Voici un sujet qui aura fait couler beaucoup d’encre en 2022. Le statut du lanceur d’alerte a été réformé en faveur d’une plus grande protection de ce dernier. Après l’adoption de deux lois en mars, un décret d’application du 4 octobre 2022 donne aux entreprises les outils nécessaires pour se mettre en conformité sur ce thème.

Le lanceur d’alerte est défini comme "une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance". Cette personne a vocation à signaler ou divulguer des faits dont elle a connaissance portant sur toutes les problématiques en lien avec l’activité de l’entreprise, qu’elles soient environnementales, sanitaires, alimentaires, sociales…

Les lanceurs d’alerte, au coeur de la compliance

La législation applicable au lanceur d’alerte s’inscrit au coeur de la "compliance", notion anglo-saxonne décrivant un processus de mise en conformité des comportements de l’entreprise, de ses dirigeants, de ses salariés, aux lois, règlements, normes, usages professionnels et exigences éthiques qui leur sont applicables. La compliance, au gré de lois successives, a acquis une traduction juridique, bien intégrée par certaines grandes entreprises, parfois dotées de départements dédiés. La tâche est en revanche plus difficile pour les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles la compliance peut apparaître comme l’étage supplémentaire d’un millefeuille légal et réglementaire déjà bien étoffé.

La compliance, au gré de lois successives a acquis une traduction juridique, bien intégrée par certaines grandes entreprises

La loi n° 2022-401 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, la loi organique n° 2022-400 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte et le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 viennent compléter ce corpus normatif. La loi organique est entrée en vigueur dès le 23 mars 2022. En revanche, le législateur a fixé l’entrée en vigueur de la loi ordinaire à la date du 1er septembre 2022 afin de permettre la parution de décrets d’application, dont l’un d’entre eux a été publié le 4 octobre 2022. Le dispositif qui vient d’être enrichi n’est pas nouveau : la loi du 9 décembre 2016 dite "Sapin II" avait fixé un certain nombre de règles relatives aux lanceurs d’alerte.
En application de ce texte, les entreprises d’au moins 50 salariés sont assujetties à l’obligation d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements. L’article 13 de la loi "Sapin II" fixe une peine de 15 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement pour toute personne "qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement aux personnes et organismes" compétents.

Le lanceur d’alerte ne doit plus agir "de manière désintéressée" mais en l’absence de "contrepartie financière directe"

Les apports de la loi du 21 mars 2022 et du décret du 4 octobre 2022

La loi du 21 mars 2022 a modifié les dispositions de la loi du 9 décembre 2016 en élargissant le champ des bénéficiaires du statut protecteur du lanceur d’alerte. Ainsi, les critères tenant au caractère "grave et manifeste" de la violation dénoncée ont disparu. Autre apport majeur de la réforme, le lanceur d’alerte ne doit plus agir  "de manière désintéressée" mais en l’absence de "contrepartie financière directe". En outre, la loi simplifie les modalités de signalement des alertes en supprimant la hiérarchisation entre signalement interne ou externe et en améliorant la protection accordée aux lanceurs d’alerte, notamment salariés. Dans les entreprises pourvues de représentants du personnel, la procédure de recueil et de traitement des signalements doit être mise en oeuvre après consultation des "instances de dialogue social", ce qui vise le comité social et économique. Le règlement intérieur de l’entreprise doit rappeler l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte.
Le décret du 4 octobre 2022 apporte une précision sur le seuil de 50 salariés, qui s’apprécie à la clôture de deux exercices consécutifs et selon les modalités prévues par l’article 130-1 du Code de la sécurité sociale. Quel qu’en soit le support, la procédure doit être publiée par l’employeur par tout moyen assurant une publicité suffisante, notamment par voie de notification, affichage ou publication, le cas échéant sur son site internet ou par voie électronique dans des conditions permettant de la rendre accessible de manière permanente aux personnes mentionnées susceptibles de l’utiliser. Une plateforme dématérialisée de recueil des signalements est possible.
L’auteur du signalement est informé par écrit de sa réception dans un délai de sept jours ouvrés. L’entreprise doit alors (i) s’assurer de la recevabilité du signalement, (ii) informer son auteur des mesures envisagées ou prises dans un délai raisonnable n’excédant pas trois mois à compter de l’accusé réception du signalement et (iii) le traiter jusqu’à sa clôture, qui intervient lorsque l’alerte est devenue sans objet ou que les allégations de son auteur sont inexactes ou infondées.
Le décret détaille également la procédure d’alerte externe auprès des autorités compétentes. En matière sociale, il s’agira notamment de la DGT, de la DGEFP et du Défenseur des droits.
Enfin, rappelons que la loi du 22 mars 2022 a supprimé la hiérarchisation des canaux entre alerte interne et alerte externe. En dernier ressort, le lanceur d’alerte peut toujours rendre public son signalement. La mise en place d’une procédure de signalement interne est donc un prérequis indispensable. À défaut, l’employeur s’expose à deux principaux risques : le signalement de l’alerte au-delà du cercle de l’entreprise,
conduisant à créer un risque réputationnel qui peut s’avérer majeur et, s’il est établi qu’un "obstacle" est caractérisé, une sanction pénale.
La procédure interne de signalement doit donc être particulièrement accessible, attractive et transparente pour adopter une solution rapide et adaptée et éviter une publicité de l’alerte non maîtrisée par l’entreprise. Une externalisation de cette procédure pourrait être un moyen pour les acteurs économiques d’en assurer une mise en place efficace, fiable et simplifiée.

Sur les auteurs : Philippe Pacotte, avocat associé au sein du cabinet Delsol Avocats, intervient pour le compte d’entreprises et d’organismes à but non lucratif dans leurs prises de décisions quotidiennes et stratégiques en matière de droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale complémentaire.
Arthur Lampert, avocat collaborateur, intervient tant en conseil qu’en contentieux sur toutes les problématiques du droit du travail et de la protection sociale.