Les puits de carbone, qui permettent de capter les émissions de gaz à effet de serre, sont une réponse au dérèglement climatique. Marine de Bazelaire, directrice du développement durable pour l’Europe continentale chez HSBC, revient sur leur fonctionnement et les conditions nécessaires à leur développement.

Décideurs. Comment les puits de carbone fonctionnent-ils ?

Marine de Bazelaire. On peut dresser un parallèle entre leur fonctionnement et celui du cycle de l’eau : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Naturellement, le système agit de manière que les émissions de carbone générées soient séquestrées. Les puits sont, pour une large majorité, naturels. Il s’agit des forêts, des océans, des sols, de la mangrove, etc. Il existe également des puits technologiques. Le carbone est alors capté pour être enfoui ou réutilisé (transformé en solide, en matériaux de construction, utilisé pour fabriquer de l’hydrogène, etc.). Par exemple, l’industrie pétrolière réinjecte le carbone émis pour l’extraction d’hydrocarbures dans les poches de pétrole sous-terraines afin de mieux faire ressortir celui-ci.

Néanmoins, ce fonctionnement semble entravé ?

Dans un monde idéal, il y a autant de gaz à effet de serre produit que de gaz absorbé par le milieu naturel. Depuis le début de la révolution industrielle toutefois, une part croissante des émissions annuelles ne le sont pas. Aujourd’hui seulement un peu plus de la moitié des émissions de CO2 sont effectivement absorbées et séquestrées. Année après année, ces excédents s’accumulent provoquant l’effet de serre. L’Accord de Paris pour le climat prévoit d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Pour cela, il faudrait qu’en 2030 la totalité des émissions carbone passe de 41 gigatonnes à 23 par an. À titre d’exemple, durant la pandémie et les périodes de confinement – c’est-à-dire dans un univers très contraint – nous n’avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre que d’environ 5 %.

"Il faut, dès à présent, réduire au maximum nos émissions, préserver notre capital naturel, le restaurer et investir dans les puits de carbone"

Quelles sont les solutions ?

La capacité du vivant à compenser les émissions est limitée et se trouve actuellement abîmée par l’augmentation des gaz à effet de serre. Il faut, dès à présent, réduire au maximum nos émissions, préserver notre capital naturel, le restaurer et investir dans les puits de carbone. Si nous n’agissons pas maintenant, viendront s’ajouter aux problématiques actuelles des catastrophes. Par exemple, les feux de forêts dus au changement climatique seront plus nombreux. Or, la déforestation accélère le dérèglement du climat… 

Il existe néanmoins des freins au développement des puits de carbone…

Les puits de carbone naturels sont les plus importants. Ils existent déjà et nous avons les moyens de les restaurer. N’oublions pas que la moitié du PIB mondial dépend de la nature. Pour ce qui est des puits technologiques, il convient de les développer même si leur rôle restera moindre. Parmi les freins à ce développement : de nombreuses technologies sont encore très chères et peu rentables. Le prix que l’on donne au carbone peut être un outil clé pour soutenir le développement des puits de carbone. Pour le moment, en Europe et aux États-Unis, la tonne de CO2 n’est pas à un prix suffisant pour sortir de certaines énergies fossiles ou couvrir les coûts induits par certains projets de puits de carbone. Par ailleurs, ceux-ci doivent avoir un bilan carbone positif sur l’ensemble de leur cycle de vie, et donc être capteurs et stockeurs net de carbone, ce qui n’est pas toujours le cas.

Quels types d’initiatives peuvent-être pris ?

Les États comme les collectivités ou les entreprises peuvent prendre des initiatives. L’Europe, avec son système communautaire d’échanges de quotas d’émissions, est le continent où le marché réglementé du carbone est le plus développé. En Scandinavie, il existe une place de marché où il est possible d’acheter et vendre des droits d’émissions carbone volontaires. Par exemple, une entreprise peut s’en procurer pour neutraliser les émissions des voyages d’affaires de ses collaborateurs. Autre exemple : l’Australie a mis en place des incitations pour que les terres agricoles captent à nouveau plus de CO2 qu’elles n’en émettent. De leur côté, les entreprises peuvent aussi volontairement compenser leurs émissions. C’est le cas de Danone, qui s’est engagé dans le déploiement d’une agriculture régénératrice ou de Suez qui a investi dans la technique dite de "capture directe dans l’air" (DAC), qui permet de capter le CO2 dans l’atmosphère grâce à des algues et de le transformer en biométhane.

Quel rôle une banque comme HSBC peut-elle avoir ?

Cet été, nous avons annoncé un partenariat avec Pollination afin de créer une joint-venture leader sur le capital naturel. Nous souhaitons réunir une variété d’acteurs pour investir dans les fonds de compensation carbone et de Solutions pour la Nature, fonds qui pourront aller jusqu’à 6 milliards d’euros. Outre le financement direct, il est aussi impératif pour nous de connaître l’alignement de nos activités avec l’Accord de Paris. Pour ce faire, nous avons mis en place un certain nombre de process et des revues détaillées des stratégies climat de nos clients. Pour nous, ces stratégies démontrent la compréhension des enjeux environnementaux par les entreprises, qui dès lors nous paraissent moins risquées que les autres. Nous avons également publié en ligne un livre blanc pour aider au développement d’un marché volontaire de la compensation carbone. Ce qui pourrait passer par des incitations ou un label partagé et visible. Car la transparence sera un élément clé pour donner confiance au marché.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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