Mandataire judiciaire, Christophe Basse a une vision aiguisée de l’avenir du droit des entreprises en difficulté. Croyant profondément au succès futur des procédures amiables, il insiste sur l’importance d’avoir un droit qui permette aux entreprises de rebondir.

Décideurs. Qu’est-ce qui vous a orienté vers le métier de mandataire judiciaire ?

Christophe Basse. C’est un hasard, je ne connaissais pas la profession. J’étudiais le droit à Nanterre et j’ai répondu à une annonce de job d’été chez un mandataire, je préparais le concours d’avocat. J’ai trouvé mon stage tellement passionnant que j’ai changé de plan de carrière. En tant que mandataire, grâce à la responsabilité d’entreprises si variées, nous avons une vision large du tissu économique et industriel français. La diversité des situations auxquelles nous sommes confrontés est extraordinaire. Les structures vont de la PME à la société cotée et les personnalités que l’on rencontre sont passionnantes. En quinze ans, j’ai traité un peu plus de 6 000 dossiers, avec une majorité d’entreprises de moins de dix salariés mais j’ai aussi eu la chance d’intervenir sur des dossiers plus significatifs.

Parmi ces 6 000 dossiers, lequel vous a le plus marqué ?

Je n’ai pas été marqué par un dossier mais par des situations. Arriver dans une usine en grève reste toujours un moment particulier, ce sont des situations humaines extrêmement sensibles et passionnantes. C’était le cas du dossier Sernam en 2012 par exemple. Nous étions alors en pleine campagne présidentielle, et l’ancienne filiale de la SNCF ne payait plus ses 2 000 transporteurs, qui menaçaient de bloquer les axes de circulation aux grandes villes françaises si une solution n’était pas trouvée immédiatement. Avec Hélène Bourbouloux, nous avons réussi à trouver un accord et la grève a été levée. En tant que liquidateur, je suis toujours touché par les chefs de petites entreprises, les indépendants, qui ont perdu, pour certains, le projet d’une vie. Je n’arrive toujours pas à accepter ces situations alors que je sais que certaines entreprises auraient pu être sauvées, notamment avec nos procédures amiables. S’ils avaient frappé à notre porte plus tôt…

"Les administrateurs sont en première ligne sur l’amiable mais nos confrères mandataires développent aussi cette pratique"

C’est pour cette raison que votre étude développe l’accompagnement en procédure amiable ?

Cette évolution se fait naturellement. En 2022, avec plus de 30 % de procédures amiables, plus de 7 000 entreprises ont bénéficié d’une conciliation. Ces chiffres n’ont jamais été aussi importants depuis que la prévention existe en France, c’est le succès d’un travail de communication mais aussi le signal de la réussite exceptionnelle de ces procédures. Certes, les administrateurs sont en première ligne sur l’amiable mais nos confrères mandataires développent aussi cette pratique, et les résultats sont encourageants. Dans 80 % des cas, l’entreprise trouve une solution de sortie.

Quelles sont les qualités que vous jugez indispensables pour un mandataire judiciaire ?

Il faut être très rigoureux, extrêmement humain, avoir une grande capacité d’écoute et savoir prendre des décisions diffi ciles, rapidement. Ce sont des situations complexes et les entreprises sont fragiles quand nous arrivons. Les dirigeants souffrent, les salariés craignent pour leur avenir, et les créanciers de ne pas être payés. Il faut savoir trancher, c’est indispensable pour préserver un équilibre entre les parties prenantes. La solution ne contentera pas forcément tout le monde mais nous devons trouver celle qui préservera l’entreprise. C’est d’ailleurs ce qui fait la richesse des procédures à la française qui priorisent le rebond et la préservation de l’emploi, à la différence du système anglo-saxon qui privilégie le choix des créanciers.

La tendance à l’harmonisation européenne favorisera-t-elle un modèle plus qu’un autre ?

Aujourd’hui, le modèle français du rebond et de la seconde chance est celui retenu dans le droit de l’Union. La dernière proposition de directive de la Commission européenne en vue d’harmoniser les droits de l’insolvabilité des États membres, consacre ce modèle. Je suis persuadé que, d’ici dix ans, nous auront un droit unifié des procédures collectives et on peut vraisemblablement penser qu’il s’agira d’un mélange entre un système français du rebond et le système allemand, moins judiciarisé, davantage tourné vers les créanciers.

Parcours 

  • 1999 : diplômé en droit à l'université de Nanterre.
  • 2007 : prête serment et choisi de devenir mandataire judiciaire.
  • 2008 : créé sa première étude à Neuilly sur Seine, deux autres suivront à Evry et à Alençon dans l’Orne.
  • 2012 : mandaté sur le dossier Sernam, alors que 2000 transporteurs menacent de faire grève.
  • 2018 : devient viceprésident du CNAJMJ.
  • 2019 : chargé de cours du droit des entreprises en difficulté au sein du Master Administration et Liquidation de la Sorbonne.
  • 2020 : élu président d’honneur du CNAJMJ.

Propos recueillis par Céline Toni 

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