Savoir gérer son réseau ne fait plus de doute pour orienter sa carrière. Trouver le bon mentor constitue un levier important du développement des compétences. Les travaux en sociologie du travail ont prouvé qu’il est possible de dépasser certaines limites propres au modèle d’apprentissage ascendant entre mentor et mentoré. Focus sur une nouvelle ère du mentorat avec Jean-Roch Houllier, Head of Operations, Learning & Digital du groupe Safran. 

Le mentorat désigne habituellement une relation professionnelle privilégiée dans laquelle un collaborateur expérimenté propose un accompagnement à un membre moins expert. Depuis quelques années, Reverse Mentoring , mentorat entre pairs et mentorat d’affaires, encourage l’émergence de nouvelles approches plus transversales et bidirectionnelles de la transmission du savoir.Jean-Roch Houllier inaugure quant à lui la mise en place d’un nouveau modèle : la création de "réseaux développementaux". 

Fin d’un modèle bilatéral et formel

Les premiers fondements théoriques du mentorat, au sens contemporain (nous pourrions trouver des analogies dans la mythologie grecque avec Mentor, le précepteur de Télémaque), ont été posés par Daniel Levinson et Kathy Kram. Le mentorat met en avant l’importance d’une relation unique entre un "sachant" (le mentor) et un "apprenant" (le "mentoré"), le plus souvent tous deux issus de l’entreprise. 

Toutefois, ce modèle trouve à présent ses limites. Jean-Roch Houllier souligne à ce sujet : "pour ma part, je ne crois plus aux personnalités omniscientes. Il n’est plus envisageable de trouver l’ensemble des réponses avec une seule et unique personne. Par ailleurs, ce modèle mono-relationnel, univoque et associé à l’univers professionnel est limité du fait qu’il crée des biais de discrimination par son cadre formel."

La recherche académique a montré qu’une relation formelle avec un mentor présente en effet le plus souvent des biais. Pour exemple, on aura certainement du mal à se confier émotionnellement au "N+2" que nous propose l’entreprise dans le cadre d’un programme de mentorat. Le modèle du 70-20-10 nous rappelle que 70% de ce que nous apprenons l'est de manière informelle "sur le terrain", 20% avec les autres, et 10% au travers de la formation structurée classique.

De ces limites, est venue l’idée de construire une approche plus "plate", multidimensionnelle, réciproque, et plus largement informelle du mentorat. 

Changement de paradigme

Sur la base de son propre vécu et de rencontres variées au cours de sa carrière, Jean-Roch Houllier envisage la transmission du savoir au travers de plusieurs "figures inspirantes" qui permettent le développement de chacun, "à l’image de lanternes déposées qui balisent le chemin de nos apprentissages tout au long de notre vie". Par la suite, lors de son doctorat à Skema Business School, il apprend que, dès 2001, Kathy Kram et Monica Higgins ont déposé le concept de "réseaux développementaux" correspondant à un maillage d’individus qui vont soutenir celui qui se trouve au centre de son réseau. Le mentoré devient un "protégé" et le mentor se transforme en plusieurs développeurs, chacun avec des apports différents. 

Rompant avec l’idée d’un modèle d’apprentissage unidirectionnel et ascendant, les réseaux développementaux ont pour vocation de placer l’apprenant au cœur de sa carrière, de son développement personnel, et plus encore de sa vie : "Les réseaux développementaux, élaborés par Higgins et Kram, proposent une autre modalité dans laquelle l’intéressé constitue un réseau de développeurs à un moment donné. Il s’agit souvent d’un réseau constitué pour quatre cinquièmes de développeurs, souvent issus d’univers sociaux différents (entreprise, école, famille, etc.), avec une dominante informelle. Seul le protégé et le développeur (si le protégé s’est dévoilé) sont conscients de cette relation. Celle-ci, par ailleurs, ne reste pas purement opportuniste, comme c’était le cas auparavant, et peut devenir réciproque, au sens où le protégé apporte également en retour à son développeur. Le lien établi dans cette relation peut alors se consolider et présenter une force toute particulière, significative."

