Président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), Frédéric Abitbol évolue dans le métier depuis plus vingt ans. Impliqué dans ses dossiers, il a une conception sociale de sa mission et une méthode immuable : poser un regard lucide sur des situations difficiles, dire les choses et respecter toutes les parties pour, in fine, les convaincre de faire les efforts nécessaires pour bâtir une solution permettant de sauver les entreprises et les emplois qu’elles portent.

Décideurs. Pourquoi ce métier, comment êtes-vous arrivé au Restructuring ? Quelles sont les qualités à avoir ?

Frédéric Abitbol. Tout simplement parce que le cours de procédures collectives qui m’a plu quand j’étais à la fac, et que le métier m’a paru intéressant. Surtout, j’avais envie d’avoir un métier qui ait du sens, et que je serais capable d’expliquer à mes enfants. Je peux aujourd’hui leur dire que le temps que je ne passe pas avec eux, je le passe à construire des solutions pour sauver des entreprises et des emplois.

Pour réussir dans cette optique, il faut fondamentalement aimer les gens, être extrêmement pragmatique et être digne de la confiance de tous. Car la confiance est la base de tout. Il faut aussi savoir regarder un dossier de manière différente. Par définition, lorsque nous sommes appelés, des personnes intelligentes se sont déjà penchées dessus et n’ont pas trouvé de solution.

L’empathie est également clé car elle permet de se mettre à la place de toutes les personnes concernées. Le restructuring est par nature un conflit entre deux intérêts qui sont tous les deux légitimes : le débiteur qui ne peut pas payer d’un côté, et ses créanciers qui lui ont fait confiance, et envers lesquels les engagements ne sont pas tenus. L’objectif est de chercher à concilier ces deux intérêts et de les transcender pour aboutir à une solution : sauver l’entreprise.

Quel a été le dossier le plus marquant de votre carrière ?

Les dossiers industriels sont souvent les plus marquants. Les gens qui ont eu la chance de visiter une fonderie ne peuvent pas l’oublier. Les plus petits dossiers sont, eux, souvent les plus intenses sur le plan humain : au-delà de leur entreprise, c’est toute la vie des entrepreneurs qui est en jeu. Les grands dossiers financiers sont, quant à eux, évidemment, les plus complexes techniquement, et amènent à des négociations pointues, souvent passionnantes, avec un grand nombre d’interlocuteurs, tous très professionnels et souvent de cultures différentes.

Le métier est riche de ça : on voit toutes genres d’entreprises, dans tous les secteurs, qui demandent toutes des solutions sur mesure.

"Les procédures collectives touchent entre deux cents et trois cent mille salariés tous les ans"

Quelle est votre vision du marché ? Comment le voyez-vous évoluer ?

Le plus important n’est pas le nombre de défaillances d’entreprises mais de savoir quelles sont leurs conséquences sociales et économiques pour le pays. Dans le cadre d’un rythme économique normal, les procédures collectives touchent entre deux cents et trois cent mille salariés tous les ans et permettent, en moyenne, de sauver deux tiers de ces emplois. Nous avons donc, en France, un système extrêmement performant si on le compare avec les économies voisines où le taux de sauvetage des emplois est inférieur à 10 %.

Au-delà de la compétence des professionnels, cette performance s’explique par le fait que tout, dans notre droit, vise à sauver l’entreprise. Ce qui est extraordinairement moderne. Si on refait l’histoire, en se rappelant que les défauts de paiement sont aussi vieux que le crédit, on constate que pendant des millénaires, et jusqu’à un passé récent, le défaut de paiement était une infamie, conduisant, successivement, à la mise à mort du débiteur, à son esclavage, à la prison pour dette, qui existait encore en France il y a 200 ans et qui existe encore dans certains pays.

Voilà 50 ans qu’on a passé ce cap en France, et que le droit ne vise plus seulement à payer les créanciers, mais aussi, et en réalité avant tout, à sauver le débiteur. Et depuis 50 ans, on n’a pas cessé de progresser et d’inventer de nouveaux outils : le mandat ad hoc, la conciliation, la sauvegarde, etc.

Pour en venir à la situation immédiate, il faut comprendre qu’en suite du Covid, les procédures collectives se sont effondrées : le "quoi qu’il en coûte", c’est 240 milliards d’euros de soutien aux entreprises dont 140 milliards d’euros de PGE. Il n’y a donc évidemment pas eu de vague, bien au contraire, avec une baisse d’environ 50 %.

La situation, évidemment, va se normaliser, avec un retour, probablement dès cette année aux chiffres qu’on connait habituellement. Il faut bien comprendre que les défaillances sont un élément naturel de la vie des affaires, dans toutes les économies qui fonctionnent. Une entreprise, c’est une prise de risque. Lorsqu’on immatricule plus de 500 000 entreprises par an, statistiquement, nécessairement, il y aura des défaillances.

La question, ensuite, c’est comment on les traite. Et les choses sont très claires : plus l’intervention se fait en amont, plus les résultats sont bons. Un tiers des redressements judiciaires aboutissent à une solution, proportion qui monte à deux tiers dans les sauvegardes et à 80 % pour les procédures préventives. Plus on anticipe, et mieux ça marche.

Parcours

  • 2000 : obtient un DEA en droit des affaires à la Sorbonne et intègre HEC en admission parallèle.
  • 2007 : commence sa carrière d’administrateur judiciaire chez SCP Meille et Valliot.
  • 2014 : fonde l’étude Abitbol & Rousselet.

Propos recueillis par Béatrice Constans 

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