Natalité en berne, manque de places en crèches, politiques RH dédiées à la parentalité insuffisantes, départs massifs à la retraite des assistantes maternelles… Les sujets sur la table de Sarah El Haïry sont nombreux. Retour avec la ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles, sur la manière dont le gouvernement entend avancer sur ces problématiques et le rôle qu'il souhaite que les entreprises endossent.

Décideurs. Pourquoi le sujet de la petite enfance n’a pas le poids politique qu’il devrait avoir sachant qu’il a un impact sur de nombreux domaines (éducation, égalité entre les hommes et les femmes, droit du travail) ?

 Sarah El Haïry. Je ne saurais pas vous dire pourquoi alors qu’il a effectivement un impact sur tout. L’éducation est la mère de toutes les batailles mais la petite enfance est la grand-mère de toutes les batailles. C’est à ce moment-là que naissent les inégalités pour le bébé et les familles. Dès les 1 000 premiers jours de notre vie, nous n’avons pas les mêmes chances. Par exemple, les enfants exposés aux écrans à cet âge ont plus de risques de subir des retards de développement. Chaque année, 160 000 femmes ne reprennent pas le travail car elles n’ont pas trouvé de mode de garde, et je ne parle pas des temps partiels subis qu’elles doivent accepter pour pouvoir s’adapter à celui qu’elles ont décroché. Nous devrions avoir la liberté de choisir de rester ou non avec notre enfant. Nous pouvons le tourner dans tous les sens mais cette période de la petite enfance est un accélérateur d’inégalités. Je milite pour un pays où nous ne sommes pas condamnés à avoir la même condition sociale que nos parents.

La réforme du congé parental, avec un raccourcissement de sa durée de trois ans à six mois, ne risque-t-elle pas de peser davantage sur l’emploi des femmes à l’heure où il manque 230 000 places en crèche ?

On ne peut pas avoir un congé de naissance de six mois sans service public efficace. Pour la première fois, un gouvernement met 6 milliards d’euros pour le service public de la petite enfance. Cet argent servira notamment à créer 200 000 places en crèches et à améliorer le recrutement et la fidélisation de professionnels de la petite enfance afin que les places gelées faute de personnel soient rouvertes. Nous allons aussi mieux rémunérer le congé parental qui devient le congé de naissance car les classes moyennes n’ont pas la possibilité de le prendre si elles le souhaitent tout en assumant les charges de la famille. De plus, depuis que nous avons doublé la durée du congé paternité pour qu’il atteigne 28 jours, 7 coparents sur 10 l’ont pris. Ce qui prouve l’efficacité de cette mesure.

Comment feront les familles dont les enfants ne pourront bénéficier de places en crèche avant la fin du congé maternité/paternité ou de naissance, notamment parce que la naissance de leur enfant ne coïncide pas avec les calendriers de demandes de crèche en mairie ?

On ne décide pas de la date à laquelle on accouche et cela ne tombe pas forcément au moment des commissions de crèches. En réalité, il ne faut pas opposer les modes de garde. Nous devons accompagner les modes publics comme privés. C’est pourquoi nous avons prévu un plan de relance de l’offre d’accueil fournie par les assistantes maternelles. Quarante pour cent d’entre elles partiront à la retraite d’ici à 2030, ce qui veut dire que 300 000 places sont en danger. Nous devons revaloriser ces métiers. Nous allons faciliter l’installation des assistantes maternelles en promouvant l’installation des maisons dédiées à leur activité dans les centres-villes car les loyers y sont trop chers pour qu’elles puissent y habiter et y garder des enfants. La PMI (Protection maternelle et infantile) est aussi appelée à être davantage dans l’accompagnement que considérée comme un contrôleur sanitaire. Par ailleurs, dès janvier 2025, le reste à charge pour les familles qui emploient des assistantes maternelles sera réduit pour atteindre le reste à charge des parents qui ont leur enfant en crèche. Avoir un enfant, c’est cher. Il faut oser le dire et proposer des solutions.

Quel rôle doivent jouer les entreprises ?

Tout le monde doit se serrer les coudes et participer à l’effort collectif. Les entreprises sont appelées à financer davantage de berceaux en crèche et accueillir dans leurs locaux des crèches d’entreprise. Nous allons aussi regarder si les aides notamment les crédits d’impôt peuvent évoluer afin de permettre à davantage de PME et d’ETI de s’en saisir pour financer les berceaux. Nous travaillerons avec les entreprises de manière à trouver la bonne formule. Elles ont tout intérêt à avancer sur le sujet pour fidéliser leurs salariés à l’heure où elles déplorent de nombreux départs dans la tranche des 18-35 ans. Les RH ne peuvent faire l’impasse sur l’accompagnement des parents lorsque leurs enfants sont malades, par exemple. Cela peut passer par une flexibilité sur les horaires ou encore ne pas juger quand un parent dit qu’il n’arrive pas à être 100 % efficace car son bébé ne fait pas ses nuits. Les entreprises sont tenues d’être au rendez-vous. Nous ne pouvons pas légiférer sur tout.

