Après de multiples rebondissements de dernière minute, la directive CSDDD, encadrant le « devoir de vigilance » a finalement été adoptée le mercredi 24 avril par le Parlement européen. Retour sur le parcours de ce texte important avec Fabrice Bonnifet, président du C3D.

Dire que l’accouchement de cette directive s’est fait dans la douleur est un euphémisme. Alors que le texte négocié semblait parti pour passer comme une lettre à la Poste, il avait été retoqué à la surprise générale par la Commission.

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Un second texte aux ambitions revues à la baise était finalement passé quelques jours plus tard, avant d’être adopté à 374 vois pour contre 235 au Parlement Européen. Fabrice Bonnifet, président du C3D commente donc pour nous l'adoption finale de ce texte.

En tant que président du C3D, quelle est votre réaction face à la forte baisse des ambitions de la directive ?

En tant que président du C3D, et donc en tant que représentant des membres de l’association, nous sommes déçus de la révision à la baisse des ambitions de la directive CSDDD. Mais soyons déjà satisfaits qu’elle ait finalement été adoptée malgré les pressions de ceux qui veulent tirer toujours plus vers le bas les mesures pour la durabilité de l’économie. Au C3D, nous voyons cette directive comme une assurance-vie car les pressions des parties prenantes vont s’amplifier au fur est à mesure des effets de l’emballement climatique, continuer de ne rien faire s’assimilerait à un suicide collectif.

Comment expliquez-vous un tel recul, alors qu’un accord avait été trouvé en décembre ?

Le recul est dû à l’effet combiné d’un lobbying passéiste et du sentiment de devoir digérer en peu de temps des exigences complexes de la part d’entreprises souvent mal préparées. L’enchainement Taxonomie, CSRD et CSDDD a eu un effet repoussoir que l’on peut comprendre. Il aurait fallu anticiper et lisser sur une plus longue période la sortie de ces normes, mais maintenant avec l’explosion de 6 des 9 limites planétaires, nous ne pouvons plus attendre avant d’agir.

La CSDDD requiert une traçabilité dans la vigilance à exercer sur les fournisseurs directs, alors que le texte initial mentionnait l’ensemble de la chaine des fournisseurs ou encore les partenaires commerciaux indirects. Dans les faits, peu d’entreprises disposent des dispositifs adéquats pour évaluer ne serait-ce que leurs fournisseurs de rang 1. La mise à niveau va être longue et coûteuse, mais c’est le prix à payer pour éviter un coût encore bien plus important si nous continuons à produire de la valeur économique en détruisant la valeur écologique et sociale.

Que pensez-vous de la reculade de la France qui alors qu’elle était un soutien majeur du texte a demandé à la dernière minute de réduire le champ d’application du texte aux entreprises de plus de 1 000 employés (500 sur le texte original) ?

La position de la France est incompréhensible !  Nous avons été pionniers en Europe avec notre loi le devoir de vigilance et nombre de nos grandes entreprises ont déjà mis en œuvre des pratiques compatibles avec l’essentiel des exigences de la CSDDD. Cela nous donne un avantage certain en Europe et même dans le monde, car tôt ou tard, aucune entreprise ne pourra continuer d’être profitable sans exercer pleinement sa responsabilité sociétale en symbiose avec ses partenaires, la CSDDD sert à cela. La France aurait dû défendre ce texte comme l’ont fait les Italiens et aider ses entreprises de tailles intermédiaires à répondre à ces nouvelles exigences. Au C3D, nous allons accompagner nos membres, car ce texte n’est pas qu’une question de RSE c’est un enjeu de dignité.

Quel impact direct pensez-vous que cette CSDDD réduite aura-t-elle ?

C’est trop tôt pour se prononcer, l’essentiel du recul concerne la réduction du champ d’application de la loi car seules les entreprises de plus de 1 000 salariés seront finalement concernées au lieu de 500 dans le texte initial. C’est dommageable, mais les petites entreprises vont subir les exigences de leur donneur d’ordre, donc in fine toutes les entreprises finiront par être concernées directement ou indirectement. Par ailleurs, en première lecture le texte de loi proposait d’instaurer un devoir de vigilance obligatoire pour toutes les entreprises opérant dans les secteurs considérés comme les plus risqués, notamment le textile, l’agriculture, les activités minières et le secteur de la construction. Cette approche sectorielle a été supprimée, mais dans les faits ces entreprises subiront là aussi les pressions de leur donneur d’ordre. Avoir supprimé cette obligation de vigilance ne changera finalement pas grand-chose lorsque ces entreprises interviendront en tant que sous-traitants ou fournisseurs directs. Elles devront rendre des comptes sur leurs pratiques d’achats et leur trajectoire de décarbonation.

Propos recueillis par François Arias

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