Karim Helal, associé en restructuring financier chez KPMG France, revient sur les perspectives qui se profilent pour les entreprises en restructuration, dans un contexte où les défaillances augmentent. Entre un environnement géopolitique incertain, des taux d’intérêts et une inflation qui restent à des niveaux élevés, des opportunités existent pour celles qui réussiront à se transformer. 

Décideurs. Alors que le nombre de défaillances d’entreprises augmente, a quoi va ressembler 2024 pour une entreprise déjà en difficulté ?

Karim Helal. Pour comprendre les enjeux des entreprises en difficulté aujourd’hui, il faut considérer quatre facteurs auxquels toutes les entreprises doivent faire face, et ce, indépendamment des problèmes qu’elles peuvent rencontrer individuellement. L’inflation pèse sur leur performance, notamment pour celles qui n’ont pas la capacité d’augmenter leurs prix. Simultanément, les effets de la hausse des prix sur la consommation des ménages limitent les débouchés et la croissance. À court terme, on observe une stabilisation du rythme de l’inflation, voire un ralentissement, mais les entreprises devront néanmoins continuer à composer avec une augmentation des coûts. Les taux d’intérêt, dont la hausse a été un défi important depuis 2022, devraient se stabiliser tout en restant à des niveaux élevés par rapport aux 10 dernières années. Si la stabilisation des taux et du niveau des prix peut être considérée comme rassurante, ces deux éléments, structurants en 2023, devraient continuer à influencer la performance des entreprises en 2024. Ailleurs, le sujet de l’instabilité géopolitique persiste. La volatilité du prix du pétrole, les difficultés d’approvisionnement, liées aux perturbations des grands axes de fret maritime, auront des conséquences encore difficiles à mesurer à ce stade. Ces facteurs de risques s’ajoutent, dans le cas de la France, à d’autres crises dans des secteurs précis, comme par exemple la distribution, la construction et l’immobilier qui connaissent déjà une sinistralité importante pour des raisons structurelles et contextuelles.

"Pour les entreprises qui renégocient leurs dettes ou qui se refinancent à court terme, leur coût d’endettement va augmenter drastiquement en 2024"

Quelles sont les conséquences de ces quatre facteurs sur les besoins de refinancement ? 

L’année 2023 a été marquée par la multiplication des difficultés de financement. Après 2020, 2021 et 2022 qui ont été des années d’endettement important, notamment avec les PGE, les remboursements de ces échéances vont continuer à peser en 2024. Considérant la crise des liquidités, résultat de performances dégradées, pour les raisons précédemment citées, l’acquittement des dettes et la capacité à emprunter à nouveau pour y faire face, constituent des épreuves majeures pour les entreprises qui ont besoin de se restructurer. En parallèle, l’accès aux capitaux n’est pas aussi facile qu’auparavant, et les financements spécialisés de gré à gré, qui, certes, représentent une solution, sont souvent plus coûteux. Pour les entreprises qui renégocient leurs dettes ou qui se refinancent à court terme, leur coût d’endettement va augmenter drastiquement en 2024. Les prêteurs sont aussi plus vigilants quant à la résilience des business modèles des entreprises. Les restructurations seront plus complexes, en particulier pour celles qui ont déjà connues une période compliquée, le 2ème tour de financement est toujours plus difficile.

"on s’attend à une hausse des procédures amiables"

La "normalisation" évoquée pour parler de la hausse du nombre de défaillances est-elle un signal rassurant dans un contexte de marché plus incertain qu’en 2019 ?

Personne n’a de boule de cristal mais les études montrent un maintien du niveau de défaillances en 2024, donc une stabilisation, voire potentiellement une légère augmentation. Cependant, on s’attend à une hausse des procédures amiables, ce qui est le signal que les entreprises anticipent leurs difficultés. S’il reste des incertitudes sur le plan macroéconomique, il faut, en restructuring, considérer la stabilisation de la conjoncture comme un signal positif.

Comment les reprises à la barre sont-elles amenées à évoluer ?

Plus il y a de défaillances, plus il y a d’entreprises à reprendre. La question tient à la qualité des modèles des entreprises disponibles à la reprise. Dans certains secteurs très sinistrés, le retail notamment, les investisseurs s’en désintéressent. Ces sociétés passent alors rapidement en liquidation judiciaire ou alors sont rachetées à des offres très basses, avec une reprise partielle des effectifs salariés. Pour d’autres domaines, le potentiel de consolidation reste important, notamment dans la sous-traitance automobile, où l’outil de reprise à la barre peut être un levier stratégique afin d’atteindre une taille critique qui permettra d’améliorer les marges. C’est également le cas du secteur de l’immobilier. Sensible aux cycles, il connaît aujourd’hui des difficultés liées à la conjoncture. À terme, celle-ci s’inversera et les sociétés reprises à la barre, présenteront à nouveau de belles opportunités pour ceux qui disposent d’assez de liquidités.

"celles qui n’ont pas pris la vague ESG assez tôt auront plus de difficultés à se financer"

Au-delà du financement, quelles seront les difficultés ?

L’entrée en vigueur de la CSRD aura pour conséquence d’augmenter l’information disponible sur les entreprises, ce qui reconfigurera leur accès aux capitaux. Celles qui n’ont pas pris la vague ESG assez tôt auront plus de difficultés à se financer, dans un contexte où le financement est déjà peu accessible. En même temps, l’arrivée de l’IA leur impose des investissements pour se mettre à niveau et des fonds à déployer pour se protéger et investir en cybersécurité. Les secteurs industriels vont particulièrement souffrir. Leurs marges sont plus faibles, l’accès au financement de plus en plus compliqué, auxquels s’ajoute la pression pour décarboniser les actifs industriels. Des projets coûteux, qui sont de nouvelles contraintes pour des secteurs qui connaissent déjà des difficultés liées à la conjoncture ou à leur modèle d’affaire.

"il y a d’énormes opportunités technologiques"

Des opportunités pour les entreprises en crise ?

Chaque entreprise doit saisir les opportunités présentées par l’IA ou les enjeux de transformation durable, et pour cela il faut s’y prendre assez tôt. Aujourd’hui, par exemple, ce n’est pas le meilleur moment pour refinancer sa dette, mais ça l’est pour investir dans sa décarbonisation. En parallèle, il y a d’énormes opportunités technologiques. Des outils numériques sophistiqués, auparavant difficiles d’accès, car inabordables, se démocratisent et permettent d’améliorer considérablement la performance des entreprises.

 

Propos recueillis par Céline Toni

 

 

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