Si la mondialisation a lissé un certain nombre de critères pour mener à bien son parcours professionnel, des différences entre les pays demeurent. En France, les études sont valorisées tout au long de la carrière et il s’avère plus difficile de sortir de son domaine d’expertise qu’aux États-Unis.

Dis-moi qui sont les PDG du CAC 40, je te dirai comment gérer ta carrière au sein des grands groupes. Tous les ans, le cabinet de chasse de têtes anglo-saxon Heidrick & Struggles publie une étude comparant les profils et les parcours des patrons nouvellement nommés au sein des grandes entreprises cotées dans le monde. L’occasion de mettre en avant l’évolution des mécanismes qui conditionnent la sélection des dirigeants mais aussi de faire ressortir les différences d’un pays à un autre. En France, 100 % des PDG de l’indice phare parisien ont fait des études supérieures, contre 62 % à l’échelle mondiale. Par ailleurs, 75 % d’entre eux ont été promus en interne (64 % au niveau mondial). Des données qui ne concernent, certes, que les plus hauts patrons français mais révèlent la manière dont l’Hexagone promeut ses cadres.

Les études, l'alpha et l'oméga

Sur tous les continents, dans les CV, la ligne consacrée aux études est importante du début jusqu’à la fin de sa carrière. Lors des entretiens d’embauche ou de promotion, les candidats mettent en avant les écoles dans lesquelles ils ont été formés. "En France, le diplôme initial reste important pour accéder à tel ou tel poste, comparé à d’autres pays, avec une prime pour les diplômes les plus reconnus, qu’ils s’agissent de ceux d’écoles d’ingénieurs ou de commerce", note Hervé Borensztejn, partner chez Heidrick & Struggles. Et d’ajouter : "Quand les gens se présentent en entretien, ils disent j’ai fait HEC ou l’X en telle année. Ils valorisent leur diplôme plus que leur expérience professionnelle, parfois même après vingt années de carrière." Une façon de fonctionner proche d’un pays comme le Japon mais qui diffère des territoires anglo-saxons, moins attachés à la formation initiale qu’au déroulé de la carrière.

"En entretien, les gens disent j’ai fait HEC ou l’X en telle année. Ils valorisent leur diplôme plus que leur expérience professionnelle"

Ce qui n’empêche bien évidemment pas de réussir sans un diplôme ayant pignon sur rue mais les portes s’ouvrent moins facilement. Quant aux parcours d’autodidactes comme ceux de Xavier Niel (Iliad) ou d’Octave Klaba (OVH), ils relèvent de l’exception. Même chez les startupeurs et leurs collaborateurs, les grandes écoles sont à l’honneur. Et, attention, quand on parle de la valeur des diplômes en France, il s’agit surtout des formations initiales, les MBA se révélant moins bien cotés. Pourquoi ? "Le diplôme signe une appartenance à un certain club et prouve que l’on a fait montre de compétences analytiques et synthétiques importantes alors que le MBA n’a pas de valeur académique intrinsèque, explique Hervé Borensztejn. Il y a des MBA excellents comme celui de Harvard ou de l’Insead et des MBA médiocres."

Virages à 360 degrés impossibles ?

Outre le fait que les Américains s’attachent moins au diplôme de départ, il est plus simple aux États-Unis de changer de métier. Plusieurs hypothèses sont mises en avant pour expliquer cette différence. Tout d’abord, les études étant moins regardées au pays de l’Oncle Sam au fur et à mesure que l’on avance dans sa carrière, les recruteurs s’intéressent de manière croissante aux compétences – notamment de leadership – acquises au fil du temps. Ensuite, les cadres juridiques et réglementaires plus contraignants en France rendraient les entreprises davantage averses au risque. Un mauvais recrutement dans l’Hexagone coûte plus cher qu’aux États-Unis. Mais, pour Hervé Borensztejn la réponse est surtout ailleurs : "Je ne crois pas que ce soit lié à ça. Aux États-Unis aussi on retrouve des domaines très régulés comme la banque ou la santé et, pourtant, les carrières sont moins verticales qu’en France."

Alors à quoi tient ce fossé ? "Nous donnons une prime à l’expertise plutôt qu’au comportement. Ce qui fait que l’on reste dans le même silo toute sa carrière, précise le partner d’Heidrick & Struggles. En France, on voit souvent des personnes très bonnes techniquement être promues managers. Ce qui fait que l’on peut se priver d’un bon technicien et se retrouver avec un mauvais manager – si l’on n’a pas vérifié qu’il avait une appétence pour le management et qu’il est formé à celui-ci." Une manière de fonctionner qui n’est pas uniquement propre à la France puisqu’elle a également souvent cours dans les autres pays latins.

Par rapport aux USA, l’Hexagone semble encore trop mettre de côté la professionnalisation du management

Par rapport aux USA, l’Hexagone semble encore trop mettre de côté la professionnalisation du management, lequel n’est pas inné et requiert un vrai travail comme pour toute autre compétence. Les cadres doivent se former, peuvent faire appel à des mentors et accepter les feedbacks pour s’améliorer. Ils doivent également apprendre à s’entourer. Aux États-Unis, le networking n’est pas un gros mot. Des deux côtés de l’Atlantique les chasseurs de têtes s’intéressent aux réseaux des candidats, ne serait-ce parce qu’ils témoignent d’une certaine capacité à s’ouvrir aux autres.

Un nouveau leadership

Si les USA sont plus avancés sur la question du leadership et n’hésitent pas à mettre en avant des cadres qui travaillent leur management, ils sont également en train de faire évoluer les qualités requises pour être un bon leader. "Il y a une réflexion aux États-Unis sur : comment être authentique ou se montrer vulnérable, douter, observe Hervé Borensztejn. On ne peut pas dire que cela fasse partie intégrante du corpus requis par les entreprises françaises où les dirigeants sont censés tout savoir grâce à la qualité de la formation initiale. Je caricature mais il y a du vrai."

Aux États-Unis, il est également bien vu de faire de la politique, que ce soit en s’impliquant réellement dans la vie de la cité ou en ayant un prisme politique dans sa manière d’aborder les sujets en entreprise, par exemple lors des négociations avec les représentants des salariés. La France ne se trouve pas logée à la même enseigne. Pourquoi ? Notamment parce que les carrières publiques/privées se mélangent beaucoup plus facilement aux USA où il n’y a pas de hauts fonctionnaires tels qu’on les conçoit en France.

En revanche, il n’est pas inenvisageable pour les cadres dirigeants français de passer par le public. Mouvements que font régulièrement des membres de cabinets ministériels qui, souvent après avoir connu la vie en ministère, intègrent ou réintègrent le privé. Il est également possible de faire partie d’associations au cœur de la société. Un engagement qui sera toujours valorisé sur un CV. Ainsi, chaque pays a des spécificités liées à ses réglementations ou des structures particulières que la mondialisation n’a pas achevé de lever. Pourtant, sur certains points les uns gagneraient parfois à piocher chez les autres quelques bonnes idées, et vice versa. 

Olivia Vignaud