L’IA fait régulièrement la Une de l’actualité. Pour certains, elle est une opportunité, pour d’autres une menace. De nombreux débats secouent la société sauf le plus fondamental estime dans cette chronique la philosophe Gabrielle Halpern.

Le World AI Cannes Festival (WAICF), - un Salon mondial dédié à l’intelligence artificielle - vient de s’achever à Cannes, et d’autres rendez-vous importants sont prévus dans les mois à venir en France et ailleurs dans le monde pour parler de cette technologie. L’occasion de réfléchir à ce que l’IA signifie pour l’être humain. Pourquoi avons-nous eu besoin d’inventer l’intelligence artificielle ?

Ni ailes, ni cornes

Lorsqu’il est apparu dans le monde, l’être humain s’est vu relativement peu avantagé par rapport aux autres animaux qui l’entouraient. La nature, écrivait le philosophe allemand Emmanuel Kant, n’a donné à l’être humain, ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, ni les ailes de l’oiseau. Comment survivre dans de telles conditions dans le vaste monde ? Comment se protéger contre des prédateurs et se défendre sans être à armes égales ? Comment faire face aux phénomènes naturels et s’y préparer ? Peu gâté par la nature, l’être humain n’a tout de même pas été complètement ignoré par elle, puisqu’elle l’a doté de mains et d’une intelligence. Mais comment ces attributs allaient-ils pouvoir permettre à l’être humain de se débrouiller ? Seraient-ils suffisants ? Sans compter que si nous bénéficions de cinq sens, ces derniers sont relativement peu développés comparés au flair du chien, à l’acuité visuelle de l’aigle et à l’ouïe de la chauve-souris ou du dauphin ! Comment dès lors notre intelligence allait-elle pouvoir faire face au monde en s’appuyant sur des données aussi fragiles, aussi partielles et aussi limitées que celles que nous apportent nos cinq sens ?

L’IA prolongation du silex, de la hache et de la lunette

L’être humain était dépourvu de griffes, de cornes, d’ailes et d’écailles, mais qu’à cela ne tienne, loin de se décourager, avec son intelligence et ses mains, il allait se lancer dans la fabrication d’outils propres à décupler ses forces et à pallier ses failles. Silex, marteau, hache… Mais si tous ces dispositifs, - ces prothèses, en quelque sorte -, lui permettaient de jouer à peu près à armes égales avec les autres animaux, il demeurait un problème de taille : la finitude de ses cinq sens, leur tendance à tomber trop facilement dans des illusions optiques et la pauvreté des informations qu’ils étaient à même de lui apporter du monde extérieur pour mettre en branle son intelligence et se transformer éventuellement en connaissances.

"Tout semble se passer comme si nous ne voulions plus seulement comprendre le monde et le rendre moins imprévisible, mais aussi le maîtriser, le dominer et le recréer à notre image"

Il fallait donc aller plus loin : faire progresser les sciences et imaginer de nouveaux outils. Lunette, télescope, stéthoscope… Mais les informations apportées par ces instruments étaient encore trop éparses, trop peu nombreuses et trop difficiles à analyser. Cela ne lui permettait pas encore de bien saisir le monde pour l’affronter. Il fallait qu’avec ses mains et son intelligence, il imagine une manière de décupler le nombre de ses données, de les analyser le plus rapidement possible et d’être même en mesure de prédire ce qui allait arriver en calculant des probabilités. Alors, il a développé des technologies à même de répondre à son désir de connaître le monde et d’apaiser son instinct de survie. D’ailleurs, les entreprises ne sont pas si différentes des êtres humains ; elles utilisent des technologies telles que l’intelligence artificielle dans l’espoir de mieux comprendre le monde dans lequel elles se développent. Plus qu’un outil, l’IA serait en passe de devenir un symbole pour l’être humain de ce qui pourrait l’aider à vivre, à survivre.

Mais une question se pose aujourd’hui : si nous étions en danger face à la Nature il y a des millénaires, ce danger est-il toujours le même et les rapports de force ne se sont-ils pas inversés ? Si les menaces qui pèsent sur l’être humain ne sont plus les mêmes, cela signifie que ces outils jouent alors progressivement un autre rôle. Tout semble se passer comme si nous ne voulions plus seulement comprendre le monde et le rendre moins imprévisible, mais aussi le maîtriser, le dominer et le recréer à notre image. Nos efforts pour nous éloigner du monde animal, en rejetant "le bestial" en nous, pour reprendre les mots de l’éthologue Jessica Serra, et nous rapprocher du divin pose question. Au commencement, Dieu a créé le monde, puis l’homme a entrepris de recréer le monde… En cherchant l’immortalité, l’omniscience et l’omnipotence pour ressembler à des dieux, allons-nous perdre notre singularité d’êtres humains ?

Gabrielle Halpern Philosophe et auteur de "Tous centaures ! Eloge de l’hybridation"

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