Ghada Hatem est gynécologue. En 2016 elle crée la Maison des femmes, un lieu unique en son genre qui, chaque jour, accueille entre 30 et 50 femmes victimes de violences afin d’apporter une réponse globale à leurs besoins. Retour sur un projet fou parce qu’inédit et sur les moteurs individuels (passion, solidarité foi dans le serment d’Hippocrate) qui ont permis sa concrétisation.

Décideurs. Vous êtes gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes, qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager dans cette voie très ­tournée vers l’aide apportée aux autres ?

Ghada Hatem. En premier lieu il y a la volonté d’exercer mon métier de façon complète, en offrant aux femmes une prise en charge globale. À cela s’est ajouté le fait d’exercer en Seine-Saint-Denis, un territoire où les patientes que je recevais étaient largement issues de l’immigration, membres d’une population plus fragile, avec moins de ressources. Ces deux facteurs m’ont amenée à agir pour leur fournir un lieu d’écoute et d’aide ; un endroit où la parole peut être accueillie et déboucher sur des soins, des ­ateliers de reconstruction de l’estime de soi, un accompagnement légal pour les victimes de violences… Pouvoir leur offrir une réponse aussi complète que celle qu’elles trouvent aujourd’hui à la Maison des femmes méritait vraiment que je me batte.

Créer cet espace d’accueil unique en France a donc été un combat ?

Il a nécessité beaucoup d’efforts, oui. Il a d’abord fallu convaincre les différentes ­parties prenantes de l’utilité du projet, et puis il a fallu obtenir les financements nécessaires à sa réalisation. Cela a représenté beaucoup d’énergie et de temps. Et ce ­combat se poursuit aujourd’hui pour construire une extension qui permettra de faire face à la demande croissante en accueillant plus de femmes. Pour cela, nous avons lancé une double campagne d’appel aux dons en créant les Cercles 100 femmes pour les femmes et 100 hommes pour les femmes. L’objectif est de récolter 200 000 euros de dons.

« Lorsqu’on est habité par un projet, il faut être prêt à prendre des coups, à accepter des compromis, à mendier des soutiens… »

Quelles valeurs vous ont portée durant cette période de surinvestissement personnel ?

Des valeurs de bienveillance, de solidarité et de citoyenneté bien sûr et puis, tout simplement, le serment d’Hippocrate fondé sur le souci que l’on doit avoir de l’autre, du malade, du plus faible… L’émulation interne à l’équipe, cette envie forte et collective de réussir a également beaucoup joué. Si ces valeurs humaines n’avaient pas été partagées par l’équipe, le projet n’aurait sans doute jamais abouti.

Diriez-vous que la passion a été un ­vecteur de réussite dans ce projet ?

Bien sûr, la passion a été un moteur ­d’action essentiel. Dans un contexte aussi chargé de violence, aussi éprouvant (femmes violées, excisées, endeuillées, sans papiers, sans ressources) et face à un projet aussi atypique, rien n’aurait été ­possible sans passion. Sans cette conviction forte, ancrée, qu’il fallait tenir, persévérer, continuer à y croire même lorsqu’on se trouvait confronté – ce qui est arrivé à plusieurs reprises – à l’incompréhension et aux refus.

Maintenant que le projet s’est concrétisé, quelle est votre définition du succès ?

Pour moi le succès c’est vivre en harmonie avec ses convictions. C’est être fidèle à soi-même, à ce en quoi on croit. C’est être en mesure de se dire : « Ce que je fais est en accord avec ce que je suis. » Sans cet alignement des actes et des valeurs il ne peut y avoir de sentiment de réussite selon moi.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux décideurs d’aujourd’hui ?

J’aimerais leur dire que, lorsqu’on est réellement habité par un projet, une vision, qu’on est convaincu de son utilité, déterminé, il faut être prêt à prendre des coups, à essuyer des refus, à accepter des compromis, à mendier des soutiens… Il faut être prêt à prendre des chemins de traverse pour la voir se réaliser et, aussi, savoir s’entourer dès le départ. Idéalement de gens différents de soi pour multiplier ses chances de réussite.

Propos recueillis par Caroline Castets

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