La réglementation a souvent du mal à se mettre rapidement au diapason avec les nouvelles pratiques, que ce soit en urbanisme ou ailleurs. Et pourtant, l’exemple des dark stores et dark kitchens prouve le contraire. Ces locaux, dont le développement a émergé en France en 2021 lors de la pandémie de la Covid-19, sont dédiés à la préparation et à la collecte de livraisons de produits ou de nourriture commandés en ligne. Commerce, Cinaspic ou entrepôt ? C’est la question posée par ces locaux d’un nouveau genre, que la jurisprudence, puis le pouvoir règlementaire, ont tranché très promptement.

À peine rendu l’arrêt du Conseil d’État en date du 23 mars 2023 jugeant que les dark stores sont des entrepôts au sens de la règlementation de l’urbanisme et du Plan local d’urbanisme (PLU) de la Ville de Paris, et qu’en conséquence la transformation de locaux commerciaux en de tels locaux destinés à la livraison ultra-rapide est un changement de destination soumis à autorisation, que le 24 mars de la même année, le gouvernement publiait déjà un décret venant réglementer cette activité. Cette régulation « rapide » répond au bouleversement des modes de consommation durant la période de confinement de 2020 qui a engendré une accélération de la livraison à domicile. En effet, nous avons assisté à l’émergence de livraisons ultra-rapides de produits de consommation ou de plats cuisinés afin de satisfaire le consommateur, ce qui a induit concrètement la transformation de nombreux commerces en entrepôts de stockage (dark store) ou de restaurant (dark kitchen) n’accueillant pas le public. Des considérations économiques venaient ainsi bouleverser l’urbanisme et la physionomie des grandes Villes…

L’enjeu autour de ces espaces a été mis en avant la première fois par des décisions de juin et juillet 2022 de la maire de Paris qui a mis en demeure deux sociétés de restituer en commerce des locaux transformés en espaces de stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette.

La maire de Paris a estimé que cette modification était constitutive d’un changement de destination sans dépôt de la déclaration préalable de travaux exigible réglementairement

En effet, la maire de Paris a estimé que cette modification était constitutive d’un changement de destination sans dépôt de détail, de restauration, d’entrepôt et de cuisine consacrée à la vente en ligne. Le principal critère de distinction entre les dark stores/dark kitchens d’une part, et les commerces de détail/restaurants d’autre part, tient essentiellement dans l’absence de surface de vente ou d’accueil de la clientèle pour la sous-destination d’« entrepôt » et la nouvelle sous-destination de « cuisine dédiée à la vente en ligne ». Au regard de cette définition nouvelle de ces sous-destinations, les auteurs de PLU disposent donc d’une réglementation plus claire et efficace pour interdire dans certaines zones du territoire communal ou intercommunal les « dark stores » et les « dark kitchens », tout en permettant potentiellement à une cuisine consacrée à la vente en ligne intégrant une restauration sur place ou à un entrepôt prévoyant une surface de vente, de rentrer dans la catégorie de « restaurant » ou de « commerce de détail ».

Si cette réglementation paraît louable dans le contrôle de ces activités d’un point de vue urbanistique, il n’est pas certain que le but soit réellement atteint dès lors que la frontière entre les différentes catégories semble rester facilement franchissable, ce qui pourrait créer ainsi des situations litigieuses que la jurisprudence ultérieure devra certainement avoir à trancher. Au demeurant, même une fois obtenu le changement de destination dans l’hypothèse où le PLU l’autoriserait, d’autres difficultés peuvent émerger dans la mesure où l’autorisation d’urbanisme n’aura été délivrée que sous le droit des tiers, dont notamment le respect du règlement de copropriété et/ou de la destination autorisée par le bail commercial.

Si le règlement de copropriété autorise un commerce, peut-il être regardé comme autorisant un « dark store » ou une « dark kitchen » ?

Autrement dit, si le règlement de copropriété autorise un commerce, peut-il être regardé comme autorisant un « dark store » ou une « dark kitchen » ? À l’inverse, s’il interdit un commerce de bouche, cette interdiction emportera-t-elle celle de la création d’une cuisine consacrée à la vente en ligne ? Ces mêmes questions se poseront également pour la destination du bail, qui peut ne pas être clair sur ces nouvelles activités.

In fine, l’émergence des « dark stores » et des « dark kitchens » pose de nombreuses questions juridiques : Que recouvrent ces notions ? Dans quelles zones territoriales sont-elles autorisées ou interdites parle PLU ? Que peut accepter le règlement de copropriété et quelles sont les mises à jour à effectuer ? Quel est l’impact sur les relations bailleurs-preneurs et qu’est-ce qu’autorise le bail commercial ? Notre cabinet traite au quotidien, tant en droit de l’urbanisme que de l’immobilier, ces nouvelles problématiques juridiques la déclaration préalable de travaux exigible réglementairement.

Sur les auteurs

Barbara Rivoire et Jean-Christophe Lubac sont tous deux avocats associés au sein du cabinet parisien de Sensei avocats. Spécialiste en droit public, docteur en droit public et diplômée en sciences politiques, Barbara Rivoire intervient principalement pour des opérateurs privés et des personnes publiques dans le cadre de la réalisation de leurs projets urbains, commerciaux et immobiliers complexes. Spécialiste en droit public et en droit immobilier, docteur en droit, professeur à l’ICH, notamment au master droit de l’immobilier, formateur au sein de Business Immo, Jean-Christophe Lubac intervient auprès des entreprises du secteur immobilier et des collectivités territoriales dans tous les domaines du droit public et du droit immobilier.

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