Le discours ambiant n’est pas "kids friendly". Cela impacte-t-il les parents ?

Quand une famille arrive dans un train avec ses enfants, elle a peur du regard des autres. Quand elle est en terrasse de restaurant, elle se demande si elle ne prend pas la place de quelqu’un avec sa poussette. Il y a des hôtels no kids. C’est dramatique. Je crois que les naissances sont le miroir de l’optimisme d’un pays. La courbe démographique française ne va pas très bien. Pas parce que les femmes ne veulent pas d’enfants (elles en désirent entre 2 et 3 et n’en ont pourtant qu’entre 1 et 2). Quand les naissances déclinent, c’est parce que la population a moins confiance en l’avenir, en son modèle social, en la solidarité entre les générations. Si la société n’accueille pas les familles dans la sphère publique, c’est un problème. Notre regard sur le sujet doit être très global. La bienveillance, ça se construit.

"Avoir un enfant, c’est cher. Il faut oser le dire et proposer des solutions"

Le terme de "réarmement" employé par Emmanuel Macron n’est-il pas un frein à cette nécessaire confiance dans l’avenir ?

Je ne suis pas littéraire. Je comprends que le président de la République souhaite accompagner la société pour qu’elle ait confiance et non peur de l’avenir. Cela doit être la priorité de tous.

Dans certains pays scandinaves le congé paternité équivaut au congé maternité, et cela a un impact sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Pourquoi ne pas avoir pris cette mesure ?

Le congé de naissance sera une réponse à cette question de l’égalité car il concerne les deux parents. Il sera aussi proportionnel au salaire, donc ce ne sera pas uniquement celui qui a le plus petit salaire – souvent la femme – qui aura forcément intérêt à le prendre. Ensuite, le congé maternité est plus long car ce sont les corps des femmes qui souffrent. En revanche, nous avons doublé le congé paternité notamment pour mieux répondre à la problématique du partage des tâches familiales. En outre, les inégalités salariales perdurent voire s’amplifient après les naissances. Les entreprises doivent s’engager à ne pas retarder les progressions de carrière et de rémunération. Il faudrait aussi que les grandes dirigeantes témoignent davantage pour expliquer leur vécu en tant que membre d’une famille biologique ou recomposée. À ce sujet, le président de la République et le Premier ministre m’ont demandé d’accompagner la pluralité des familles : solo, classiques, recomposées, etc. Notre modèle est encore trop hérité des années 1960 où une famille était composée d’un homme et d’une femme mariés, parents de deux enfants et où le salaire du premier était supérieur à celui de la seconde.

Comment redonner envie aux spécialistes de la petite enfance de travailler dans le secteur ?

Nous bâtissons tout un projet d’attractivité pour ces métiers souvent trop invisibles et pas assez rémunérés. Sur ce sujet, nous allons augmenter de 150 euros le salaire mensuel des professionnels de la petite enfance. Nous regardons aussi les conditions de travail. Ils doivent pouvoir prendre des pauses dans des salles dédiées, par exemple. Il faut aussi montrer l’importance de ces métiers. Ces personnes ne font pas que changer des couches et donner des biberons, elles participent à l’éveil des enfants, au développement de leur langage et de leur motricité, à leur bien-être affectif. Nous avons prévu une campagne d’information afin de donner à voir les projets pédagogiques de ces métiers et les passerelles qui y sont rattachées.

Vous avez lancé un label afin de certifier les ateliers numériques pour les parents et ainsi limiter les charlatans qui, sur le Web, s’improvisent coachs parentaux. Ces personnes répondent à un besoin d’aide et d’écoute des parents. Ne faudrait-il pas augmenter la formation et l’information sur la parentalité ?

Il faut déjà briser un tabou : les parents peuvent demander de l’aide car c’est parfois difficile. Ils ont le droit d’être dépassés ou de se demander pourquoi leur enfant ne fait pas ses nuits, comment gérer la crise d’adolescence ou Parcoursup. Nous devons être au rendez-vous. Toutes les classes sociales sont touchées par ces sujets. Ma mission consiste à proposer de l’information sécurisée. Pour cela, il y a le site jeprotegemonenfant.fr. Il était déjà une bonne source de premières informations. Nous le renforçons avec des rendez-vous physiques dont le contenu est labellisé "Parents, Parlons Numérique" afin d’être certains de leur qualité. Il y a aussi la possibilité de rejoindre des groupes de parole de manière à briser les solitudes. Enfin, il existe le programme 1 000 premiers jours qui fonctionne très bien. Ces sources et rendez-vous sont totalement gratuits pour tous les parents.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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