En ce sens, le mentorat 3.0 incarne l’idée du passage d’un mentorat traditionnel (1.0), puis digitalisé (2.0), à un mentorat entièrement revisité.

Booster sa carrière avec les réseaux développementaux

Au sein de ces "réseaux développementaux", chaque développeur possède une ou plusieurs fonctions précises qui tendent vers l’objectif de carrière de l’intéressé : "Celui qui est à l’intérieur du réseau doit être son propre moteur et se prend en main pour aller vers la bonne personne qui aura ce rôle de développeur et servira un objectif de carrière précis – on parle de culture entrepreneuriale de son réseau." La force des liens, représentée par le degré d’émotion investi dans la relation, la fréquence des rencontres et la réciprocité dans les échanges d’information, constitue une caractéristique fondamentale du réseau centré sur le protégé. L’approche est davantage "plate", au sens où le protégé et le développeur se rencontrent comme sur un "plateau commun d’apprentissage". Par ailleurs, la multiplicité des univers dans lesquels le développeur peut avoir été choisi positionne différemment l’entreprise que lors du mentorat classique. Elle devient un levier pour le développement professionnel et personnel des individus. "L’entreprise, via cette nouvelle approche du mentorat, offre un véritable cadeau à ses salariés. Elle leur donne le véhicule – sans rester à bord – qui pourra leur servir toute leur vie."

Vers un monde du travail plus collaboratif

En mai 2019, un voyage d'apprentissage conçu autour des réseaux développementaux par Jean-Roch Houllier, Gérald Péoux (codirecteur du master Humanités et Management de Nanterre) et leurs élèves Nicolas Gratius et Henri Merle d'Aubigné (MGP HEC), a fait l’objet d’un test pilote à l’université de Paris-Nanterre (master Humanités et Management) auprès d’étudiants, pour la plupart déjà en alternance. Cinq mois après la formation, 56% d’entre eux affirment avoir "beaucoup" ou  "moyennement" utilisé les outils proposés pour "booster" leur carrière. 

Concernant les résultats de cette formation, Jean-Roch Houllier commente : "On constate que le fait de conscientiser la présence de développeurs stimule l’individu comme acteur de son réseau et de sa montée en compétence. Par ailleurs, cela permet également de devenir soi-même développeur d’autres personnes, créant ainsi un réseau interconnecté."

L’une des vertus incontestables de ce modèle est de répondre aux attentes d’un monde du travail souhaité comme davantage "horizontal", avec des carrières non linéaires et des individus de plus en plus polycentriques, capables de s’inscrire dans un apprentissage continu. 

"Les réseaux développementaux permettent la création d’un modèle de travail particulièrement aligné avec la société actuelle. Ils participent à la mise en place d’une culture de coopération au sein des entreprises. Chacun apprend à grandir avec et dans le regard des autres, explique Jean-Roch Houllier. Il précise que l’importance de la force des liens faibles, théorie du sociologue Mark Granovetter, y est illustrée. Les différents univers socio-professionnels sont mixés. L’entreprise joue le rôle de "passeur" entre univers formel et informel, et se trouve pleinement apprenante, via la diffusion d’une culture systémique de l’autonomisationEn ce sens, il me semble que cette approche contribue au développement d’une culture d’apprentissage collaborative et plus largement à la mise en place de l’entreprise apprenante."

Si en France le modèle traditionnel du mentorat continue de faire légion, certaines entreprises et écoles avant-gardistes commencent à s’intéresser de près à cette formation des "réseaux développementaux". Elle apparaît clé dans la gestion de l’emploi des seniors et lors des transitions de carrière. 

L’ère du mentorat 3.0 est arrivée.

Elsa Guérin

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