Ils ont aimé 2009, ils adorent 2010. Les banquiers et financiers ont passé une bonne année. A défaut d’une conjoncture économique qui s’améliore, les vingt-quatre derniers mois font ressortir un certain nombre de facteurs positifs pour les salaires.

Ils ont aimé 2009, ils adorent 2010. Les banquiers et financiers ont passé une bonne année. A défaut d’une conjoncture économique qui s’améliore, les vingt-quatre derniers mois font ressortir un certain nombre de facteurs positifs pour les salaires. Les stratégies de rémunération ont su évoluer et s’adapter à la fois aux décisions réglementaires et aux exigences des professionnels du secteur.

Malgré l’intrusion réelle ou fictive des politiques et des médias dans leur stratégie de rémunération, les banques redoublent d’inventivité pour garder leurs meilleurs éléments ou attirer ceux des concurrents. Une nouvelle politique de rémunération a vu le jour, due en partie à une véritable inflation de la réglementation depuis un an, encadrant le versement des bonus.


Primes en cash impossibles

Depuis la réunion du Conseil de stabilité financière (FSB) en avril?2009, qui regroupe les régulateurs des pays membres du G20, il est désormais impossible de payer des primes intégralement en cash ou de garantir des bonus sur trois ans. Les nouvelles mesures prises lors de ce sommet incluent également le paiement en titres étalé dans le temps, et son conditionnement aux performances de la banque (cf. fig. 1 et 2 ci-dessous).

La nouvelle politique de rémunération des opérateurs de marché pensée par les acteurs du G20 doit être supervisée par les conseils d’administration des banques. Les primes doivent refléter le niveau et le type de risque pris par le trader, tout en prenant en compte le coût du capital et de la liquidité. Mais le principal changement concerne les bonus. Même s’il existait avant la crise de 2008, le principe du différé s’est vu légitimé, renforcé et généralisé. Désormais, son paiement doit être en partie étalé dans le temps afin de refléter le risque des positions prises dans la durée. Il doit pouvoir faire l’objet d’une reprise en cas de perte, montage aussi appelé malus ou clawback.
À défaut de sanction, le FSB a mis sur pied des nouvelles mesures de prévention : les rémunérations doivent être transparentes, et les bonus garantis sont limités, même s’il n’est pas question de plafonnement. Des mesures parfois difficiles à accepter pour des collaborateurs qui estiment avoir contribué au redressement de leur institution et réclament leur part du gâteau.


Processus d’harmonisation

Adopté par l’ensemble des acteurs bancaires européens, américains et asiatiques, ce système commun connaît une interprétation différente selon les pays. Comme le souligne Bruno de Saint-Florent, associé chez Oliver Wyman, «?derrière un concept martelé au G20, la réalité est bien plus compliquée. Par ailleurs, une question se pose, celle de la déclinaison de ces règles pays par pays. En effet, il s’agit de principes et non de règles prescriptives. Les régulateurs européens ont une interprétation différente de celle de leurs homologues américains. En Asie, la situation varie selon le pays.?»
Les normes s’adaptent nationalement même si la démarche de départ est basée sur un principe de coordination, avec au moins une philosophie commune qu’il faut adapter à l’environnement juridique et fiscal de chaque pays. Le but est maintenant de définir un processus d’harmonisation des déclinaisons locales.


Une palette de solutions

Malgré une campagne de communication approuvant cette nouvelle stratégie de rémunération, quoique contraignante, les banques entendent bien ne pas perdre leur attractivité auprès de nouveaux candidats ou traders en exercice en quête perpétuelle d’un package toujours plus avantageux. Elles ont donc inventé une palette de solutions permettant de s’accommoder aussi confortablement que possible des nouvelles règles du jeu. Solution la plus courante adoptée par certaines grandes banques européennes dont le Crédit suisse ou barclays : augmentation de la part du salaire fixe et réduction de celle des bonus. Le régulateur britannique, le FSA, veille toutefois à ce que les augmentations des salaires fixes soient permanentes, sans quoi elles seraient considérées comme des bonus et donc soumises à taxation.


