Dans un contexte économique mouvementé, Maud Bischoff, avocate associée en financement d’acquisition, Alban Dorin, avocat associé en financement de projet et François-Régis Gonon, avocat associé en titrisation, tous trois chez Mayer Brown, reviennent sur les tendances phares de ces douze derniers mois et leurs conséquences sur les marchés à moyen terme.

Décideurs. Depuis plusieurs années maintenant, on assiste à une importante montée en puissance du financement à impact, quelle vision en avez-vous ?

Maud Bischoff. Les fonds d’investissement sont soumis depuis mars 2021 à la réglementation européenne SFDR qui impose aux acteurs des marchés financiers de fournir des informations sur la prise en compte des risques en matière de durabilité. Les LP’s vérifient que les fonds dans lesquels ils vont investir respectent les caractéristiques des fonds article 8 et/ ou des fonds article 9. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de se positionner sur les enjeux ESG. En outre, par le biais des associations auxquelles ils appartiennent comme France Invest, de nombreux fonds d’investissement ont aussi signé la charte Parité qui fixe notamment des objectifs chiffrés dans les sociétés de gestion et dans leurs participations (comme atteindre 25 % de femmes à des postes seniors dans les équipes d’investissement et 30 % d’entre elles dans les comités de direction des participations d’ici 2030). La prise de participation des fonds dans de grands groupes ou des structures moins importantes sont elles aussi soumises à des règles similaires. Tous les acteurs sont alignés sur ces thématiques et l’enjeu est désormais de respecter ces critères.

"Tous les acteurs sont alignés sur les thématiques ESG et l’enjeu est désormais de respecter ces critères" Maud Bischoff

Dans ce contexte, les financements mis à disposition des groupes de sociétés, notamment dans le cadre d’un LBO vont pouvoir bénéficier de clauses d’ajustement de marges en fonction du respect des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Les obligations relatives aux critères ESG ont favorisé l’essor des cabinets d’audits de supervision ou d’accompagnement au sein des entreprises ou des fonds pour les aider à respecter, entre autres, les réglementations sur les émissions de gaz carbonique. Pour exemple, la société Carbometrix réalise environ 50 opérations d’audits par mois, et ce, sur des groupes de toutes tailles. Preuve de l’importance que revêt ce sujet pour les fonds et leurs portefeuilles aujourd’hui. De même, la plupart des banques ont mis en place des départements ESG qui jouent le rôle de coordinateurs ESG au titre des documents de financement soumis à ajustement ESG.

Alban Dorin. Le financement de projet est, compte tenu des actifs financés et de l’impact environnemental possible, historiquement précurseur sur les problématiques ESG. Des audits environnementaux ou études de faisabilité environnementales très poussées sont évidemment indispensables et permettent de réaliser les projets.

François-Régis Gonon. Nous sommes tous sensibilisés au financement à impact, y compris dans les financements structurés. Certaines transactions doivent intégrer ces paramètres et passer le filtre des comités ESG des différentes banques ou investisseurs. Ce que nous pouvons constater, c’est que cela est perçu comme une contrainte supplémentaire qui s’ajoute à toutes les strates réglementaires que notre secteur doit respecter (sanctions, règlements STS, etc.). Il n’y a pas de vraie réflexion sur le fond sur les objectifs sous-jacents à ces critères ESG.

"L’intervention des institutions de développement financier (DFI) est un élément clé pour boucler des financements d’envergure" Alban Dorin

On remarque depuis 2022, une réduction des opérations LBO large cap et une certaine résilience du mid et small-cap. Quel est votre avis sur cette conjoncture ?

M. B. Concernant, le financement d’acquisition, il est vrai que le large-cap est presque inexistant depuis 2022. Chez Mayer Brown, nous ne sommes pas impactés car nous sommes exclusivement positionnés sur du mid et smid-cap (en financement). Si certains secteurs comme le retail souffrent depuis la crise du Covid- 19, les logiciels et l’informatique, la santé ou l’éducation restent solides. Et malgré ce que l’on entend régulièrement, la tech n’est pas exclue du marché, elle reste active sauf peut-être sur le venture mais ce n’est pas un segment sur lequel nous sommes présents.

"Malgré ce que l’on entend régulièrement, la tech n’est pas exclue du marché du LBO, elle reste active" Maud Bischoff

Quelles autres tendances de marché ont attiré votre attention sur ces douze derniers mois ?

M. B. Certaines participations de fonds commencent à ressentir les premières difficultés, depuis que le taux de l’Euribor est devenu positif et avoisine les 3,6 % alors que ces dernières années ont été marquées par un taux négatif. Cette montée de l’Euribor affecte énormément le coût de la dette. Dans ce contexte, certaines entreprises malgré leurs bons résultats financiers commencent à souffrir du coût du service de leur dette. Ceci est encore plus vrai sur des financements unitranche ayant un taux d’intérêt élevé et dont l’Euribor vient fortement alourdir le coût. Dans ce contexte, il est fort probable que les discussions de restructuration de dettes avec les créanciers augmentent.

F.-R. G. Effectivement, le renchérissement du coût de la dette et la baisse des liquidités ont un impact sur notre marché. À cet égard, nous constatons que plusieurs banques et fonds d’investissement cherchent à céder ou titriser les prêts dits "non performants" (non-performing loans) qu’ils portent, notamment en raison d’un endettement devenu trop lourd. Ces acteurs nous demandent ainsi de réaliser des audits en ce sens et de plus en plus de transactions se réalisent. Preuve de l’ampleur de cette tendance, nous avons un texte européen (directive du 24 novembre 2021) venant créer des règles protectrices applicables aux cessions et à la gestion de crédits non performants qui doit être transposé cette année en droit français.

A. D. Le financement de projet est un peu plus contracyclique et l’intervention des institutions de développement financier (DFI) est un élément clé pour boucler des financements d’envergure. Nous sommes intervenus sur certains projets majeurs et n’avons pour le moment pas ressenti de ralentissement d’activité significatif.

Propos recueillis par Tom Laufenburger

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