Saam Golshani, associé au sein du département corporate/restructuring du cabinet White & Case, revient sur les dossiers phares qui ont animé le cabinet durant cette année et les leçons qui peuvent en être tirées. L’occasion de déterminer les perspectives d’un marché qui ne connaît pas la crise.

DÉCIDEURS. Quel état des lieux dressez- vous de l’année 2023 ?

Saam Golshani. Cette année a évidemment été marquée par les tensions géopolitiques et macroéconomiques. Les banques centrales ont adopté une approche plus rigoureuse quant à leur politique monétaire contribuant ainsi à ralentir l’inflation, qui, bien qu’encore présente, demeure moins préoccupante qu’en 2022. Malgré les conflits en Ukraine ou au Proche-Orient, l’économie est stable. Le cours du pétrole se maintient à un niveau acceptable, et bien que certains secteurs comme l’immobilier rencontrent des difficultés, il n’y a pas d’indication d’une crise imminente. Cela nous laisse envisager l’avenir de l’économie mondiale avec un optimisme mesuré. En se focalisant sur le marché de la restructuration, l’ère de "l’argent gratuit", qui réduisait considérablement les défaillances, est révolue. La preuve, depuis dix-huit mois, on observe une hausse significative des défauts, une situation inédite depuis longtemps, que ce soit en France, en Allemagne, en Autriche ou dans le reste de l’Europe. Désormais, il est plus difficile de refinancer des structures de dettes d’une certaine taille sans apport supplémentaire des actionnaires, provoquant ainsi une recrudescence des opérations de restructuration, particulièrement dans le segment du large-cap, qui est l’un de nos domaines de prédilection. Le marché du restructuring se porte bien à ce niveau.

"Orpea nous a offert l’opportunité d’explorer en profondeur toutes les dimensions de la nouvelle législation française sur la sauvegarde"

Quels sont les grands dossiers qui vous ont occupé sur le segment du large-cap ?

Une des spécificités de White & Case tient à la synergie et la complémentarité de nos équipes spécialisées dans les marchés de capitaux, le droit boursier, le contentieux, le financement et le M&A. Notre équipe restructuring couvre tous les types d’investisseurs sur l’ensemble de leur palette d’intervention. Ainsi, la nature même de notre positionnement nous permet de nous situer sur des dossiers très complexes de large-cap où nous agissons aussi bien pour les émetteurs, souvent des entreprises cotées, les investisseurs que les créanciers. Dans ce contexte, les dossiers Orpea et Casino ont été particulièrement instructifs cette année. Du point de vue de l’émetteur, Orpea se distingue incontestablement comme étant la restructuration la plus significative en France depuis Eurotunnel. Ce dossier est également emblématique du fait de sa complexité juridique. Il nous a offert l’opportunité d’explorer en profondeur toutes les dimensions de la nouvelle législation française sur la sauvegarde. Enfin, le dossier Casino est un autre exemple marquant du marché large-cap en 2023. Notre intervention aux côtés des actionnaires, qui ont non seulement contribué à la recapitalisation mais ont également participé à la prise de contrôle de la structure à travers des négociations avec ses créanciers, illustre notre polyvalence et notre expertise. Ce dossier nous a donné l’occasion de démontrer d’autres aspects de notre savoir-faire, en agissant pour le compte d’investisseurs confrontés à la complexité de gérer une situation d’entreprise en difficulté.

Dans quelle mesure, les dossiers Orpea et Casino vous ont-ils permis d’expérimenter les facettes de la nouvelle loi de sauvegarde française ?

La grande différence entre ces deux affaires réside dans le fait que, dans le cas d’Orpea, nous avons remporté dix-neuf contentieux, y compris devant les cours d’appel de Paris et de Versailles, alors que pour Casino, aucun contentieux de ce type n’a été engagé. En menant à bien toutes ces procédures avec Orpea, nous avons contribué à l’établissement d’une nouvelle jurisprudence avec l’aide des mandataires et des administrateurs judiciaires, mais aussi l’Autorité des marchés financiers. Ces jurisprudences récentes s’avéreront précieuses pour de futures restructurations, constituant ainsi l’un des aspects les plus significatifs du dossier Orpea. Ces dossiers ont joué un rôle crucial en mettant en lumière la récente réforme, dont l’objectif est de replacer l’entreprise au centre des discussions et d’en faire le bénéficiaire principal des négociations de restructuration. Cette réforme cherche à éviter que les actionnaires ou les créanciers puissent mettre l’entreprise en position délicate dans de telles circonstances. L’affaire Orpea illustre parfaitement comment la bonne entente entre l’entreprise dans son ensemble et sa direction ou son conseil d’administration peuvent s’avérer déterminante pour permettre de trouver la meilleure solution pour l’entreprise. Cette collaboration vise à agir dans l’intérêt général de la société, et non pas uniquement pour satisfaire les intérêts de ses actionnaires ou créanciers. Cette nouvelle réglementation place l’intérêt général de l’entreprise au coeur des discussions entre tous les acteurs de la procédure, et c’est pourquoi elle représente une avancée majeure.

"Le marché va probablement connaître une hausse des défaillances d’entreprises sous LBO"

Quelles perspectives entrevoyez-vous pour le marché en 2024 ?

Le marché va probablement connaître une hausse des défaillances d’entreprises sous LBO, ce qui signifie que le restructuring devrait continuer à connaître une activité soutenue, notamment dans des négociations visant à repousser des maturités tout en restructurant la dette. Dans le jargon anglo-saxon, c’est ce qu’on appelle des opérations de liability management. Cependant, je ne pense pas que cela doive être interprété comme un signe alarmant sur l’état général de l’économie. Le dossier Atalian est un des meilleurs exemples de cette nouvelle tendance. Il illustre un cas peu courant en France de liability management. L’exercice consiste à orchestrer l’extension des maturités des divers instruments financiers d’une structure dans le cadre d’un échange pour lui insuffler une nouvelle vie et lui permettre de rembourser ses créanciers au terme de la nouvelle maturité des instruments issus de l’échange. Ce dossier dépasse le cadre traditionnel des restructuring observés dans les cas d’Orpea ou de Casino. Nous avons permis à Atalian que nous conseillons de gagner le temps nécessaire pour pouvoir se refinancer. Ce dossier met en lumière non seulement la capacité de White & Case à naviguer au travers des situations complexes mais il illustre aussi les défis techniques croissants que le marché devra surmonter en 2024.

Propos recueillis par Tom Laufenburger

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