Les récentes réformes dans le domaine du droit boursier confirment la tendance visant à encadrer la faculté de procéder à des acquisitions d’actions sur le marché et à renforcer la transparence et l’information par le biais d’obligations déclaratives plus contraignantes. Le ramassage en bourse trouve à présent une nouvelle limite dans la période précédant le dépôt d’une offre publique, dite « période de pré-offre »

L’ordonnance du 30 janvier 20091, adoptée dans le cadre de l’application de la Directive « Transparence »2, a instauré un nouveau régime de franchissements de seuils et de déclarations d’intention. Ce dispositif, qui a donné lieu à une consultation de place par l’Autorité des marchés financiers, est entré en vigueur le 1er août 2009.

Les principaux apports de cette ordonnance visent à améliorer l’information du marché en vue notamment d’éviter les « prises de contrôle rampantes ». Cette information accrue s’articule autour de trois axes : un champ d’assimilation étendu, une information renforcée et des délais de notifications raccourcis.
Le calcul de détention du déclarant impose à présent que soient prises en compte les actions déjà émises que le déclarant est en droit d’acquérir à seule initiative, immédiatement ou à terme, en vertu d’un accord ou d’un instrument financier. La déclaration doit, de surcroît contenir une information détaillée sur l’accès au capital par des actions à émettre et, dans l’hypothèse d’une déclaration d’intention (applicable notamment en cas de franchissement des nouveaux seuils de 15 % et 25 %), une information sur les modalités de financement de l’acquisition, la stratégie envisagée vis-à-vis de l’émetteur et les opérations destinées à les mettre en œuvre ainsi que tout accord de cession temporaire ayant pour objet les actions et les droits de vote. Le délai de déclaration à l’AMF et à l’émetteur est, quant à lui, raccourci au 4e jour de négociation suivant le franchissement de seuil.
Bien que renforcé, le dispositif n’en reste pas moins incomplet sur certains aspects.
Ainsi, en est-il de la question de savoir, dans l’hypothèse où une société tête de groupe procéderait à des déclarations en assimilant, par application des dispositions de l’article L. 223-9 du Code de Commerce, les actions détenues par ses filiales, si ces dernières ont également l’obligation ou non de procéder à des déclarations de franchissement de seuils légaux à titre individuel alors même qu’aucun seuil ne serait franchi au niveau de la société mère.
Le régime de sanction aurait pu lui aussi faire l’objet de précisions : dans l’exemple visé ci-dessus, quelle serait la personne morale responsable en l’absence de déclaration ? La société mère tenue à une obligation d’agrégation (qui n’a pourtant franchi aucun seuil) ou la filiale ayant franchi un seuil individuel pourtant inférieur au seuil global déclaré par la société mère ? Et quelles seraient alors les actions privées de droits de vote ?

Autre imprécision des textes, le nouvel article L.233-14 du Code de Commerce prévoit, contrairement au projet d’ordonnance, que c’est l’actionnaire qui est privé des droits de vote et non les actions elles-mêmes : comment seront traitées les opérations « d’aller-retour » qui ne sont pas expressément visées par les textes3?
Bien qu’incomplètes, ces nouvelles dispositions renforcent de la sorte la transparence des acquisitions réalisées sur le marché, lesquelles sont par ailleurs plus strictement encadrées depuis le 1er octobre dernier, date d’entrée en vigueur du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers, tel qu’amendé par l’arrêté du 10 juillet 20094 modifiant le régime des interventions sur les titres visés en période d’offre publique d’acquisition et instaurant notamment une période dite de « pré offre ».
La période de « pré offre », définie par le nouvel article 231-2 du Règlement général, s’entend comme la période s’écoulant entre la publication par l’AMF des caractéristiques d’un projet d’offre (en particulier la nature de l’offre et le prix ou la parité envisagée dans le cadre de celle-ci) et le début de la période d’offre, c’est-à-dire la date de dépôt formel du projet d’offre auprès de l’AMF, ou, à défaut, la date de renonciation par l’initiateur à son projet.
Il en découle une nouvelle interdiction, posée par l’article 231-38.I du Règlement général aux termes de laquelle l’initiateur, et les personnes agissant de concert avec lui, ne peuvent acquérir aucun titre de la société visée, sauf lorsque leurs acquisitions résultent d’un accord de volonté antérieur, c’est-à-dire lorsque celles-ci ne sont que l’exécution d’un acte juridique conclu au préalable.

