Une arrestation survenue alors même qu’il s’apprêtait à limoger le numéro un japonais de Nissan, un projet de fusion dont les Japonais ne voulaient pas… De sa prison de Tokyo, l’ex-président de Nissan évoque une machination montée de toutes pièces et destinée à l’écarter de la direction de l’Alliance au nom d’intérêts internes.

Tenu au secret dix semaines durant, soumis à des conditions de détention qu’on imaginerait plus adaptées à un membre du grand banditisme pris en flagrant délit de récidive qu’à un dirigeant d’entreprise accusé de fraude fiscale, placé à l’isolement dans une prison d’ordinaire réservée aux mafieux et aux condamnés à mort, privé de montre, de livres et de tout contact avec l’extérieur, l’ex-patron de Renault était pour la première fois autorisé à s’adresser aux médias les 30 et 31 janvier derniers. Ses déclarations, très attendues et largement reprises, soulèvent quelques interrogations quant à un scandale qui, pour certains, aura éclaté à point nommé.

Une fusion qui dérange

Affirmant être victime « d’un complot et d’une trahison », réfutant toute accusation de malversation et insistant sur le fait que tout ce qui lui est aujourd’hui reproché (les demeures luxueuses au Brésil et au Liban, les sommes versées au milliardaire saoudien Khaled al Juffali…) était connu des dirigeants de Nissan et validé par plusieurs d’entre eux, l’ex-homme fort de l’Alliance le répète : sa chute a été orchestrée dans le but de l’empêcher de mener à bien son projet de fusion de Renault avec ses deux alliés japonais, Nissan et Mitsubishi. D’une part parce que celle-ci aurait eu pour effet d’accentuer la mainmise (déjà vécue comme une humiliation par une majorité de Japonais) de Renault sur son partenaire, d’autre part parce que, au vu des difficultés récentes du constructeur, elle avait toutes les chances de mener au limogeage de Hiroto Saikawa, ex-directeur général du constructeur et désormais président par intérim après l’arrestation de Carlos Ghosn. Arrestation dont il est, rappelons-le, le principal artisan.

Un DG sur la sellette

Une thèse qui, pour certains, n’est pas dénuée de crédibilité. « Il est clair que les performances de Nissan connaissaient une baisse significative : les résultats financiers étaient en recul au niveau mondial, la marque avait connu plusieurs problèmes de qualité, s’était vu infliger une amende pour manipulation des émissions polluantes de certains modèles diesel… », explique un fin connaisseur du dossier qui confirme : « Dans ce contexte, Hiroto Saitawa pouvait clairement se sentir menacé. » Sans expliciter ses intentions, Carlos Ghosn lui-même le reconnaissait il y a quelques jours dans une interview accordée aux Échos: « Lorsque la performance d’une entreprise baisse, aucun PDG n’est immunisé contre un limogeage. Personne ne peut y échapper. C’est la règle dans toute entreprise. »

"Hiroto Saikawa pouvait se sentir menacé"

L’expert l’affirme : non seulement l’éviction du numéro un japonais de Nissan était envisagée par son président, mais celui-ci avait prévu de l’entériner au cours d’un conseil d’administration prévu le 22 novembre. « Carlos Ghosn venait précisément au Japon pour limoger Hiroto Saikawa, il devait le proposer au conseil d’administration », explique-t-il. La suite est connue : Carlos Ghosn et son bras droit, Greg Kelly, sont arrêtés le 19 novembre à peine leur avion posé sur le sol japonais. Quant au conseil d’administration, il a bien lieu comme prévu trois jours plus tard, mais cette fois pour voter la destitution de Carlos Ghosn de la présidence du groupe.

« Feuilleton »

Un timing un peu trop parfait, de l’avis de certains, pour ne pas soulever certaines interrogations. « Disons en tout cas que l’arrestation de Ghosn tombe à pic, avance ce proche du dossier. Il permet à la direction de Nissan de sauver sa tête et reporte un projet de fusion dont Nissan ne voulait pas puisqu’il signifiait plus d’ingérence et de domination de la part de Renault. C’est très clair : Nissan ne veut pas d’une Alliance renforcée », explique-t-il avant de poursuivre : « S’il y a eu manipulation elle dépasse Nissan et sa direction. C’est un feuilleton politico-économico-judiciaire qui pourrait durer des années. » Et quelle qu’en soit l’issue, celle-ci devrait impacter lourdement sa direction. « Soit Carlos Ghosn n’est pas coupable et cela fera sauter la direction de Nissan responsable de son arrestation, conclut l’expert ; soit il l’est et cela signifie que toute la gouvernance de Nissan est à revoir puisqu’elle aura laissé passer des malversations. »  

Dix à quinze ans de prison

Accusé d’avoir dissimulé une partie de ses revenus au fisc japonais (38 millions d’euros entre 2010 et 2015 et 31 millions entre 2015 et 2018) mais aussi avoir fait couvrir par Nissan des pertes subies sur des investissements personnels, Carlos Ghosn risque entre dix et quinze ans de prison. Mais pour l’heure, et contrairement aux attentes semble-t-il, « il n’avoue pas, Renault ne l’a pas lâché et l’audit interne n’a révélé aucune malversation de sa part au sein du constructeur français ». Suite au prochain épisode.

Caroline Castets

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