Dans son meeting de Villepinte ou dans sa vidéo de déclaration de candidature, Éric Zemmour semble très proche de Donald Trump : haine contre les élites, la presse et le politiquement correct, tentation de se présenter comme le seul représentant du "vrai peuple", nostalgie d’un pays disparu…. Mais il y a un gros grain de sable dans cette stratégie.

Il ne s’en cache pas. Dans la course à l’Élysée, Éric Zemmour s’inspire de la stratégie menée par Donald Trump en 2016. Une analyse du meeting tenu par le candidat à Villepinte le 5 décembre permet de dresser de troublantes coïncidences entre le milliardaire new-yorkais et l’ancien journaliste qui a, pour reprendre sa formule, "opéré sa mue".

La stratégie du tous pourris

Une mue ou plutôt un copier-coller de l’ancien président américain élu à la surprise générale. Le fonds de commerce du magnat de l’immobilier ? Dénoncer des élites politiques déconnectées, corrompues, unies dans leur haine du peuple. Une ligne reprise sans sourciller par son ersatz hexagonal qui a notamment diabolisé les élites économiques, politiques et intellectuelles fondues dans un "ils" généraliste. "S’ils me détestent, c’est parce qu’ils vous détestent. S’ils me méprisent, c’est parce qu’ils vous méprisent. Vous, ce peuple qu’ils avaient sous-estimé, dont ils pensaient même s’être débarrassés". À l’instar de son mentor, Éric Zemmour s’est donc présenté comme le seul représentant d’un peuple écrasé.

Attaquer les médias en étant médiatique

Autre point commun troublant Trump comme Zemmour ne font pas mystère de leur désamour pour "la presse", "les médias" présentés comme des menteurs, des tenants du politiquement correct, une masse unique unie contre le peuple. Dès les premières minutes de son discours de Villepinte, le président du parti Reconquête a annoncé la couleur en remerciant "près de 15 000 Français qui ont bravé le politiquement correct, les menaces de l’extrême gauche et la haine des médias". Il a par ailleurs fustigé "une meute désormais lancée à mes trousses. Mes adversaires veulent ma mort politique, les journalistes veulent ma mort sociale, les djihadistes veulent ma mort tout court". Cet habile procédé sémantique vise à diaboliser la presse en la mettant sur le même plan que des islamistes.

Comme Donald Trump, Eric Zemmour pousse ses partisans à détester les médias qui ne pensent pas comme lui.

Quelle ressemblance avec les discours du prédécesseur de Joe Biden qui, lui aussi, faisait huer CNN ou le Washington Post dans ses réunions publiques. En excitant et en radicalisant sa base, Donald Trump avait contribué à l’invasion du Capitole. En un meeting, les afficionados d’Éric Zemmour ont attaqué une militante de SOS racisme et insulté les journalistes de quotidien.

Les deux compères partagent par ailleurs le même paradoxe : ils détestent les médias à qui ils doivent beaucoup : Trump a accédé à la notoriété avec l’émission de télé réalité The Apprentice tandis-que Zemmour a pu se faire connaître et étaler ses théories dans Le Figaro, sur CNews ou dans On n’est pas couché. Sans compter l’abondante couverture médiatique de leurs meetings. Celui de Villepinte était d’ailleurs diffusé en direct sur trois chaînes de télévision (LCI, BFMTV et CNews).

"Je suis le seul à défendre la liberté de penser, la liberté de parole". En insultant les journalistes ?

Pourtant, les deux ne cessent de clamer qu’ils sont victimes de censure car ils osent dire les vérités qui fâchent. "Je suis le seul à défendre la liberté de penser, la liberté de parole, la liberté de débattre, la liberté de mettre des mots sur la réalité pendant qu’ils rêvent tous d’interdire mon meeting et de me condamner" a notamment déclaré Éric Zemmour dans sa harangue.

Nostalgie d’un pays disparu

Durant tout son discours, Éric Zemmour a clamé son attachement à un pays selon lui disparu. Un procédé similaire à celui de son clip de campagne qui montrait des images de la France des Trente Glorieuses comparée à la France d’aujourd’hui qui tomberait dans la barbarie. Avec en fond sonore un discours anxiogène : "Vous marchez dans les rues de vos villes, vous ne les reconnaissez pas (…) vous avez l’impression de ne plus être dans le pays que vous connaissez, vous vous souvenez du pays de votre enfance, vous vous souvenez du pays que vos parents vous ont décrit (…) le pays des chevaliers et des gentes dames". Donald Trump a utilisé la même ficelle en cultivant le culte d’une Amérique blanche qui dominait militairement et économiquement le monde avant de pourrir de l’intérieur du fait du progressisme et de l’immigration massive, au point de se laisser marcher dessus par la Chine et, dans une moindre mesure, par l’Union européenne. Pour les deux dirigeants politiques, la priorité est de stopper l’immigration. "Build the wall" criaient les Trumpistes. "Immigration zéro" et "On est chez nous" ont clamé les Zemmouriens à Villepinte.

Chez Trump la foule criait "Build the wall" ? Chez Zemmour on scande "Immigration zéro"

Alliance du peuple et des élites

Sur le plan stratégique, Donald Trump avait réussi un exploit en parvenant à unir la bourgeoisie "patriote", les conservateurs religieux et une partie du petit peuple touché par les affres de la mondialisation, effrayé par l’immigration et se sentant, à juste titre, abandonné et méprisé par les libéraux. Après tout, la candidate démocrate Hillary Clinton n’avait-elle pas assimilé les électeurs trumpistes à un "panier de déplorables" ? En s’adressant aux ouvriers et aux Petits Blancs des États démocrates désindustrialisés (Illinois, Ohio, Pennsylvanie), le républicain a fait pencher la balance en sa faveur.

Les premiers rangs de son meeting de Villepinte mélange Gilets jaunes et anciens de Sens commun

En examinant les "stars" du meeting de Villepinte, on peut deviner qu’Éric Zemmour cherche à réussir ce syncrétisme. Parmi les intervenants qui ont chauffé la salle avant le discours du candidat ou qui figuraient au premier rang, on retrouve plusieurs figures de la droite catholique conservatrice : Jean-Frédéric Poisson, Christine Boutin, Laurence Trochu (du Mouvement conservateur, héritier de Sens commun) ou encore Samuel Lafont. L'initiative risque d'être peu fructueuse. Si Donald Trump a pu compter sur une population de 95 millions d'évangélistes, les chrétiens pratiquants sont bien moins nombreux dans l'Hexagone. Et bon nombre d'entre eux ne penchent pas à droite de la droite.

Pour incarner le peuple en colère, certaines anciennes figures des gilets jaunes telles que Benjamin Cauchy ou Jacline Mouraud ont également pris part à la sauterie et prononcé des discours. Jacline Mouraud a justifié son engagement par sa volonté de "représenter le peuple des gens ordinaires dont je suis". Même s’il s’agit de troisièmes couteaux, voire de has-been, la stratégie se met en place. Mais il y a un grain de sable.

L’épine Marine Le Pen

En 2016, le candidat républicain est parvenu à séduire une large frange des classes populaires blanches qui ne se reconnaissaient pas dans Hillary Clinton. Dans l’Hexagone, les choses sont différentes puisque le discours populiste de Marine Le Pen lui a permis depuis des années de faire main-basse sur cette France périphérique abandonnée par la gauche. Le dernier baromètre Ifop est révélateur. La députée du Nord mène largement la danse dans les classes populaires avec 36% d’intentions de vote au premier tour, loin devant Éric Zemmour qui, avec 11%, obtient presque le même score que Yannick Jadot (9%).

Lucas Jakubowicz

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