, il est faible dans les plus grandes villes.

D’où vient la soudaine popularité de son parti, Fratelli d’Italia, qui, jusqu’ici, était plutôt marginal ?

Il n’a participé à aucun gouvernement et peut donc jouir d’une image de parti neuf, une aubaine puisque l’électorat italien est tenté par le dégagisme. Par ailleurs, il est aidé par la faiblesse des autres forces de droite et bénéficie du vide autour de lui. À 85 ans, Silvio Berlusconi n’a nommé aucun successeur et symbolise le passé. La Ligue de Matteo Salvini a gouverné et s’est abîmée au pouvoir tout en étant perçue comme incohérente sur des questions telles que la lutte contre la crise sanitaire ou en matière de politique étrangère. Des dégagistes déçus par la notabilisation du Mouvement 5 étoiles peuvent venir à elle. Dès lors, Giorgia Meloni a beau jeu de se présenter comme une personnalité politique nouvelle. Mais pas isolée puisqu’elle est alliée à Forza Italia, le parti de droite classique, et à la Ligue. Il n’y a pas de cordon sanitaire en Italie.

"Le parti de Giorgia Meloni n'a pas participé au dernier gouvernement et peut servir de vote refuge aux dégagistes"

Elle semble marcher sur les plates-bandes de Matteo Salvini. Quelles sont les relations entre les deux dirigeants ?

C’est une simple relation d’intérêt électoral qui a déjà eu lieu aux dernières élections municipales et régionales. Les deux dirigeants sont en concurrence pour le leadership à droite et à l’extrême droite mais ils ont besoin l’un de l’autre. Du reste, ils posent ensemble en public et semblent prendre plaisir à un rôle de « good cop, bad cop » en ciblant la gauche et les libéraux. Matteo Salvini joue la personnalité apaisée, Giorgia Meloni adopte une posture plus radicale, par exemple en diffusant une vidéo de viol pour dénoncer l’immigration.

Cette entente Meloni-Salvini-Berlusconi est-elle solide ? Quels sont les points communs et les divergences ?

Meloni cherche à adoucir un peu son image en soutenant l’Ukraine, en promettant le maintien dans l’Otan ou dans l’UE. Récemment, elle a même pris ses distances avec l'héritage de Benito Mussolini pour tenter de rassurer. Mais en réalité il existe de vraies divergences. Le parti de Giorgia Meloni est très protectionniste et propose la nationalisation des télécoms ou de la principale compagnie aérienne du pays tandis que Salvini est plus libéral et défend une flat tax à 15 % car son électorat comporte de nombreux entrepreneurs du nord du pays.

Giorgia Meloni pourrait devenir la première femme à la tête de l’Italie. Utilise-t-elle cette carte pour s’imposer ?

Oui, mais dans un rôle très particulier. Giorgia Meloni met en avant son rôle de mère et de chrétienne pour préserver l’identité religieuse du pays, promouvoir la natalité ou dénoncer l’immigration dont les femmes sont, selon elle, les premières victimes. Elle détaille notamment cela dans son livre Io Sono Giorgia qui est le livre politique le plus vendu dans la Botte depuis toujours. La candidate se démarque également par sa phrase d'introduction désormais présente en force dans l’opinion : "Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis chrétienne".

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

Anna Bonalume est l'auteure de "Un mois avec un populiste", Pauvert, 332 pages, 20 euros

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