Depuis 2020, qu'il s'agisse de politique sanitaire, militaire, écologique ou de sanctions économiques, le politique occupe une place de plus en plus importante et durable dans la formation des prix de marché. Il est désormais nécessaire de prendre en compte cette mutation dans les investissements patrimoniaux.
 
"It’s the economy, stupid!" ("C’est l’économie, imbécile !") On se souvient de la phrase de James Carville, conseiller de Bill Clinton dans sa campagne électorale victorieuse de 1992, face à George Bush. La phrase, devenue célèbre, signifie que la prospérité économique d’un pays est ce qui fait remporter les élections aux hommes politiques. Le politique, depuis, ne traite d’économie qu’avec une délicatesse appuyée et un soin particulier; les financiers l’ont compris : ils ont pris l’habitude de voir le politique revenir toujours sur ses décisions, plus ou moins rapidement, plus ou moins brillamment, lorsque cellesci compromettent gravement la bonne santé de l’économie.
Toutefois l’apparition de décisions politiques d’un nouveau genre, et à répétition depuis 2020, marque-t-elle la fin de cette époque où l’économie, tel un principe de réalité, limitait le pouvoir des politiques ? Sommes-nous entrés dans une ère où l’homme politique peut réduire, voire détruire dans certains cas, la prospérité économique de pays ou de zones économiques entières, sans crainte pour sa réélection ?
Jusqu’en 2020 au moins, les investisseurs pouvaient se faire peur à relativement court terme pour des raisons politiques , mais les marchés reprenaient vite leur vie normale et revenaient "toujours", tôt ou tard, à une valeur des actifs définie par les seuls niveaux, actuels ou anticipés, des données macroéconomiques du moment. Les événements politiques, si tragiques soient-ils, n’étaient finalement que du bruit sur la courbe. L’investisseur intelligent a d’ailleurs pris l’habitude de trader à court terme ces moments de surprise politique et ces "retours à la moyenne" des marchés, en raison du souci des politiques de corriger autant que possible les vents économiques contraires causés par leurs décisions : "It’s the economy, stupid!" Cette époque semble pourtant terminée.
 
Vers la fin de l’ère “It’s the economy, stupid!”

 

Depuis 2020 au moins, avec l’apparition de décisions politiques qui prennent en otage de façon presque totale l’économie de pays entiers, on constate que le soin et la prudence du politique vis-à-vis de la société civile ont disparu. Presque partout dans le monde, on trouve des décisions politiques unilatérales de confinement de pays entiers, de couvrefeu, de fermeture des frontières, de mise au ban de certaines catégories de la population pour motif médical, de limitation des déplacements, de pressions politiques dans la durée qui engendrent progressivement une pénurie dans la production d’énergies essentielles (nucléaire, gaz, pétrole…), suivie de la décision de réduire la consommation de ces énergies (-15 % de consommation en zone euro, a demandé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen). Ces décisions ne témoignent plus d’aucun égard ni d’aucune considération pour la vie économique et la société civile, ni d’aucune préoccupation pour leurs effets à long terme, en matière de croissance potentielle en particulier, sur ces économies. On n'avait pas vu de décisions politiques aussi totalitaires pour l’économie depuis Staline. L’investisseur intelligent, selon le mot de Benjamin Graham, doit-il désormais apprendre à trader ce nouveau champ qu’est la politique ?

 
La politique "zéro Covid" en Chine : erreur économique ou maoïsme assumé ?

 

Depuis le juillet 2021, le Hang Seng (principal indice de la bourse chinoise) est en très forte baisse, et de façon constante: le gouvernement de Xi Jinping a en effet pris l’habitude confiner, de façon extrêmement dure, des villes de plusieurs dizaines de millions d’habitants, pour quelques tests PCR positifs, engendrant une destruction majeure de l’économie chinoise. La plupart des sociétés de gestion et des banques d’affaires, ont jugé, en bons investisseurs, qu’il fallait ré-investir en Chine : le niveau des actions était au plus bas historique et la politique du parti communiste chinois du zero-Covid est tellement irrationnelle et coûteuse au point de vue économique, que, tôt ou tard, elle allait cesser. La Chine était le grand consensus des investisseurs depuis le début de l’année 2022. "It’s the economy, stupid!"
Pourtant, la politique zero Covid s’est poursuivie toute l’année 2022 (jusqu’ici en tout cas) et les marchés ont continué de baisser, sans cesse. Les analystes attendaient, mais le zero Covid se poursuivait. Le dernier espoir a été le congrès du parti communiste chinois, en octobre 2022, où Xi Jinping allait, disait- on, pouvoir refonder son gouvernement, et sortir de la politique zero-Covid. Il n’en fut rien : Xi Jinping a éliminé ses opposants (son prédécesseur Hu Jintao en particulier, en plein congrès), et le gouvernement remanié, totalement dévoué à Xi Jinping, réaffirme fortement cette politique destructrice de l’économie chinoise.

 

La question (de méthode) est la suivante : Est-ce une erreur politique, ou bien Xi Jinping a-t-il un projet politique totalitaire qui vise à soumettre voire à détruire l’économie de marché, en héritier assumé de Mao Tse Toung, qui disait que "l’herbe des socialistes vaut mieux que les récoltes des capitalistes" ?
 
Les origines politiques du retour de l’inflation

 

De la même façon, jusque dans nos pays développés (de l’Otan, en gros), le retour brutal d’une inflation durable est l’événement majeur de cette année 2022 : cette inflation a surpris de nombreux investisseurs. Il y a quelques jours, Christine Lagarde, présidente de la BCE, disait qu’il était impossible de prévoir l’inflation. C’est sans doute parce que les causes de ce retour, durable selon nous, de l’inflation, ne sont pas dans le prisme macro-économico-financier habituel des investisseurs. Les causes de l’inflation sont les suivantes :
1/ Les politiques de création monétaires et budgétaires massives suite au Covid 19 : plus d’un dollar US sur 4 en circulation dans le monde a été créé ces deux dernières années ;
2/ Les politiques pour une énergie "plus verte et durable", qui ont réduit depuis de nombreuses années les investissements dans le pétrole et le gaz, offert de nouveaux débouchés pour les matières premières agricoles (éthanol, etc.), ont créé une pénurie d'origine politique de ces matériaux (il faut du gaz pour faire les engrais…).
3/ les sanctions contre la Russie (ou même la lutte contre le réchauffement climatique, on ne sait plus très bien) appellent désormais une réduction brutale, en Europe, de la consommation des matières premières, sans considération des dégâts économiques irréparables qui en seront la conséquence.
4/ Enfin, les politiques de confinement, le zero Covid en Chine, les fermetures des frontières et les sanctions de l’Otan, continuent de créer des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Le retour de l’inflation, phénomène majeur, n’est pas engendré sui generis par l’économie elle-même comme dans les années 1970. Il provient au contraire d’un faisceau de décisions politiques qui vont affecter de façon durable et profonde le fonctionnement des économies dans le monde. Oui, assurément, l’investisseur intelligent doit désormais apprendre à trader la (géo-)politique. 
 
Christophe Brochard, Président, Groupe Quinze Gestion Privée 

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