« Nous nous interrogeons sur l'impact du recours aux injonctions judiciaires »
Entretien avec Joaquín Almunia, vice-président de la Commission européenne
Décideurs. Depuis plusieurs années, on assiste à une multiplication des contentieux agressifs autour des droits de brevets essentiels liés à une norme (BEN). Quelles conséquences de ces pratiques la Commission craint-elle, notamment pour les consommateurs ?
Joaquín Almunia. Dans le secteur des technologies de l'information, les normes sont essentielles au bon fonctionnement des marchés. En favorisant l'interopérabilité et l'innovation, les normes bénéficient aussi bien aux entreprises qu'aux consommateurs. Pour que ce soit le cas, lorsqu'une norme a été fixée, il est essentiel qu'elle soit accessible aux acteurs du marché. C'est pour cette raison que la Commission a été amenée à s'intéresser à certains des contentieux actuels, dans le cadre de son rôle de préservation de la concurrence dans l'Union européenne. Nous avons ouvert deux enquêtes concernant Motorola et, dans le cadre d'une autre enquête, nous avons notifié une série de griefs à Samsung en décembre dernier. Nous nous interrogeons sur l'impact du recours aux injonctions judiciaires, qui peut dans certaines situations s'avérer problématique car ces injonctions impliquent généralement une interdiction de la vente du produit qui viole le brevet. Par exemple, pour ses BEN liés à la norme 3G/UMTS, Samsung s'était engagé devant l'autorité de normalisation à concéder des licences à des conditions Frand. Or, si le licencié potentiel était volontaire pour négocier une licence pour les BEN à des conditions Frand, le recours à une injonction pourrait être anticoncurrentiel. Un tel recours risquerait en effet, sans justification réelle, d'exclure du marché certains produits et de fausser indûment les négociations d'octroi de licences en faveur du titulaire des BEN. Des pratiques de ce type pourraient in fine étouffer l'innovation et réduire le choix pour les consommateurs, car elles permettraient à une entreprise d'utiliser ses BEN de manière stratégique afin de bloquer ses concurrents. Telle est du moins notre analyse préliminaire.
Décideurs. La Commission, dans une procédure de sanctions pour pratiques anticoncurrentielles, peut imposer, en plus des amendes, des mesures correctives. Jusqu’où pourraient aller de telles mesures ?
J. A. Je ne peux pas préjuger des résultats des enquêtes en cours. Cependant, nous agissons dans le cadre de nos prérogatives en tant qu'autorité européenne de la concurrence : si une infraction aux règles de la concurrence est confirmée, il nous est en effet possible d'interdire les comportements en cause et éventuellement d'infliger des amendes. En outre, si une entreprise propose des engagements permettant de résoudre les problèmes de concurrence que nous avons identifiés, la Commission a également la possibilité d'accepter ces engagements et de les rendre juridiquement contraignants.
Décideurs. La « guerre des brevets » a provoqué un important forum shopping. Le brevet unique européen et la future juridiction européenne des brevets mettront-elles fin ce phénomène dans l’Union ?
J. A. Indépendamment de la « guerre des brevets » à laquelle vous faites allusion, le brevet unique européen est d'abord une avancée fondamentale pour favoriser l'innovation en Europe en réduisant les coûts. De plus, dans le cadre du brevet unique il n'y aura effectivement pas de « forum shopping » entre les tribunaux de différents États membres. Les contentieux seront traités par une « Juridiction unifiée du brevet » dont les divisions appliqueront les mêmes règles de procédure, auront toutes une composition multinationale et dont les décisions seront toutes contrôlées par la cour d'appel. Cela empêchera le « forum shopping ».
Décideurs. La Commission envisage-t-elle de modifier le cadre législatif européen pour mieux encadrer l’utilisation des BEN ou l’octroi de licences Frand ?