Par ailleurs, autre apport de ces récentes modifications réglementaires, du début de la période d’offre jusqu’à l’ouverture de celle-ci, les acquisitions doivent être limitées au tiers des titres visés par l’offre et ne peuvent placer l’initiateur dans une situation de dépôt obligatoire c’est-à-dire lui faire franchir le seuil du tiers du capital ou des droits de vote, ou lui faire acquérir plus de 2 % sur moins de 12 mois, si celui-ci détient déjà entre le tiers et la moitié du capital ou des droits de vote de la cible.
Cette modification de la réglementation s’inscrit dans la lignée du renforcement progressif de l’encadrement du ramassage en bourse. À ce jour, la seule application qui en a été faite résulte de l’offre publique d’achat initiée par la société SiegCo sur Valtech.
Aucune disposition légale n’interdit explicitement le ramassage préalablement au dépôt d’une offre publique5. Néanmoins sa mise en œuvre a été réduite tant par la jurisprudence, que par les modifications successives qui ont été apportées à la réglementation boursière dans le souci d’application du principe du libre jeu des offres et des surenchères, lequel passe par une loyauté dans la compétition.
La jurisprudence considère donc que le mobile du ramassage constitue l’élément déterminant pour apprécier la licéité de l’opération au regard des dispositions relatives au manquement et au délit d’initié. Si la finalité de l’opération consiste uniquement en la prise de contrôle de la société cible, le ramassage apparaît licite. En revanche, si le but de l’opération est exclusivement pécuniaire et que le projet de l’offre est suffisamment arrêté, l’initiateur semble pouvoir être qualifié d’initié.

La jurisprudence a défini précisément les limites de la légalité d’un tel ramassage dans l’affaire Zodiac  laquelle doit en conséquence avoir pour objectif de « prendre progressivement une participation significative dans le capital de la société concernée par la prise de contrôle ou pour conforter une position face à une éventuelle offre concurrente » et non d’abaisser le prix de revient de l’offre publique future, notamment dans l’hypothèse où l’initiateur aurait déjà acquis la quasi-certitude de la réussite de son offre.
Toutefois la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée au regard de la directive dite « abus de marché » en date du 28 janvier 20037 laquelle semble considérer comme licites les opérations de ramassage visant la prise de contrôle d’une société cible préalablement au lancement d’une offre publique.
En pratique on peut se poser la question de l’apport réel de ces nouvelles dispositions ; il est en effet fort peu probable qu’un initiateur se hasarde à dévoiler son intention de lancer une offre publique préalablement au dépôt de celle-ci. De surcroît, la période qui s’écoule entre la date de dépôt de l’offre et la date d’ouverture de celle-ci se trouve de facto réduite, dans la mesure où l’AMF suspend généralement le titre visé par l’offre publique pendant une période de plusieurs jours de bourse, afin de s’assurer de la pleine diffusion de l’information dans le marché.

Enfin, ces dispositions imposent des contraintes lourdes sur l’« initiateur potentiel », alors même qu’à ce jour, les opérations de ramassage permettent d’acquérir jusqu’au tiers du capital ou des droits de vote sans être contraint au dépôt d’une offre obligatoire, ce qui peut paraître pour le moins paradoxal.
Ces nouvelles dispositions amènent à se poser la question de l’avenir des offres hostiles, dont la mise en œuvre promet d’être de plus en plus délicate.

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