Alors que La Poste doit livrer 100 millions de colis en vue des fêtes de fin d’année, Colissimo est en ordre de bataille pour assurer le service. Son directeur général revient sur les moyens mis en place pour garantir des livraisons respectueuses de l’environnement.

Décideurs. En quoi la période de Noël est-elle charnière chez Colissimo ? 

Jean-Yves Gras. Cette période est ce que l’on appelle dans notre jargon la "peak période". Entre le Black Friday et le 24 décembre, nous livrerons environ 100 millions de colis, soit l’équivalent de 50 fois la tour Montparnasse ou l’équivalent de 5 000 colis par minute. Ce volume correspond à 50 % de plus que celui d’une journée "normale" et s’inscrit dans une croissance générale du e-commerce. À titre de comparaison, entre 2014 et 2019, la croissance du commerce en ligne représentait environ 7 % par an. Durant la pandémie, la croissance a été de l’ordre de 38 % sur deux années. Depuis 2022, on note un retour à la normale mais nous livrons tout de même 25 % de volume en plus par rapport à 2019. Les habitudes d’achat en ligne sont bien ancrées et des personnes qui ne commandaient pas auparavant s’y sont mises. Au total, les ménages français reçoivent en moyenne 29 colis par an.

Quelle organisation avez-vous mise en place pour répondre à cette demande ? 

La "peak période" s’avère extrêmement stratégique pour nos clients, puisqu’elle représente en moyenne 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires. C’est un défi pour nos postières et postiers. Nous préparons généralement cette période au printemps en commençant à établir nos prévisions de ventes afin d’ajuster les moyens en place. En fonction des retours des commerçants, nous n’hésitons pas à réviser ces chiffres. Ajuster nos moyens à la demande a une vertu économique et écologique.

Vous affichez un taux de réussite de vos livraisons de 95 %. Comment faites-vous ? 

Nous travaillons sur notre qualité de service. Nous avons mis en place une deuxième présentation systématique gratuite, la possibilité de choisir son jour de livraison, ainsi que celle de livrer chez un voisin choisi. Nous disposons d’un partenariat avec une start-up, Pickme, qui met en relation les destinataires avec des voisins susceptibles de recevoir des colis. La gestion des données (téléphone, mail) permet aussi de disposer d’une meilleure interaction avec le destinataire final. Le tout sans compter sur nos 23 000 points relais, qui permettent d’être à moins de 8 minutes de chaque consommateur. Les gens ne sont pas obligés de faire des kilomètres pour aller chercher leurs colis dans des agences de transport improbables. Ajoutons à cela qu’avec le développement du télétravail, les personnes sont davantage chez elles, ce qui accroît là encore le taux de réussite des livraisons.

"Nous effectuons une véritable chasse au vide qui a permis de mettre 30 % de colis en plus dans nos camions" 

Comment proposer des livraisons vertueuses ? 

Nous sommes le leader du marché puisque nous effectuons à peu près la moitié des livraisons de colis en France et sommes également le leader de la livraison responsable. Si nous sommes devenus entreprise à mission en juin 2021, l’engagement de La Poste en la matière remonte à 2012. Année durant laquelle nous avons entamé notre démarche qui consiste à mesurer, réduire et compenser nos livraisons. Depuis dix ans, celles-ci sont neutres en carbone. Nous finançons des programmes afin de compenser nos niveaux d’émissions de CO2. Mais le plus important a été de les réduire de 32 % entre 2013 et 2021.

Par quels moyens ? 

En nous y prenant brique par brique. Les colis sont d’abord reçus dans des plateformes de tri. Celles-ci ont fait l’objet de 450 millions d’euros de rénovation pour afficher une très haute performance énergétique que ce soit grâce à l’isolation ou à l’utilisation d’une électricité 100 % renouvelable. Deuxième axe de travail : le transport. Nous avons engagé tout un plan pour convertir notre flotte de poids lourds avec comme objectif 50 % de kilomètres parcourus grâce à une énergie bas carbone d’ici à 2030. Ce qui passe par l’utilisation de caisses mobiles plutôt que de semi-remorques qui permettent de transporter 100 m3 au lieu de 70 m3. Un changement de processus de rangement a également été mis en place : nous n’utilisons plus de palettes ou de contenants. Nous effectuons une véritable chasse au vide qui a permis de mettre 30 % de colis en plus. Nous avons également revu les liaisons routières. Des camions et des kilomètres économisés, ce sont des émissions de CO2 en moins.

"Pour être plus propre, il faut être plus proche du consommateur"

Vous avez également travaillé sur la livraison en elle-même ? 

Tout à fait. Il s’agit de la troisième brique et celle que le consommateur voit le plus. Dans les centres-villes, nous avons changé nos schémas de transport en créant des espaces de logistiques urbains, actuellement au nombre de 27. Les entrepôts où les colis sont déchargés sont plus proches des centres-villes. Les colis sont ensuite livrés en vélo cargo ou véhicules électriques, comme cela est désormais le cas depuis La Poste du Louvre. D’ici à 2024, tout Paris sera livré grâce à ces modes dits doux. Nous avons investi massivement afin de disposer de 1 000 vélos cargo et de 8 000 véhicules électriques supplémentaires.

Vous faites revenir la logistique en centre-ville. Pourquoi ?

Pour être plus propre, il faut être plus proche du consommateur. Nous nous inscrivons dans une trajectoire carbone très ambitieuse : zéro émission nette d’ici à 2030, contre 2050 pour les autres sociétés. Certes, cela représente une contrainte mais quand on est leader, il faut savoir se distinguer. Ce sera un point très important pour la compétitivité à l’avenir. Là où nous affichons 408 grammes de CO2 par colis, nos concurrents en dégagent 600 voire 1kg. J’ajoute que cet engagement ne va pas sans un engagement sociétal. Les deux sont liés, cela va sans dire.

Propos recueillis par Olivia Vignaud