J. A. Il n'y a pas d'intervention législative qui soit envisagée aujourd'hui. Rappelons que nos craintes actuelles concernent une éventuelle violation des règles européennes de la concurrence, qui sont inscrites dans le Traité. Nous agissons donc pour nous assurer que ces règles existantes, qui s'imposent à tous, soient bien respectées.
Joaquín Almunia. Dans le secteur des technologies de l'information, les normes sont essentielles au bon fonctionnement des marchés. En favorisant l'interopérabilité et l'innovation, les normes bénéficient aussi bien aux entreprises qu'aux consommateurs. Pour que ce soit le cas, lorsqu'une norme a été fixée, il est essentiel qu'elle soit accessible aux acteurs du marché. C'est pour cette raison que la Commission a été amenée à s'intéresser à certains des contentieux actuels, dans le cadre de son rôle de préservation de la concurrence dans l'Union européenne. Nous avons ouvert deux enquêtes concernant Motorola et, dans le cadre d'une autre enquête, nous avons notifié une série de griefs à Samsung en décembre dernier. Nous nous interrogeons sur l'impact du recours aux injonctions judiciaires, qui peut dans certaines situations s'avérer problématique car ces injonctions impliquent généralement une interdiction de la vente du produit qui viole le brevet. Par exemple, pour ses BEN liés à la norme 3G/UMTS, Samsung s'était engagé devant l'autorité de normalisation à concéder des licences à des conditions Frand. Or, si le licencié potentiel était volontaire pour négocier une licence pour les BEN à des conditions Frand, le recours à une injonction pourrait être anticoncurrentiel. Un tel recours risquerait en effet, sans justification réelle, d'exclure du marché certains produits et de fausser indûment les négociations d'octroi de licences en faveur du titulaire des BEN. Des pratiques de ce type pourraient in fine étouffer l'innovation et réduire le choix pour les consommateurs, car elles permettraient à une entreprise d'utiliser ses BEN de manière stratégique afin de bloquer ses concurrents. Telle est du moins notre analyse préliminaire.
Décideurs. La Commission, dans une procédure de sanctions pour pratiques anticoncurrentielles, peut imposer, en plus des amendes, des mesures correctives. Jusqu’où pourraient aller de telles mesures ?
J. A. Je ne peux pas préjuger des résultats des enquêtes en cours. Cependant, nous agissons dans le cadre de nos prérogatives en tant qu'autorité européenne de la concurrence : si une infraction aux règles de la concurrence est confirmée, il nous est en effet possible d'interdire les comportements en cause et éventuellement d'infliger des amendes. En outre, si une entreprise propose des engagements permettant de résoudre les problèmes de concurrence que nous avons identifiés, la Commission a également la possibilité d'accepter ces engagements et de les rendre juridiquement contraignants.
Décideurs. La « guerre des brevets » a provoqué un important forum shopping. Le brevet unique européen et la future juridiction européenne des brevets mettront-elles fin ce phénomène dans l’Union ?
J. A. Indépendamment de la « guerre des brevets » à laquelle vous faites allusion, le brevet unique européen est d'abord une avancée fondamentale pour favoriser l'innovation en Europe en réduisant les coûts. De plus, dans le cadre du brevet unique il n'y aura effectivement pas de « forum shopping » entre les tribunaux de différents États membres. Les contentieux seront traités par une « Juridiction unifiée du brevet » dont les divisions appliqueront les mêmes règles de procédure, auront toutes une composition multinationale et dont les décisions seront toutes contrôlées par la cour d'appel. Cela empêchera le « forum shopping ».
Décideurs. La Commission envisage-t-elle de modifier le cadre législatif européen pour mieux encadrer l’utilisation des BEN ou l’octroi de licences Frand ?
J. A. Il n'y a pas d'intervention législative qui soit envisagée aujourd'hui. Rappelons que nos craintes actuelles concernent une éventuelle violation des règles européennes de la concurrence, qui sont inscrites dans le Traité. Nous agissons donc pour nous assurer que ces règles existantes, qui s'imposent à tous, soient bien respectées.