Le gouvernement a publié le 21 novembre 2023 le document qui encadrera les négociations entre les partenaires sociaux concernant l’emploi des seniors. Objectif : atteindre un taux d’emploi de 65% pour les 60-64 ans  "à l’horizon 2030".

En 2022, la Dares indiquait que le taux d'emploi des seniors – âgés de 55 à 64 ans – était de 56,9%, inférieur à celui de la moyenne européenne (62,4%), plaçant la France en 17e position parmi les 27 États membres de l'UE. Les négociations concernant l’emploi des seniors ont pour but de trouver des solutions pour favoriser à la fois le maintien et le retour en emploi des seniors. Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a rappelé le lundi 9 janvier lors de ses vœux aux acteurs de l’économie : "Vous, chefs d'entreprise, vous avez une responsabilité particulière : vous devez rompre avec cette pratique d'un autre temps la mise à la retraite déguisée de vos salariés les plus âgés. […] Dans la négociation en cours, j'invite par conséquent les partenaires sociaux à faire preuve de la plus grande ambition pour l'emploi des plus de 55 ans."

Des biais de perception toujours présents

Actuellement, de nombreux obstacles demeurent pour réintégrer les seniors sur le marché de l’emploi.  Frileuses, les directions sont souvent enclines à limiter leurs recrutements. En effet, une étude OpinionWay pour le cabinet Grant Alexander du 12 octobre 2023 met en avant le fait que deux DRH sur trois reconnaissent avoir déjà écarté d’emblée des candidats seniors et deux managers sur trois disent avoir reçu de leur direction des consignes leur recommandant de privilégier des candidats jeunes. La raison de ces choix : des préjugés qui perdurent.

En effet, 69% des répondants à l’enquête disent redouter que les seniors comprennent mal les attentes des jeunes recrues, 65% craignent qu’ils ne s’adaptent pas bien à leurs processus de travail et 63% appréhendent qu’ils soient rétifs aux nouvelles technologies. Toutefois, l’étude montre aussi un manque d’accompagnement des entreprises en la matière, notamment pour aider les collaborateurs seniors à se diriger vers d’autres métiers ou des formations. On note également un autre frein concernant l’emploi des seniors : leurs prétentions salariales.

Henri Vidalinc, président de Grant Alexander, commente ainsi les résultats de cette étude : "Il est nécessaire de proposer des modes de collaboration plus flexibles que le CDI, en mode projet, avec par exemple pour les cadres et dirigeants le management de transition ; et des formats adaptés, en développant les temps partiels […]. Il faut tout d’abord travailler sur les biais et accompagner les dirigeants et les collaborateurs, via notamment du coaching, de la formation, pour faire évoluer les mentalités, les comportements, et inclure vraiment !"

  "Vous, chefs d'entreprise, vous avez une responsabilité particulière" Bruno Le Maire

Un enjeu d’inclusion pour les entreprises

Longtemps, la question des seniors ne faisait pas l’objet des politiques RH en entreprise mais se traitait au cas par cas. Marc Gosselin, ex-DRH du groupe Arkéa, note qu’"en matière de lutte contre les discriminations, nous avons avancé comme sur différents couloirs de nage : la parité, la place des handicapés et celle des juniors. À présent, il est temps de s’attaquer à la problématique des seniors. Cela est urgent car il faudra du temps pour revaloriser leur place dans l’entreprise".

Avec le départ à la retraite reportée de deux ans, l’inclusion des seniors commence à faire l’objet d’une attention particulière au sein des directions. En effet, une étude du Comptoir de Malakoff Humanis de novembre 2023 indique que "64% des chefs d’entreprise déclarent se préoccuper du maintien dans l’emploi des seniors".

Toutefois, comme pour chaque politique de diversité et inclusion, la gageure reste de passer des mots aux actes. Caroline Sarrot-Lecarpentier, fondatrice du cabinet de conseil en communication intergénérationnelle Intelligence collective intergénérationnelle (ICI) nous explique : "Les programmes de préretraite ont certainement renforcé l’idée selon laquelle à partir de 50 ans, il n’y avait plus de perspectives de carrière. Cette idée fut d’ailleurs incarnée par le propos de Jacques Séguéla en 2009 : 'Si à 50 ans on n'a pas une Rolex, on a raté sa vie.'" Elle poursuit : "Le savoir accumulé par les seniors est une ressource à exploiter, à faire fructifier et à préserver. Certaines entreprises développent des programmes exemplaires à cet égard : Total, par un upskilling permanent, et La Poste, par un réseau de 'passeurs' et de formateurs en interne. Ils favorisent ce regard croisé jeune/senior qui est essentiel."

