Déclaré "sous influence" par les uns, appelé à la démission par les autres, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, fait face depuis des mois à un feu nourri de critiques. Les chefs d’accusation ? Avoir tardé à décréter l’urgence sanitaire mondiale dans un souci de ne pas déplaire à la Chine et, ce faisant, avoir sacrifié le principe de précaution à la raison diplomatique.

On lui donne du "Docteur" mais Tedros Adhanom Ghebreyesus n’en est pas un. En tous cas, pas au sens classique du terme puisque le "Dr" qui précède son nom se justifie par un doctorat en philosophie, non par un diplôme en médecine. Une subtilité qui, pour un homme occupant depuis deux ans la plus haute fonction au sein de l’Organisation mondiale de la santé, a son importance puisqu’elle peut susciter la défiance et, à la moindre suspicion de manquement.

Réponse sanitaire

Ce qui est le cas depuis que le directeur général de l’OMS a été pris en flagrant délit d’indulgence (certains préféreront parler de connivence, voire de mise sous influence…) avec la Chine lorsque, début janvier, il accréditait sans sourciller le récit que lui servait Pékin sur des cas de pneumonie atypique, non transmissible d’homme à homme, isolée et globalement sous contrôle. Sur le plan diplomatique, rien à dire. La séquence est un sans-faute. Sur le plan sanitaire, elle va se révéler un désastre.

"Pour l'heure, il n y a aucune preuve de la transmission interhumaine

Audace et capacité à prendre des décisions impopulaires

De retour à Genève, le patron de l’OMS persiste et signe. Loin de déclencher l’alerte internationale qui aurait permis d’enclencher sans attendre la riposte contre le virus, il adresse aux États un message rassurant. À l’en croire, tout est sous contrôle, ou presque. Le 23 janvier, il estime que la Chine a pris  "les mesures qu’elle juge appropriées pour contenir la propagation du coronavirus", préconise que le confinement décrété par Pékin soit "de courte durée" et conclut que, si l’existence d’une transmission interhumaine apparaît démontrée dans le pays, celle-ci "semble limitée à des groupes familiaux et à des travailleurs de la santé qui s’occupent de patients infectés" et que, pour l’heure, "il n’y a aucune preuve de la transmission interhumaine en dehors de la Chine".

Rapidité de réaction et capacité d'anticipation

Lorsque, quelques jours plus tard, viendra le temps du rétropédalage et, le 30 janvier, la déclaration de l’état d’urgence sanitaire mondiale, le coup sera parti. Des semaines de réactivité mondiale auront été perdues et des milliers de vies avec. Sachant les liens forts existant entre la Chine et l’Éthiopie, pays d’origine du Dr Tedros dont Pékin a fait l’épicentre de sa politique africaine, mais aussi le poids de la Chine dans les finances de l’OMS auquel s’ajoute encore une position de premier fournisseur mondial d’équipement médical, la tentation est grande d’interpréter ce manquement comme une volonté délibérée de ne pas contrarier un partenaire de choix. Beaucoup n’ont d’ailleurs pas manqué de le faire savoir. Parmi eux Donald Trump qui, il y a peu, déclarait que, sur l’épidémie de Covid-19, "l’OMS s’était vraiment plantée" et accusait son directeur de prises de positions "très biaisées en faveur de la Chine" et deux sénateurs républicains, Ted Cruz et Marco Rubio, qui, mi-avril, allaient jusqu’à réclamer sa démission. En soi, rien de très inquiétant, le poste est exposé et la période à haut risque… si ce n’est qu’ils étaient soutenus dans cette demande par les 875 000 signataires d’une pétition lancée il y a trois mois. Pour le Dr Tedros, aucun doute, le vent se lève… une fois de plus. Car c’est un fait, l’homme n’en est pas à son premier avis de tempête.

Capacité à sauver des vies

 Loin de faire consensus, il a souvent suscité la polémique. Et ceci, avant même de prendre la tête de l’OMS. C’est le cas fin 2016, lorsqu’il doit faire face aux attaques de plusieurs médecins éthiopiens l’accusant d’avoir dissimulé trois épidémies de choléra survenues dans son pays alors qu’il était ministre de la Santé, entre 2006 et 2011, ce qui aurait eu pour effet de priver son pays d’aides internationales. Droit dans ses bottes, il nie. Mais le doute persiste. Tout comme celui qui entoure l’intégrité supposée de sa campagne lorsque, début 2017, il brigue la succession de Margaret  Chan à la tête de l’OMS.

"Il pense comme un politique, pas comme un médecin"

Codirectrice de l’Observatoire de la santé à l’Institut des relations internationales (IRIS), Anne Sénéquier raconte. 

Leadership et capacité à inspirer

"Le fait que sa campagne ait été très axée sur les réseaux sociaux lui a valu beaucoup de critiques parce que ses détracteurs en Éthiopie n’y ayant pas accès, beaucoup ont vu ce choix comme un moyen de faire taire l’opposition", explique-t-elle. Par la suite, son élection elle-même sera très contestée, beaucoup estimant qu’il la devait à une question de timing: l’Asie venait d’occuper le poste pour deux mandats, c’était en quelque sorte “le tour” de l’Afrique qui n’avait encore jamais eu de directeur à l’OMS, lui avait toute l’union africaine derrière lui… cela lui ouvrait un boulevard ». Plus, de l’avis de beaucoup, que ses compétences ou son parcours qui, s’ils l’avaient mené à faire carrière dans les plus hautes sphères du pouvoir éthiopien, d’abord comme ministre de la Santé, puis comme ministre des Affaires étrangères, l’avaient toujours tenu loin des réalités cliniques des sujets abordés.

Réponse économique vs réponse sanitaire

Anne Sénéquier confirme: "Tedros pense comme un politique, pas comme un médecin." Une spécificité dans laquelle beaucoup voient aujourd’hui un élément à charge susceptible d’expliquer que le patron de l’OMS ait préféré privilégier la raison diplomatique en accréditant les déclarations chinoises sur le principe de précaution censé prévaloir face à toute suspicion de pandémie et qui aurait dû l’amener à décréter l’urgence sanitaire bien avant le 30 janvier… Certes, précise-t-elle, l’homme est titulaire d’un master en maladie infectieuses mais "pas clinique, uniquement politique". Son action au sein du gouvernement éthiopien en atteste. « Il a construit des hôpitaux, des facs de médecine, c’est indéniable, reprend Anne Sénéquier. Il a beaucoup fait en volume, mais pas en qualité. Tout manquait de moyens, si bien que, pour beaucoup, cette débauche d’infrastructures aura été plus politique que clinique dans le sens où elle n’aura pas amélioré la qualité du système de santé." Et comme un politique, poursuit l’experte, "plus on l’attaque, plus il résiste". Conscient de ses atouts – à commencer par celui que constitue un sens aigu de la diplomatie dans une institution qui l’est tout autant – entouré d’une équipe qu’il a luimême constituée et qui lui reste fidèle, inébranlable dans son credo d’universalité de la couverture de santé, il tient. Et attend que la tempête se calme.

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Caroline Castets

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