La députée de Loire-Atlantique et coprésidente du groupe d’études sur l’économie sociale et solidaire revient sur le poids de l’ESS. Selon elle, ce n’est que le début d’une vague de fond que le gouvernement compte accélérer.

Décideurs. Le concept d’économie sociale et solidaire reste parfois flou. Quelle définition donner ?

Sarah El Haïry : Il existe parfois une confusion entre ESS, RSE ou encore secteur associatif. Au sens statutaire, l’ESS comprend les fondations, les mutuelles, les associations et les coopératives. Le point le plus important est le vote. Tous les salariés s’expriment sur les grandes décisions stratégiques. L’ESS est avant tout une philosophie, un socle de valeurs qui met l’humain et l’impact sociétal au centre de toutes les décisions.

Mais l’ESS, c’est surtout de l’économie. Les structures entreprennent, sont présentes sur le marché, jouent le jeu de la concurrence et doivent avant tout être performantes. Pour survivre, investir, faire grandir leurs valeurs, elles doivent avant tout générer des bénéfices.

Certaines entreprises au sens classique du terme ont la même philosophie que l’ESS…

De plus en plus, les valeurs de l’ESS transpirent et pollinisent car de nombreux dirigeants souhaitent que leur société ait un impact positif sur la collectivité. Certaines entreprises traditionnelles sont « ESS compatibles ». Une stratégie de RSE menée de manière efficace, qui lutte contre les discriminations, qui défend l’environnement, promeut les circuits courts, se rapproche de l’ESS. Il en est de même pour les politiques ambitieuses en matière de participation.

Quel est le poids de l’ESS en France ?

Ce sont 200 000 structures, 12,7% de l’emploi privé et 2,5 millions de salariés en 2018. L’ESS pèse entre 10% et 12% du PIB. Sur certains territoires, la proportion monte à 16%. C’est notamment le cas dans l’ouest de la France où les coopératives agricoles sont traditionnellement très implantées. On peut encore aller plus loin.

Selon vous, cette croissance va-t-elle se poursuivre à moyen terme ?

Oui, j’en ai la totale conviction pour une raison toute simple : si vous regardez les études qui sont faites à la sortie des écoles de commerce, il est frappant de constater que de nombreux diplômés mettent les notions de valeurs et d’entreprise responsable au centre de tout. C’est la loi du marché, plus il y aura de demandes autour de valeurs défendues par l’ESS, plus il y aura d’ESS !

"Les valeurs de l'ESS pollinisent toute l'économie"

Au-delà de la volonté des jeunes diplômés, la croissance de l’ESS passe également par de l’action politique. Vous êtes coprésidente du groupe d’études sur l’ESS. Qu’y faites-vous ?

Nous recevons et auditionnons les acteurs concernés pour mieux connaître leurs besoins. Nous défendons l’ESS dans tous les projets de loi qui concernent ce secteur. C’est le cas de la loi Pacte, de la loi Travail ou encore de la réforme de l’apprentissage. Dans le cadre de la loi Pacte, nous avons fait avancer les choses sur les fondations d’actionnaires, sur la participation ou encore sur l’agrément Esus qui permet un trait d’union entre statut traditionnel et ESS.

En novembre 2018, un pacte pour l’économie sociale et solidaire a été présenté par le gouvernement. Quelles sont les principales avancées ?

Avec ce pacte, nous voulons créer un écosystème qui permettra d’augmenter la taille du marché et la place de l’ESS dans l’économie. Il prévoit notamment de lancer le French Impact qui va incuber les projets portant les valeurs de l’ESS en investissant de l’argent public, mais surtout en aidant les entreprises à lever des fonds auprès de business angels.

"Oui, l'ESS est attractive pour un banquier"

L’un des freins à la croissance de l’ESS, c’est la difficulté des structures du secteur à accéder aux capitaux privés. Les acteurs de l’ESS peuvent parfois méconnaître le secteur bancaire. De leur côté, les investisseurs nourrissent des préjugés. Osons partir à la conquête du monde bancaire en expliquant que les entreprises sont vertueuses, qu’elles font des bénéfices et que le retour sur investissement est possible. L’ESS est bankable pour le dirigeant, les salariés, la société et le banquier. Je conçois que la question de la non-lucrativité puisse laisser planer des doutes. L’enjeu est de les lever. Un grand travail de militantisme est à mettre en œuvre et c’est le but de ce pacte.

Est-il envisageable d’imposer des quotas d’entreprises issues de l’ESS dans les marchés publics ?

C’est un excellent débat. Je prône la liberté, les règles du marché, mais je suis favorable à un système de bonus-malus qui favoriserait les entreprises les plus vertueuses. Pour l’instant, la RSE est prise en compte, mais il faut passer un pallier supplémentaire. Cela suppose de revoir en profondeur les règles de la commande publique et c’est un véritable travail de fond. Les limites sont d’ordre communautaire, mais je suis persuadée que nous trouverons le juste équilibre.

Les élus y sont prêts ?

Les élus locaux oui. Ils constatent sur le terrain les externalités positives de l’ESS. Ils ne demandent qu’à collaborer mais sont contraints pas les règles des marchés publics. Au sein de l’Assemblée nationale en revanche, je remarque certains clichés. Pour beaucoup, l’ESS est une économie communiste ! Certains imaginent qu’il s’agit d’une économie subventionnée. Une coopérative ne reçoit aucune subvention. Certaines entreprises privées oui ! L’ESS n’est ni de gauche, ni de droite. C’est de l’économie.

Lucas Jakubowicz

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