Alors que l’énergie pourrait venir à manquer plus tôt que ce qui avait été prévu par nos plus fins connaisseurs du sujet, le gouvernement présente un nouveau virage environnemental sur un itinéraire en la matière digne du circuit de Silverstone. Que nous vaut cet éveil écologique soudain ?

La station-service russe nous ayant condamné ses robinets, si l’hiver s’avérait froid, il se révélerait redoutable. Le manque d’énergie devient dès lors une volonté écologique et la précarité tourne à la lutte. Quoi de mieux que d’afficher un poisson pour noyer discrètement le second ?

Éco-nomie

Si après discussion avec le chancelier allemand, Emmanuel Macron a pris acte de la hausse des prix de l’énergie et de sa probable pénurie à venir, rien ne lui imposait de s’en disculper totalement ni de maltraiter en 2022 un discours anti-nucléaire tenu en 2018. Toujours dans une esthétique oratoire martiale, notre Président a préféré substituer à la faillite de notre indépendance énergétique, dont l’exécutif n’est pas dispensé de tout reproche, l’image d’un gouvernement farouchement déterminé à faire de la sobriété un argument écologique."La meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas" a-t-il poursuivi, affirmant que chacun avait son rôle à jouer. Un bref retour en arrière tord le cou à cette assertion. Quelques semaines plus tôt en effet, alors que Clément Beaune suggère de réguler les vols en jets privés, Christophe Béchu, son ministre de tutelle, lui rappelle que"l’écologie ce n’est pas le buzz" sans contester pour autant "l'intérêt qu'il peut y avoir pour quelques petits gestes". Et ces petits gestes, Emmanuel Macron les définit :"La chose la plus efficace c’est de baisser un peu la clim’ et d’essayer de se caler sur une référence de chauffage autour de 19 degrés." Amen.

Sauf-conduit

Une question émerge : qui donc est concerné par cette éventuelle future contrainte ? Plutôt que de se lancer dans une énumération assommante et de se complaire dans des spéculations hasardeuses, voire contestables, nous aurions plus tôt fait de dresser la liste des individus qui semblent en être exempts. À commencer par les utilisateurs de jet privés : hommes politiques parce qu’il faut être au cœur de l’action, Bernard Arnault car son avion est aussi son bureau et l’équipe du PSG parce que le seul autre moyen de locomotion pour gagner Nantes est le char à voile. Et Élisabeth Borne d’arguer qu’"il est important qu’ils réalisent dans quel monde on est, qu’ils prennent conscience qu’il y a une crise climatique qui n’est plus une hypothèse pour demain mais qui est une réalité maintenant." Une recommandation dont son prédécesseur s’était affranchi pour aller voter, utilisant-là les "règles habituelles qui s’appliquent au Premier ministre". Mais l’indignation ne rectifie pas le réel. Notons néanmoins qu’en quelques semaines, l’hypothèse de la crise climatique est devenue réalité. Tant mieux…

 L’indignation ne rectifie pas le réel

Mais les personnalités publiques, souffre-douleur modernes, ne sont pas les seules à bénéficier de ces largesses gouvernementales. Les 12 millions de Français souffrant de précarité énergétique n’auront pas à baisser leur thermostat, soit parce qu’ils n’en ont pas, soit parce qu’ils portent déjà des moufles en intérieur l’hiver et, en partant du principe qu’un quart de la population dispose d’une climatisation, les trois quarts qui n’en possèdent pas n’auront pas à s’embarrasser de ces quelques consignes.

La carte écologique, donc, pour convertir la pénurie d'énergie promise en acte de résistance. Chacun étant confronté à ses propres priorités, il va se révéler délicat d’embarquer tout le monde dans la lutte. Alors si les uns coupent l’eau pendant qu’ils se brossent les dents, les autres voltigeront un peu moins et tout le monde sera content parce que c’est la démocratie et que ça nous oblige

Alban Castres

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