Anticiper une succession n’est pas de tout repos, ni pour le cédant ni pour les héritiers, encore moins pour le family officer dont c’est, en partie, le métier. Nous faisons le point avec Mehdi Ali-Larbi, directeur général du multi-family office FOBS.

Décideurs. À quelle clientèle vos services sont-ils destinés ?

Mehdi Ali-Larbi. Nous accompagnons principalement des chefs d’entreprise en activité et en création de valeur, grâce notamment à notre forte expertise en structuration juridique et fiscale. Nous arrivons dans la vie du dirigeant idéalement avant la cession, afin de l’accompagner dans les décisions de préservation de la valeur dans le temps, et de lui faire bénéficier de l’ensemble du dispositif législatif qui a été mis en œuvre justement pour protéger cette création de valeur. La France est fiscalement compétitive pour ceux qui utilisent habilement les outils mis à disposition par le législateur. En intervenant suffisamment en amont, nous pouvons faire en sorte que la valeur créée par le chef d’entreprise soit en grande partie préservée au moment de la vente et de la transmission.

Quelle est votre méthode de travail ?

Nous procédons en trois étapes: audit, réflexion, mise en œuvre. Notre équipe de cinq juristes, dont deux ingénieurs patrimoniaux, possède une bonne maîtrise des mécanismes juridiques et fiscaux permettant d’assurer une articulation efficace et cohérente entre les différentes opérations qui composeront une transmission réussie. La compréhension de l’environnement patrimonial et familial du chef d’entreprise est la première étape clé pour déployer une stratégie efficiente. Cette étape nous permet de lui présenter plusieurs scénarios avant de commencer à structurer et formuler par écrit notre stratégie accompagnée de ses impacts juridiques, fiscaux et financiers. Nous collaborons étroitement avec avocats, notaires et experts-comptables afin de valider et finaliser les montages.

À quel moment est-il opportun de réaliser des montages de transmission ?

Le terme "montage" laisse entendre que l’on flirte avec la ligne jaune. En réalité, nous utilisons ce que la loi a mis en place, ni plus ni moins. Il y a trois cas de figure, en fonction de la situation des dirigeants: ceux qui sont en train de céder et qui, n’ayant rien préparé en amont, recherchent la bonne structuration à court terme; ceux qui profitent d’un événement autour d’eux pour organiser ces questions; puis ceux qui sont dans une démarche proactive et souhaitent structurer en amont, et qui par ailleurs sont déjà accompagnés par des notaires et avocats. Nous intervenons souvent pour respecter un calendrier car le dirigeant est focalisé sur son activité.

"Nous utilisons ce que la loi a mis en place, ni plus ni moins"

Deux typologies de transmission existent selon la situation: est-ce que je transmets de mon vivant, "pour de vrai" ? Ou est-ce que j’anticipe ma mort et que je transmets "pour de faux" ? Pour les chefs d’entreprise en activité, leurs enfants sont souvent trop jeunes pour recevoir de grosses sommes ou des titres représentant une valeur importante. Dans cette hypothèse, nous allons plutôt préparer la transmission et travailler alors sur le droit civil et le droit des sociétés, en nous appuyant sur des montages de type démembrement et en organisant le jeu du pouvoir politique avec les statuts. Il est ainsi possible de transmettre beaucoup mais en réalité de conserver le contrôle. Concrètement, la transmission est préparée mais les enfants n’ont encore rien reçu, si ce n’est un document qui leur permettra d’hériter avec une conséquence fiscale d’ores et déjà neutralisée.

Il est souvent question de gouvernance…

Les sujets de gouvernance – notion politique qui entoure la conduite de la société – et de bonne entente familiale ont une place importante dans notre accompagnement auprès des chefs d’entreprise. Lorsque l’on transmet une société, il faut que cela fonctionne entre les enfants. Nous menons beaucoup de réflexions, organisons des ateliers, sur lesquels nous revenons régulièrement afin de mettre en place le bon dispositif. Est-ce que l’on relue un enfant par rapport à un autre ? Comment trouver l’équilibre entre ceux qui restent dans la société opérationnelle, et ceux qui ne le sont pas ? Comment respecter les problématiques de part réservataire et de quotité disponible ?

