La communication digitale est devenue un incontournable pour tous les acteurs du secteur de la santé : industriels, professionnels de santé, établissements de santé, confondus. Chacun y va de son post, like, #hashtag… Peut-on parler d’évolution ou de révolution dans ce domaine depuis la remise en cause par l’UE de l’interdiction générale et absolue de la publicité pour les professionnels de santé appliquée en France ? Assouplissement paraît le terme le plus approprié : les règles sont encore nombreuses et méritent d’être rappelées.

Réseaux sociaux, blogs, vlogs, aujourd’hui la communication digitale est un lieu commun pour tous les secteurs de l’économie. La santé n’y fait pas exception. Laboratoires pharmaceutiques ou de produits de santé, professionnels de santé, patients/consommateurs ou simplement influenceurs, chacun utilise ces moyens de communication pour délivrer son message. Les réseaux sociaux ont fortement contribué au développement de la communication au grand public.

Portée du message

Si la question de la communication digitale n’est pas nouvelle, elle suscite toujours beaucoup de questions sur ce qui est autorisé ou non. Les fonctionnalités de like, repartage, les #Hashtags sont autant de moyens de faire la promotion du message délivré.

Du côté des fabricants et distributeurs de produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, …), ceux-ci doivent être attentifs à la finalité de leur communication à savoir s’il s’agit d’un message à visée publicitaire ou informative, mais encore plus au public visé. En effet, les règles de publicité à destination du grand public sont plus restrictives que celles s’adressant aux professionnels de santé. Les réseaux sociaux ouverts ne sont pas adaptés à la publicité des produits de santé.

Les fonctionnalités de "like" ou partage peuvent être interprétées comme des attestations de guérison par le public. Si la publication est partagée ou commentée par un professionnel de santé, ceci pourra être vu comme une caution médicale ce qui est contraire à la réglementation. Si toutes ces fonctions peuvent être désactivées par le fabricant ou distributeur, la communication devient alors possible sous réserve du respect des règles générales de publicité pour les produits de santé.

Les réseaux sociaux ouverts ne sont pas adaptés à la publicité des produits de santé

En effet, la publicité des médicaments, dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostics in vitro à l’égard du grand public est fortement encadrée par le Code de la santé publique. Selon la nature du produit concerné, la publicité pourra être soumise à autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le support de communication importe peu : que la publicité soit réalisée sur un support papier ou support digital, les règles à appliquer sont les mêmes.

Règles de bon usage

En outre, les industriels restent responsables des communications concernant leurs produits réalisées par toute personne. Il est de plus en plus fréquent que des blogueurs, youtubeurs, influenceurs, prennent la parole sur les réseaux sociaux sans l’aval des industriels. Et ces communications vont parfois à l’encontre des règles de bon usage du produit, voire de l’autorisation de mise sur le marché ou marquage CE. Le domaine de la médecine esthétique en fait très régulièrement l’expérience. Dans ces cas, les industriels se doivent de réagir : en prenant contact avec l’auteur de la communication pour lui demander de retirer son post ou sa vidéo et, en signalant la publication auprès de l’hébergeur.

Face à cette problématique des risques que de telles communications peuvent faire encourir aux patients/consommateurs, une proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été déposée à l’Assemblée nationale le 27 décembre 2022. Les députés souhaitent que les "influenceurs prennent leurs responsabilités pour les contenus qu’ils produisent et pour lesquels ils sont rémunérés". Ainsi, cette proposition de loi envisage de modifier le code de la consommation afin, notamment, d’interdire aux influenceurs, la promotion sur les réseaux sociaux des produits pharmaceutiques, dispositifs médicaux et actes de chirurgie, l’exception du relais des campagnes de santé publique du Gouvernement. La violation de cette disposition serait punie de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. Cette proposition ne semble donc viser que les influenceurs percevant des avantages en nature ou en espèces. Les publications des "électrons libres" devront rester sous la vigilance des industriels.

Il est de plus en plus fréquent que des blogueurs, youtubeurs, influenceurs, prennent la parole sur les réseaux sociaux sans l’aval des industriels

La communication sur les actes médicaux est également encadrée. Il n’est pas possible de mettre en avant la réalisation d’actes ou de procédures, tant par les professionnels de santé que par les établissements de santé.

En effet, pour les professionnels de santé soumis à un code de déontologie, si l’interdiction générale et absolue pour eux de faire de la publicité a été reconnue par la Cour de Justice de l’Union européenne fin 2017, la France a choisi de ne pas totalement libéraliser la communication mais d’assouplir et expliciter les règles. Ainsi, la publication de différents décrets en décembre 2020 a permis à chaque ordre professionnel d’établir des recommandations sur les règles de communication. Un principe demeure toutefois : les professionnels de santé ne peuvent pas exercer leur art comme un commerce. Les règles de communication sont fixées par les codes de déontologie pour les professions ordrées.

