Bruno Le Maire a récemment exprimé la crainte d’un "impact économique lourd" en France en cas d'escalade au Proche et Moyen-Orient. Quelles peuvent-être les répercussions sur les entreprises françaises ? Éclairage avec Ruben Nizard, responsable de l’analyse des risques politiques chez Coface.

Décideurs. Bruno Le Maire craint un "impact économique lourd" en cas d’escalade du conflit entre Israël et l’Iran, de quel impact pourrait-il s’agir ?

Ruben Nizard. Le sujet majeur est le prix du pétrole. C’est encore aujourd’hui l’une des principales sources d’énergie, pour les entreprises comme pour les particuliers. L’escalade du conflit mènerait à une hausse du prix du baril qui interviendrait dans un contexte inflationniste à peine stabilisé. Malgré un mouvement de transition énergétique, le tissu économique reste encore très dépendant des énergies fossiles, en particulier certains secteurs comme la chimie ou le papier. D’autre part, l’augmentation du prix du pétrole aurait des conséquences sociales, avec un risque de mouvements sociaux accru qui pourraient impacter les entreprises, comme ce fut le cas avec les gilets jaunes. Même si ce dernier point ne se manifeste généralement que par un impact très limité sur l’activité, avec une baisse de quelques centièmes de points de PIB.

"Le risque est réel et il est difficile de l’ignorer car la trajectoire du conflit n’est pas encourageante"

De quel potentiel d’escalade parle-t-on ?

Le risque est réel et il est difficile de l’ignorer car la trajectoire du conflit n’est pas encourageante. La coopération internationale est en tension, les limites de l’ONU sont pointées du doigt dans la gestion du conflit israélo-palestinien. La confrontation directe entre Israël et l’Iran est inédite et expose la région à un risque de spirale non négligeable. En dépit de la sévérité des évènements récents, certains éléments portent à croire qu’Israël et l’Iran ne sont pas enclins à poursuivre une confrontation directe de grande ampleur, privilégiant plutôt une confrontation de l’ombre qui a été la norme ces dernières années. La République islamique a manifesté dans son discours la volonté de calibrer la riposte, en tenant à préciser que son attaque n’était qu’une réponse à l'attentat de son consulat à Damas, et qu’elle n’aurait pas de suite sans nouvelle intervention israélienne. L’opération avait été annoncée, il s’agissait essentiellement d’envois de drones, donc à un rythme plus lent, qui a permis à Israël, avec l’appui de ces alliés occidentaux d’éviter des dégâts majeurs. En parallèle, domestiquement le régime iranien apparaît déjà fragilisé, comme l'avait montré le mouvement de contestation de 2021-2022. Une escalade vers une guerre totale ne ferait que renforcer cette fragilité.

Les crises géopolitiques n’étant pas nouvelles, le niveau de préoccupation actuel est-il justifié ?

Certes les guerres n’ont jamais disparu, mais le monde d’aujourd’hui est bien plus instable qu’il y a vingt ans. La crise en Ukraine, en plus de sa proximité géographique avec l’Europe, implique la Russie, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, ce qui fragilise la gouvernance internationale. Le conflit israélo-palestinien, bien qu’il ne date pas d’hier, n’a jamais connu une telle intensité depuis l’attaque du 7 octobre. En outre, l’évolution des discours démontre que le monde est entré dans une logique globale compétition, voire de confrontation. L’opposition sino-américaine n’a jamais été si forte. L’Europe est prise en étau dans cette logique de compétition croissante. On observe aussi une tentative de création d’un pôle représentant le "Sud global", ce qui n’est pas nouveau certes, mais l’ambition des Brics a changé d’échelle, en passant récemment de 5 à 10 membres lors du sommet de Johannesburg. Une nouvelle logique de compétition économique internationale s’est aussi révélée lors de la crise du Covid, les entreprises ont réalisé qu’elles étaient exposées à des risques de supply chain qu’elles ignoraient et qu’elles ne maitrisent pas. Enfin, aujourd’hui l’inquiétude nucléaire, refait surface, ce n’était plus le cas depuis de nombreuses années.

"L’augmentation des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, pourrait avoir des répercussions importantes sur les entreprises"

Toutes les guerres ont-elles des répercussions économiques ?

Certaines guerres ont peu d’impact. Le conflit du Cachemire, impliquant le Pakistan et l’Inde, dure depuis plus de 75 ans, et malgré une activité terroriste et des confrontations ponctuelles ces dernières années, on note des répercussions très mesurées sur ces économies. Les tensions géopolitiques, sans arriver au seuil de la guerre, peuvent en revanche avoir des répercussions sur l’économie mondiale. L’augmentation des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, pourrait avoir des répercussions importantes sur les entreprises et leurs chaînes d’approvisionnement, avec un risque de fragmentation du commerce mondial. A ce sujet, la pression accrue autour de Taiwan est très préoccupante. Dans le cas des conflits au Moyen-Orient, entre les intérêts géostratégiques liés à l’énergie dans la zone et les perturbations sur les routes commerciales, notamment visibles en mer Rouge depuis plusieurs mois, il est difficile de ne pas voir un fort potentiel de tensions économiques.

Propos recueillis par Céline Toni 

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