Mise en pratique partielle aux Etats-Unis

Autre solution possible, les banques payent leurs traders en actions bloquées, mais pendant quelques mois seulement. Cela leur permet de respecter les seuils de versement en titres, tout en autorisant le salarié à recevoir rapidement du cash. D’autres ont choisi de monétiser leurs actions bloquées avec des dérivés, ou d’accorder des facilités de crédit aux collaborateurs ayant des problèmes de trésorerie. La première idée n’est pour le moment mise en pratique qu’aux États-Unis. Elle offre aux traders la possibilité de ne pas attendre trois ou cinq ans pour monétiser la partie actions du bonus, mais de recevoir l’argent tout de suite, même avec une décote. Avec de telles adaptations nationales, personne ne s’étonne de l’annonce du Wall Street Journal qui estimait, en octobre?2010, que les rémunérations dans le secteur financier américain devraient dépasser cette année 144?milliards de dollars, battant ainsi un nouveau record.


L’Europe plus sévère

La situation est bien moins rose de l’autre côté de l’Atlantique. Dans le cadre de la discussion sur l’application de la réglementation sur les bonus votée par le Parlement européen cet été, les régulateurs bancaires de l’UE ont émis l’idée de plafonner le montant des bonus en multiple du salaire fixe annuel. Le niveau du plafond dépendrait du régulateur local, qui pourrait l’arrêter en s’assurant que les banques lient bien la rémunération aux performances et au risque. Ces idées n’ont reçu l’adhésion ni de la France ni de l’Espagne ou du Royaume-Uni. Ces pays craignent que les banques européennes ne soient pénalisées face à leurs concurrents américains, suisses et asiatiques.


Cash plafonné

Selon le quotidien Les Échos, les régulateurs seraient également prêts à retenir l’interprétation la plus stricte en matière de paiement en cash des bonus. La directive impose que jusqu’à 60?% du bonus soient payés de façon différée, après trois ans. Le document de travail des régulateurs spécifie que tout paiement immédiat en cash doit être plafonné à 20?% du total alors que le FSA britannique avait proposé que la part payée en cash soit limitée à 50?%. La réglementation va s’appliquer aux banques européennes dans le monde entier et aux filiales européennes de banques étrangères. Elle concerne les équipes de management senior et les preneurs de risque, mais les régulateurs pourraient fixer un seuil général de rémunération au-delà duquel la règle s’appliquerait. Les sociétés de gestion d’actifs seront également soumises à cette réglementation, qui devrait être adaptée pour cette industrie de façon «?proportionnelle?».


En France, plus de contraintes

En France, le pouvoir politique s’est invité dans le débat. Conséquence logique de sa participation au sauvetage des banques françaises ou frénésie réglementaire incontrôlée, les contraintes sont encore plus nombreuses : les bonus garantis supérieurs à un an sont interdits, et les banques ne peuvent payer plus de 50?% du bonus la première année, le solde devant être étalé sur trois ans. Au moins un tiers doit être payé en titres et ceux-ci doivent être conservés au moins deux ans. S’est en plus ajoutée, cette année, une taxe de 50?% sur les bonus supérieurs à 27 500?euros.
Mais fonds, banques et institutions bancaires nationales ne comptent pas perdre en attractivité face à la concurrence anglo-saxonne, quitte à adopter les mêmes contournements des nouvelles réglementations via la hausse de la rémunération fixe. Des recruteurs confirment la tendance : «?On a vu des salaires fixes carrément multipliés par deux dans certaines maisons. L’idée est de montrer que le fixe n’est plus accessoire. Les hausses des salaires fixes ont été faramineuses et se font à tous les niveaux d’ancienneté. Cela provoque des distorsions de concurrence importantes entre établissements.?» Ainsi, un banquier d’affaires senior reçoit désormais entre 250 000?et 300 000 euros en salaire fixe, au lieu de 100 000?à 150 000 euros auparavant. Cette tendance se reflète particulièrement dans les banques de financement et d’investissement (BFI).

Comme le souligne Bruno de Saint-Florent, «?la crise de 2008 a permis une prise de conscience de la part des opérateurs qui se sont rendu compte que certaines performances avaient été surestimées?». Mais au-delà de renouveler leur stratégie de rémunération, les banques et institutions financières doivent démontrer qu’elles ont retenu la leçon.  

Novembre 2010

Et aussi...
Trois questions à Bruno de Saint-Florent, associé chez Oliver Wyman
Trois questions à Jérôme Hacquard, associé en charge des financements structurés, M&A et private equity, et Nadia Tortel, associé en charge de l’asset management chez Singer&Hamilton


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