Ainsi, les professionnels de santé sont libres de communiquer au public par tout moyen, y compris sur Internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives à leurs compétences et pratiques professionnelles, à leur parcours professionnel et les conditions de leur exercice. Toute communication doit être loyale et honnête, ne pas reposer sur des comparaisons avec d’autres professionnels de santé ou établissements et ne pas inciter à recourir inutilement à des actes de prévention ou de soins. Le témoignage de tiers, confrères ou patients, est à proscrire en raison de l’aspect trop commercial de cette pratique et du risque évident de violation du secret médical.

Les professionnels de santé ne peuvent pas exercer leur art comme un commerce

Les professionnels de santé doivent garder à l’esprit que si le patient n’est pas tenu par le secret médical et qu’il peut librement révéler son état de santé et ses praticiens, en revanche, eux ne peuvent être déliés du secret médical et professionnel que dans des cas très restreints. La levée du secret par le patient n’en fait pas partie.

En pratique, cela signifie que les professionnels de santé doivent s’abstenir de liker ou repartager des avis les concernant publiés par des patients, de répondre publiquement aux commentaires de façon positive ou négative, de faire état de témoignages de patients sur leur pratique…

Les photos "avant/après" de patients doivent être utilisées avec précaution. Le patient ne doit pas être identifiable et ce, même s’il a donné son accord pour la publication des photos : encore une fois le secret médical s’impose. Les photos doivent se limiter à présenter des résultats habituellement attendus et ne pas laisser croire à une garantie de résultats.

Augmenter sa visibilité

Présence sur internet rime souvent avec référencement numérique. Le référencement numérique payant est une pratique perçue comme commerciale et, par conséquent, ne doit pas être utilisé par les professionnels de santé ordrés. Pour certains ordres, comme celui des médecins, l’utilisation de hashtags permet d’augmenter la visibilité du professionnel et de cibler de potentiels patients ce qui s’apparente à une stratégie promotionnelle.

La prudence et la modération sur les réseaux s’imposent donc aux professionnels de santé. Ils doivent en toutes circonstances rester respectueux des personnes, veiller à ne jamais enfreindre le secret médical et ne pas prodiguer de conseils qui pourraient s’apparenter à une consultation médicale.

Dans le même sens, les likes ou repartages de posts de laboratoires par les praticiens pourraient être interprétés comme une attestation de guérison ou une caution pour un produit, ce qui est contraire aux codes de déontologie. Ces règles sont également liées au fait que les professionnels de santé ne peuvent aliéner leur indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. La pratique des hashtags mentionnant le nom de produits est à bannir, en raison d’une part, de l’aspect commercial de la démarche et, d’autre part, de la réglementation relative à la publicité des produits de santé. Les professionnels de santé sont également censés dans leur communication au public faire état de leurs liens avec les laboratoires/industriels s’ils en ont.

Enfin, les professionnels de santé sont responsables déontologiquement de l’usage qui peut être fait de leur nom. Cela suppose qu’ils doivent s’assurer que les laboratoires ne publient pas leur nom ou ne les taguent pas sans leur accord.

Les mêmes règles sont applicables aux établissements de santé. Ainsi, les établissements autorisés à pratiquer des interventions de chirurgie esthétique ne peuvent réaliser aucune publicité directe ou indirecte sous quelque forme que ce soit, sous peine de se voir retirer leur autorisation administrative d’ouverture. Afin de protéger encore davantage la protection de la santé publique, un projet de loi, déposé au Sénat fin novembre 2022, propose de renforcer cette interdiction : il ne sera plus question de publicité mais de communication commerciale sous quelque forme que ce soit en faveur de l’établissement titulaire de l’autorisation. Un décret devrait encadrer les conditions d’application de ce nouvel alinéa du Code de la santé publique.

Si les règles de communication se sont quelque peu assouplies depuis l’intervention de la Cour de justice de l’Union européenne, il est encore aujourd’hui délicat pour tous les acteurs du secteur de la santé de communiquer librement sur internet et les réseaux sociaux.

SUR LES AUTEURS

Forte de son expérience d’ancienne directrice juridique dans différents laboratoires pharmaceutiques, Isabelle Vigier, qui a une connaissance complète et opérationnelle de mise sur le marché de produits de santé, a choisi d’apporter son expertise et son savoir-faire à ses clients, mais également des solutions pratiques grâce à sa connaissance du monde de l’entreprise.

Après une thèse en droit européen de la santé sur la qualité et la sécurité des médicaments et dispositifs médicaux, et une expérience au ministère de la Santé, Sarah Bister accompagne les clients sur les questions stratégiques liées à la réglementation européenne des produits et sur les aspects des données personnelles.

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