Les acteurs de la sphère financière se montrent de plus en plus concernés par les enjeux écologiques. Des comportements qui vont parfois jusqu’à dépasser les contraintes mises en œuvre par les politiques étatiques ou européennes pour encourager l’essor d’une véritable finance verte. Effet de mode, greenwashing, ou authentique volonté de prendre part au développement durable ? Décryptage.

La finance verte serait-elle un mythe? Certains la considèrent comme un sujet incontournable dans le combat en faveur du développement durable. D’autres voient derrière le terme même un simple slogan uniquement destiné à valoriser l’image des fonds, banques, investisseurs institutionnels et autres barons de l’économie capitaliste. Quoi qu’il en soit, aucun acteur financier international comme national ne peut aujourd’hui ignorer le sujet. D’autant que celui-ci ne date pas d’hier. Dès 2008, la banque mondiale pose l’une des premières pierres du chantier en annonçant sa volonté d’émettre 9 milliards de dollars d’obligations vertes (ou green bonds) afin de financer des projets en faveur de la transition écologique.

La Cop21 propulse la finance verte sur le devant de la scène médiatique mondiale

Un marché qui, depuis cette date, connaît une croissance fulgurante. Outre les green bonds, des initiatives se multiplient depuis une dizaine d’années pour encourager la prise en compte des critères écologiques dans le cadre des opérations financières. La Cop 21, qui s’est tenue à Paris en 2015, enfonce définitivement le clou et propulse la notion de finance verte sur le devant de la scène médiatique au niveau mondial. Depuis, les mesures politiques se multiplient. Principalement au niveau européen.

La taxinomie de la Commission européenne

En décembre dernier, la Commission a ainsi pris le sujet à bras-le-corps. Son objectif ? Permettre à chacun de repérer de façon claire et lisible les investissements dits "verts", grâce à un système de classification (ou taxinomie). Celui-ci identifie les activités considérées comme durables sur le plan environnemental. Une initiative d’une ampleur inédite qui permet aux investisseurs européens d’avoir "une interprétation commune du terme durable", note Mika Lintilä, ancien ministre finlandais des Finances. Au total, sept secteurs d’activité ont été identifiés par la Commission : agriculture, énergie, eau, gestion des déchets, transports, immobilier et technologies de l’information. Une avancée largement saluée par les experts. "Cet accord permet de lever une première barrière significative. L’investisseur aura la possibilité de savoir si la pratique d’une entreprise est verte ou non, témoigne Aurélie Baudhuin, directrice générale déléguée au sein de la société de gestion de portefeuilles Meeschaert qui se revendique comme pionnière en matière de gestion éthique. "Avec cet accord, tout le monde y gagne", affirme-t-elle. Certains secteurs restent toutefois dans des zones d’ombre. C’est le cas du nucléaire ou encore du gaz naturel. Parce qu’elles sont considérées comme des énergies de transition, ces deux industries ne sont pas exclues de la taxinomie, sans être pour autant perçues comme des solutions durables. Le charbon, en revanche, est clairement identifié comme une source d’exclusion.

Vers un label européen

Déterminée à favoriser le développement de la finance verte, la Commission semble ne pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. La preuve : un groupe de travail s’est réuni dans le courant de l’année 2019 dans le but de mettre en place un éco label européen pour les produits financiers. Celui-ci devrait voir le jour à la fin de l’année 2020. "Ce sera un tournant important qui permettra de sensibiliser largement les investisseurs institutionnels comme les fonds", estime Aurélie Baudhuin. Une stratégie qui n’a rien d’inédite. Elle existe déjà à l’échelle française depuis 2015 avec le label TEEC (transition énergétiqueet écologique pour le climat), remplacé au mois de juin 2019 par le label Greenfin. Ce dernier "garantit que des fonds d’investissement divers (fonds en actions d’entreprise cotées ou en private equity, fonds en obligations vertes ou en infrastructures) sont engagés dans le financement de l’économie verte et de la transition écologique et énergétique", selon Novethic, un des trois organismes sélectionnés par le ministère de la Transition écologique pour attribuer ce label. Label qui permet aux investisseurs privés d’identifier les produits susceptibles de financer l’économie verte. "Le problème, c’est que les critères pour obtenir ce label sont très restrictifs, nuance Aurélie Baudhuin. Si bien que peu de fonds sont aujourd’hui labélisés. Ils pourraient être plus larges et englober notamment les énergies detransition." Greenfin exclut effectivement les entreprises opérant dans le secteur nucléaire et dans les énergies fossiles. Cette volonté de mettre en lumière les bonnes pratiques place, quoi qu’il en soit, la France parmi les bons élèves sur le terrain de la finance verte.

Prise en compte des critères ESG

S’ajoutent à cela d’autres initiatives politiques, notamment la loi sur la transition écologique et énergétique de 2015 qui, dans son article 173, oblige les investisseurs institutionnels à plus de transparence. Ils sont dorénavant contraints de préciser s’ils respectent ou non les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères ESG).

"De la même façon qu'ils savent produire des reportings financiers, les fonds d'investissement doivent être en mesure de produire des reportings climat ou d'impact"

Huit cent quarante investisseurs institutionnels sont ainsi soumis à des obligations de reporting. "Cette mesure a véritablement accéléré la prise en compte de la politique du développement durable dans les investissements financiers, assure Camille Prigent, fondatrice d’Investir Ethique, un média spécialisé dans l’investissement responsable. Pour rester attractifs, les fonds d’investissement ont été obligés de suivre cette tendance. La plupart d’entre eux ont mis en place des stratégies destinées à prendre en compte les critères environnementaux." Conséquence selon elle: "Aucun acteur sérieux sur le marché ne peut aujourd’hui évacuer ce sujet, pour une question d’image d’une partet de concurrence d’autre part." Nombreux sont ainsi les fonds qui ont fait le choix d’inscrire d’office le respect des critères ESG dans leur règlement intérieur. Si les avancées sont multiples, un sujet reste problématique : celui des outils permettant d’évaluer concrètement l’impact des investissements sur le plan écologique. "De la même façon qu’ils savent produire des reportings financiers, les fonds d’investissement doivent aujourd’hui être en mesure de produire des reportings climat ou d’impact, poursuit Camille Prigent. Il leur faut, pour cela, mettre en place les bons outils". Outils qui, selon Aurélie Baudhuin, "sont plus que jamais le nerf de la guerre". Motif : ce seront eux qui, à terme, permettront d’évacuer toute suspicion de greenwashing.

Capucine Coquand

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