Des pistes concrètes

En fin d’année 2023, le gouvernement a invité les partenaires sociaux à réfléchir autour de trois grandes pistes : l'emploi des seniors, la création d'un compte épargne-temps universel (Cetu), les transitions et reconversions professionnelles et l'usure professionnelle. Peut-être verra-t-on alors revenir sur le devant de la scène les projets évoqués précédemment, comme la création d’un CDI senior ou l’instauration d’un index senior ? L’impératif étant de trouver des solutions qui ne correspondent pas à des dispositifs de sortie de l’emploi mais bien des leviers d’inclusion.

 "Ne faudrait-il pas revoir ce terme de senior que l’on utilise dans certaines entreprises pour les salariés dès leurs 45 ans. Nous parlons d’ailleurs à l’ANDRH de salariés expérimentés", Audrey Richard

L’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) a plaidé en octobre dernier pour la mise en place d’un plan "Un senior, une solution" à l’image de "Un jeune, une solution" contenant trois piliers constitutifs : l’aide à l’insertion dans la vie professionnelle, la formation et l’accompagnement vers l'emploi ou la formation. Audrey Richard, présidente de l’ANDRH explique : "Ce plaidoyer est parti d’un constat. De nombreuses entreprises souffrent d’une pénurie de talents alors que le taux de seniors au chômage en France est l’un des plus élevés de toute l’Europe. Le plan d’action du gouvernement avait très bien fonctionné concernant les jeunes avec "Un jeune, une solution". Pourquoi ne parviendrons-nous pas à faire la même chose pour redynamiser l’emploi des seniors. Nous pensons que les DRH ont une responsabilité concernant l’insertion et le maintien des plus de 55 ans en emploi." Aussi, l’ANDRH réfléchit aux solutions qui seraient efficientes. "Notre travail nous mène vers des dispositifs qui ne coûteraient rien à l’État. En ce sens, nous travaillons sur une idée qui avait été écartée et pourtant semble pertinente : un contrat qui s’arrête lorsque le taux plein pour partir à la retraite est atteint. Cela rassure l’employeur. Concernant l’index senior que l’ANDRH avait évoqué il y a déjà longtemps, notre point de vigilance est qu’il ne soit pas usé comme un outil punitif mais bien comme une possibilité de rendre davantage visible les taux de seniors en activité au sein des entreprises. Plus généralement, une question se pose concernant le regard que nous posons sur l’emploi des seniors en France : ne faudrait-il pas revoir ce terme de senior que l’on utilise dans certaines entreprises pour les salariés dès leurs 45 ans. Nous parlons d’ailleurs à l’ANDRH de salariés expérimentés."

Biais de discrimination, outils juridiques pas encore assez efficients… ce qui semble certain, c’est que la thématique des salariés expérimentés en emploi n’a pas été assez prise en compte en France. La nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, a inscrit la négociation sur l’emploi des seniors comme l’un des chantiers prioritaires à traiter en 2024. Avec la hausse de deux ans de l’âge légal de départ en retraite, nul doute qu'ignorer la revalorisation des seniors en emploi signerait l’avènement d’une véritable bombe sociale.

Elsa Guérin

Prochains rendez-vous
Décideurs RH

2 octobre 2024
Rencontres du droit social
Le rendez-vous des acteurs du droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP 
Voir le site »


Novembre 2024
Les Victoires du Capital humain
L'incontournable des directions RH
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX 
Voir le site » 

Avril 2025
U-Spring, Le Printemps des universités d'entreprises
La journée qui célèbre le learning
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX
Voir le site »

GUIDES DÉCIDEURS RH

> Guide 2024

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter hebdomadaire de Décideurs RH, merci de renseigner votre mail