"Les non-dits sont nombreux"

Un autre sujet, non des moindres, concerne l’entente dans la fratrie après le décès du chef d’entreprise. Toute la petite enfance ressort. Les non-dits sont nombreux. C’est là où le family office a un rôle à jouer. Nous essayons de fluidifier la communication et arrivons à prendre en considération les attentes de chacun. La volonté du cédant est en général de s’inscrire dans la durée, cela engendre des sujets assez complexes à mettre en œuvre afin de satisfaire les tempéraments et envies de chacun des héritiers.

"La préparation de la transmission ne tient pas tant aux montages qu’aux projets de vie de chacun"

L’enjeu pour nous est de créer des carrefours qui répondent aux besoins de chacun, aux objectifs des enfants tout en respectant le souhait du cédant. Il nous est par exemple arrivé de constituer un comité d’investissement au sein d’une holding, financé et piloté par le père, copiloté par les enfants, afin de coordonner les stratégies d’investissement et de trouver une place pour chacun. Nous touchons fréquemment à la psychologie et la persuasion. La préparation de la transmission ne tient pas tant aux montages qu’aux projets de vie de chacun. Cela mène par la suite à la gouvernance, aux projections et aux stratégies à bâtir.

Quels sont les principaux risques d’une succession non préparée ?

Il faut avoir en tête que l’imposition représente la plupart du temps la moitié du patrimoine lors d’une transmission non préparée. C’est le réel enjeu. L’autre élément important, qui en découle, est le financement de cette imposition. Si l’on compte pour cela sur les dividendes distribués par la société, il faut également considérer l’imposition de ces mêmes dividendes. La destruction de valeur devient insoutenable si la transmission n’est pas anticipée.

Par ailleurs, s’agissant d’actifs illiquides, vendre une société n’est pas une mince affaire. Céder en réaction au décès de son dirigeant devient très compliqué et peut amener à risquer l’intégralité du patrimoine ou à abandonner totalement la succession. Sans anticipation, le sujet devient vite problématique, ne serait-ce que pour des raisons de pilotage de la société et de gouvernance.

Le saut de génération est-il une pratique courante ?

Le conjoint survivant est souvent oublié lorsque l’on parle de transmission, que ce soit le détenteur de la société ou non. Nous en revenons à des sujets de gouvernance. Le train de vie du conjoint survivant ainsi que sa dépendance seront les deux principaux sujets à traiter. Il faut penser par exemple à doter d’un patrimoine le conjoint, et changer éventuellement de régime matrimonial afin de bénéficier des avantages juridiques et fiscaux spécifiques à la situation, pouvant le protéger efficacement et lui faire économiser des sommes conséquentes.

Avant même de réfléchir à la réorganisation du patrimoine et aux sujets fiscaux, nous nous assurons de la présence, et le cas échéant de l’établissement, d’un testament et d’un mandat de protection future. Des situations de blocage surviennent lorsque les dispositions n’ont pas été anticipées, en matière de prise de décision vis-à-vis du mandataire social et de la voix de l’associé. Qui s’exprime à la place du dirigeant d’entreprise en cas de situation de dépendance (maladie grave, coma) ? On se retrouve dans des situations où il faudrait passer par un administrateur judiciaire pour gérer la société.

En ce qui concerne le saut générationnel, les donations précédemment consenties aux enfants ou celles à venir peuvent être directement consenties aux petits-enfants pour profiter d’importants effets de leviers fiscaux. Cela permet essentiellement de préserver le patrimoine et de pérenniser le groupe familial. Cette pratique tend à être plus fréquemment utilisée en raison des nombreux avantages juridiques et fiscaux offerts sur plusieurs générations. La technique d’anticipation va plus loin mais peut soulever d’importants sujets de structuration, parmi lesquels l’adhésion de la génération intermédiaire et la satisfaction de ses projets.

Propos recueillis par Marc Munier

 

 

 

 

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